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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 1er octobre 2017

par Raymond SCHOLER

A propos du 17e NIFFF (suite) et du 70e Festival del Film Locarno

New Cinema from Asia
Trapped de l’Indien Vikramaditya Motwane est probablement le survival le plus original depuis Buried (2010) de Rodrigo Cortés. Le lieu clos dans lequel se retrouve le héros solitaire de l’histoire, n’est cette fois pas un cercueil enfoui sous terre, mais un immeuble en mal de finition. Désespérant de trouver à Mumbai un logis de prix accessible pour vivre avec sa bien-aimée, qui risque autrement de devoir épouser le candidat choisi par ses parents, un jeune homme ne regarde pas à deux fois lorsqu’on lui propose, moyennant une somme modeste, les clefs d’un petit appartement au 35e étage d’une tour qui n’est pas encore tout à fait achevée, vide d’habitants, mais qui a déjà un concierge, ce qui fait sérieux.

« Trapped »

Pressé, le nouveau locataire se retrouve, par inadvertance, enfermé dans sa nouvelle demeure, son téléphone à plat, sans eau courante ni électricité, et rien à grignoter. Les premiers jours seront donc occupés à recueillir l’eau de pluie et des insectes dodus et à tenter de passer des appels au secours (vocaux, optiques, écrits, sonores (un corps lourd qui tombe fait du bruit, mais ce bruit peut-il concurrencer celui d’une mégalopole ?), mais le concierge, écoutant constamment la radio et n’ayant pas idée de regarder en hauteur, ne quitte pas son canapé du hall d’entrée. Comme Tom Hanks dans Cast Away (Robert Zemeckis, 2000), le héros doit trouver dans es propres ressources physiques et psychiques le moyen de s’en sortir.

Ultra Movies
Grave de Julia Ducournau, tourné sur le campus de l’université de Liège, immerge une étudiante timide de première année (en médecine vétérinaire) dans un univers de bizutages exténuants, où la végétarienne est obligée de goûter à des abats crus. Voilà qu’elle se découvre une fringale pour la viande humaine. Et tartare en plus, c’est-à-dire crue. Après avoir dévoré le petit doigt de sa sœur, étudiante de deuxième année, elle s’étonne de la magnanimité de cette dernière. Partageraient-elles la même déviance ? Comment le dire aux parents ? Signalons l’audace d’une jeune réalisatrice qui a lancé un pavé dans la mare très tranquille du film de genre français.

Garance Marillier dans « Grave »

Amazing Switzerland
Dans Stille Reserven de l’Allemand Valentin Hitz, l’agent Vincent Baumann vend des assurances-mort qui assurent au titulaire une mort naturelle. Ceux qui n’ont pas une telle assurance, sont stockés, à l’heure fatidique, dans un état comateux et peuvent servir de banque de données, de matière première pour des dons d’organes ou de mères porteuses. L’agent Baumann doit enquêter sur une organisation terroriste qui veut libérer ces cadavres en sursis (gardés dans d’immenses silos) et les inhumer en paix. C’est ainsi qu’il fait la connaissance d’une chanteuse de cabaret qui lui ouvre l’horizon à la fois de l’amour et de la révolte. Et dans son quotidien ocre, gris et tristounet s’immiscent des couleurs et des sensations nouvelles.

Russia Extravaganza
Dans Attraction/Prityajénié de Fedor Bondarchuk, un astronef extraterrestre s’écrase en zone urbaine, abattu par l’aviation russe qui ne se préoccupe guère de pertes de vies civiles ni d’éventuelles complications diplomatiques. Le colonel Lebedev évacue le périmètre et déclare la zone interdite. Le vaisseau se répare de lui-même, drainant les réserves d’eau et produisant des chutes de tension dans le réseau local. Ce qui ne le rend pas sympathique à la population. La fille de Lebedev, Yulia, ulcérée par la perte d’une copine, fauchée sur son toit par l’engin, se faufile dans la zone interdite pour se venger. Elle y découvre l’alien blessé qui, lorsqu’il retire son armure, révèle une académie d’humain mâle digne des magazines féminins. Pour Yulia, c’est le coup de foudre et pour son copain, la crise de jalousie. Il remonte tous les fachos et xénophobes de la ville contre les extraterrestres et le pauvre Lebedev doit protéger l’astronef devant les meutes racistes. Bondarchuk est très lucide quant aux tares de la société poutinienne.

