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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2020

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 octobre 2020
dernière modification le 18 novembre 2020

par Raymond SCHOLER

On évoque Woody Allen, et ses démêlés, le NIFFF et le Festival de Locarno

Woody Allen : l’autobiographie
Ceux qui n’ont aucune raison de (ou inclination à) croire Woody Allen pédophile ou pervers liront avec le plus grand plaisir A propos of Nothing (ou, dans la traduction française, Soit dit en passant), qui se caractérise par le même esprit d’autodérision et la même absence de fierté artistique que ses films. Allen ne s’estime nullement génial, juge Manhattan (1979) raté et trouve qu’ Un Tramway nommé Désir (Elia Kazan, 1951) est la plus grande œuvre d’art créée pour le cinéma de son vivant. Avec sa verve habituelle, il évoque son enfance heureuse dans une famille aimante de Brooklyn, constamment en train de se disputer, comme il l’a si bien décrit dans le désopilant Radio Days (1987).

« Radio Days » de Woody Allen

C’est d’ailleurs par la radio qu’il a ses premiers contacts avec le show business, en inventant des one-liners, des pointes, pour les comiques radiophoniques ou de variétés. Son amour de ces comiques est tellement absolu qu’il les trouve tous plus extraordinaires les uns que les autres, et heureusement You Tube est là pour compléter visuellement le bonheur qu’il veut nous communiquer. De fil en aiguille, ses textes se rallongent : il écrit des sketchs entiers pour la TV et des articles satiriques pour The New Yorker. Puis il se produit sur les scènes de cabarets où il crée les bases de son personnage timide et balbutiant qui nous est familier après tant de films. Il n’aime pas le film qu’on a tiré de son premier scénario, What’s New, Pussycat ? (Clive Donner, 1965) – c’était un de mes films favoris de l’année - et décide de mettre dorénavant lui-même en scène les histoires qu’il invente.

Woody Allen, Romy Schneider et Peter O’Toole dans « What’s New, Pussycat ? »

Il avoue ne rien comprendre à la technique et se reposer complètement sur le chef opérateur (Gordon Willis, Carlo DiPalma, Darius Khondji, Vittorio Storaro) et le décorateur (Mel Bourne, Santo Loquasto) pour le look de ses films. Même s’il renvoie le grand chef op Haskell Wexler au bout de quelques jours, parce qu’il coupait les cheveux en quatre. La seule chose qui l’intéresse sont les acteurs et surtout les actrices. Allen avoue son grand amour du sexe opposé : cela aurait déjà démarré à l’école enfantine. Et il n’y a presque pas de commentaire tiède sur les comédiennes qu’il a fait tourner. Il les adore toutes. Il garde le summum de compliments pour Scarlett Johansson : « Dès qu’elle apparaît, il faut se frayer un chemin à travers les phéromones ». Et paf ! la critique américaine, mais aussi, hélas, Le Monde, lui tombent dessus à bras raccourcis : comment ose-t-il une blague tellement sexiste à l’époque #Metoo ? N’a-t-il donc pas compris que les paradigmes sociaux ont changé, que le temps de l’asepsie comique est arrivé, que de telles phrases sont l’équivalent des caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo ? Je n’ose aujourd’hui imaginer un ciné-club programmer Everything You Always Wanted to Know about Sex (But Were Afraid to Ask) (1972), où Woody est constamment en rut : les féministes n’aiment pas que les mâles étalent leur luxure.

« Everything You Always Wanted to Know about Sex (But Were Afraid to Ask) »

Louer le sex appeal d’une personne est devenu un harcèlement. C’est évidemment son amour des femmes qui est à l’origine des misères existentielles de Woody, auxquelles il consacre le dernier quart de ses mémoires. Il fallut qu’il tombât amoureux de la fille de John Farrow et de Maureen O’Sullivan, la si tendre Mia Farrow, poignante maîtresse du Diable dans Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968). Elle a fait 13 films pour Woody Allen, deux fois plus que Diane Keaton. Si Keaton demeure encore maintenant la confidente et conseillère à laquelle il a recours à des moments difficiles, Farrow est devenue son ennemie mortelle. Au départ, ils ont eu une liaison à partir de 1980, sans jamais se marier, chacun conservant son domicile. En 1992, Farrow découvrit qu’Allen était amoureux d’une de ses filles adoptives, Soon-Yi Previn, adoptée avec son ex-mari, Andre Previn. Rien de louche, puisque Soon-Yi était majeure et vaccinée, et Allen ne vivait pas avec la famille de 14 enfants, la plupart adoptés par Farrow, qui menait sa tribu au doigt et à la baguette comme un kapo, si l’on en croit le blog de Moses Farrow, un autre adopté. Toute violation des règles entraînait punition, toute trahison était anathème. Allen fut d’abord traité de vieux cochon (bientôt il sera le monstre !), parce qu’il avait 35 ans de plus que sa dulcinée (alors que le premier mari de Farrow, Frank Sinatra, avait 29 ans de plus qu’elle). En attendant, Allen et Soon-Yi sont toujours ensemble après 23 ans de mariage. Mais le pire, c’est que Farrow s’est vengée de cet affront avec la plus vicieuse des accusations : elle a accusé Allen d’attouchements sur Dylan, fillette de 7 ans à l’époque, qu’il avait adoptée ensemble avec son frère Moses en 1991 et qui passait souvent des journées seule avec lui dans son appartement. Mais le 4 août 1992, il aurait donné libre cours à sa lubricité, avec la fillette, en présence de témoins (!) chez Farrow. Allen donne sa version des faits, bien innocents, qui concordent avec les résultats de l’enquête judiciaire. Nonobstant l’avis contraire du juge Wilk, qui avait curieusement ses entrées chez Farrow, les pédiatres concluent qu’il ne s’est rien passé, que Farrow était donc, sans le dire à haute voix, une manipulatrice. Qu’à cela ne tienne : un quart de siècle plus tard, elle revient à la charge par Dylan interposée. Elle a eu le temps d’imprimer dans la cervelle de Dylan un scénario bien plus précis et plus élaboré que précédemment. Tellement élaboré que Moses le démonte sans problème dans son blog du 23 mai 2018. (La traduction de ce texte se trouve in extenso dans le numéro de juin 2020 de Positif). Les deux camps campent depuis sur leurs positions. Mais il est peu probable que l’épée de Damoclès de la suspicion disparaisse comme par enchantement de la vie d’Allen au vu de la frilosité concernant les témoignages féminins d’abus par les temps qui courent. Au 21e siècle, la parole du mâle sera définitivement bâillonnée.

Echos du NIFFF
Comrade Dracula/Drakulics Elvtars du Hongrois Mark Bodzsar est une comédie mordante sur la perennité du système communiste entretenue par le vampirisme. En 1972, le héros hongrois de la Révolution cubaine, Fabian, rentre au pays pour lancer, au nom du PC, une collecte de sang pour le peuple vietnamien. Mais quelque chose cloche chez ce camarade qui paraît à peine trentenaire et conduit une Mustang rouge. Les Services secrets essaient de découvrir le secret de jouvence de ce communiste qui sirote un breuvage rouge à longueur de journée tout en lorgnant avec amour les nuques des élégantes. Simultanément, les Soviétiques ordonnent à Janos Kadar d’obtenir le secret de la vie éternelle, sinon ils ferment les robinets du gaz sibérien. Une histoire d’ail et de suçons.

« Comrade Dracula » de Mark Bodzsar

Blood Machines du Français Seth Ickerman est un OVNI psychédélique qui fait fi des réalités physiques pour nous entraîner dans un fantasme érotico-futuriste, gonflé à bloc de couleurs pétantes et de matières molles et onctueuses, où l’on devine une planète peuplée exclusivement de femmes qui semblent tenir l’avenir du cosmos dans leur main, en tout cas celui du duo de pilotes complètement soumis qui se sont égarés dans leur proximité. De la poésie pure et on en redemande.
Dinner in America de l’Américain Adam Rehmeier commence comme un hommage à Todd Solondz et Gregg Araki, mais rejoint dans son dernier quart une normalité décevante. Le titre se réfère à l’album punk rock préféré de l’héroïne, Patty, une timide étudiante amoureuse folle d’un musicien irascible (l’acteur Kyle Gallner fait penser à un jeune Clark Gable), membre d’un groupe qu’elle adore. Leurs démêlés avec l’administration et les préjugés bourgeois sont moins drôles que les interactions avec la famille de Patty qui s‘avère plus barge que la normale. Un premier film d’une maîtrise étonnante.

Festival de Locarno
Au profit des casaniers du Covid-19, l’équipe de Lili Hinstin avait assuré l’accès en streaming d’un choix de films puisés dans les 72 éditions précédentes du festival. Le meilleur était, faut-il s’en étonner, le plus ancien, Deutschland im Jahre Null/Allemagne année zéro (1948) de Roberto Rossellini. Tourné deux ans après la fin de la guerre dans un Berlin en ruines, le film se concentre sur le destin d’un gamin de 12 ans pendant l’été qui suivit la capitulation allemande : Edmund aide à nourrir sa famille par des petits boulots ou trafics (comme vendre des enregistrements de Hitler aux GIs). Le père est cardiaque, trop faible pour se déplacer et se sait un poids mort pour le reste de la famille : si seulement il pouvait mourir ! La sœur s’occupe du ménage et se distrait le soir avec les soldats alliés, mais sans se prostituer. Cela lui rapporte des cigarettes, une monnaie d’échange comme une autre. Le frère, qui avait combattu jusqu’à la dernière minute, a peur de se faire emprisonner par les vainqueurs, il n’ose donc pas se faire enregistrer et n’a pas de carte de rationnement. Pas tout à fait l’environnement propice à une adolescence insouciante. Le film ne prêche rien, se contente d’observer et de constater. Le plus grand des 3 films néoréalistes de Rossellini.

« Deutschland im Jahre null » de Roberto Rossellini

Der siebente Kontinent (1989), le premier film de Michael Haneke, décrit le quotidien immuablement ordonné et serein d’une famille (papa, maman et leur petite fille) de la classe moyenne aisée qui, d’un jour à l’autre, procède à la destruction systématique de tout ce qui leur appartient avant de passer au suicide groupé par poison en laissant en évidence un mot désabusé aux grands-parents. Glaçant, car sans explications et basé sur un fait divers viennois.

Christine Lauterburg et Max Rüdlinger dans « E Nachtlang Füürland »

E Nachtlang Füürland (1981) de Clemens Klopfenstein et Remo Legnazzi réussit là où Alain Tanner avait pitoyablement échoué, à cause de sa lourdeur coutumière, avec Le retour d’Afrique (1973). Max Gfeller, soixante-huitard désillusionné, échafaude, l’espace d’une nuitée de pérégrination bernoise de bar en bar, le projet d’émigrer en Terre de Feu avec la jeune et enthousiaste Chrige. Rarement une génération fut aussi parfaitement captée dans ses frustrations et ses hésitations. Un chef-d’œuvre du cinéma suisse.

Prenez soin de vous !

Raymond Scholer