« Attraction » de Fedor Bondarchuk

Seijun Suzuki
Le nonagénaire nippon disparu en février a eu droit à un hommage de 10 films, dont ses deux derniers, rarissimes sous nos latitudes. Si Pistol Opera (2001) fait clairement partie de sa veine déconstructrice, de rigueur depuis l’interminable Zigeunerweisen (1980), et a rapidement eu raison de notre patience, Princess Raccoon (2005), son ultime film, nous a enchantés. Le conte ressemble un peu à celui de Blanche Neige. Le vieux roi Azuchi est tellement épris de sa propre personne qu’il ne supporte pas que son fils, le prince Amechiyo, soit dorénavant plus beau que lui. Il mijote donc un plan pour l’éliminer, lequel échoue, puis décide de l’exiler à la montagne magique pour qu’il y trépasse. Au pied du Mont Kairasu, le prince tombe amoureux de la princesse des tanukis, ces chiens viverrins aux gonades hypertrophiées qui symbolisent les esprits protecteurs des demeures japonaises et peuvent facilement prendre apparence humaine. Comme c’est Zhang Ziyi qui incarne cette princesse, on comprend tout de suite le coup de foudre du prince, même si elle parle le tanuki, un langage incompréhensible (en fait le mandarin) aux Japonais. Mais l’amour entre les humains et les tanukis est tabou et nous voilà dans une situation à la Romeo et Juliette dont seuls l’aide surnaturelle et le recours à la comédie musicale peuvent venir à bout. Les décors sont tantôt peints, tantôt créés par magie numérique, les airs empruntés autant aux ballades romantiques des fifties qu’au théâtre kabuki, au glam-rock qu’au calypso, en passant par le rap, car l’histoire se déroule à une époque où les Européens avaient quelques factoreries et la mythologie locale était exposée aux influences occidentales. De toute façon, les tanukis sont une communauté tellement enjouée et lumineuse que le temps file devant « cette phantasmagorie effervescente, légère comme une brise, surfant sur la liquidité de la forme », comme l’a qualifiée à la perfection le critique américain Fernando F. Croce. Le dernier film d’un potache de 83 ans qui a dû s’amuser comme un fou.

70e Festival del Film Locarno

Harry Dean Stanton dans « Lucky »

Compétition internationale
Lucky fut le favori de bien des critiques, mais le président du jury, Olivier Assayas, a veillé à ce que quatre prix (sur cinq) fussent octroyés à des films coproduits par la France. Ce qui n’est pas le cas du premier film réalisé par le grand (1,90 m) acteur américain John Carroll Lynch. Son film parle de la prise de conscience de sa propre finitude par un nonagénaire (Lucky) et le choix de Harry Dean Stanton pour l’incarner est un vrai coup de génie. La star de Paris Texas (Wim Wenders, 1994), qui avait déjà eu un infarctus cinématographique dans The Straight Story (David Lynch, 1999), mène ici une vie réglée comme du papier à musique dans un petit bled aux confins du désert : lever à heure fixe, gymnastique, toilette, petit déj’ au diner, jeux télé et mots croisés à la maison, quelques bières au bistrot pour voir les amis, puis dodo, marchant chaque jour quelques kilomètres d’un pas décidé, sans jamais oublier son paquet de clopes, puis : dodo. Un beau jour, Lucky s’écroule à la maison pour une raison inexpliquée. Son médecin lui révèle que c’est la veillesse, mais il faut la regarder du bon côté : « The older you get, the longer you live ! /Plus tu vieillis, plus longtemps tu auras vécu ! » Le vétéran de la Seconde Guerre mondiale se rend compte que son dernier combat ne va pas tarder, et qu’il va devoir l’affronter seul, car il est athée. Mais, en attendant, il va consoler son ami Howard (David Lynch, justement) dont la (très vieille) tortue s’est éclipsée dans la nature : chaque jour du reste de la vie apporte son lot de surprises ou nouvelles connaissances. Une méditation essentielle sur la communauté et la mortalité.

Sven Schelker dans « Goliath »

Le seul film 100% suisse de la compétition, Goliath , est l’œuvre du Zurichois Dominik Locher. C’est une réussite tellement exemplaire qu’on doit à nouveau se poser la question de l’absence de films de ce niveau en milieu romand. Il y a un degré de réel et d’immédiateté que je n’ai pas vu chez nos cinéastes locaux depuis des années. Au début, on assiste à des scènes intimes d’un couple et leur dévotion mutuelle ne fait aucun doute. Jusqu’au moment où Jessie, la jeune femme, révèle qu’elle est enceinte. David est pris de panique et fiche le camp, mais pas très loin. Quelques jours plus tard, après une soirée arrosée, le couple est pris à partie dans le tram et David n’ose pas s’interposer entre les loubards et Jessie. Se sentant coupable de n’avoir pas su la protéger, il décide de devenir un mec, un vrai. À commencer par un programme de musculation à outrance. Les anabolisants aidant, sa libido en prend un sale coup et Jessie est loin d’être comblée. Les reproches fusent et David réagit avec des colères de plus en plus mal contrôlées. La jeune femme finit par avoir peur pour l’enfant à naître. La transformation physique de l’interprète de David, Sven Schelker, de miquelet timide en Hulk colérique, est époustouflante, celle de chaton en tigresse de Jasna Fritz Bauer pas moins.

A. Wirathu dans « Le Vénérable »

Hors concours, Le Vénérable W. de Barbet Schroeder est sans doute l’œuvre la plus nécessaire à l’heure où l’armée birmane agit contre les rohingyas (une ethnie indo-européenne et musulmane), comme jadis les Waffen-SS, en tuant et incendiant sans faire de détail. L’islamophobie est attisée depuis une vingtaine d’années par un moine bouddhiste, le vénérable Ashin Wirathu, qui explique calmement à la caméra que ces 4% de la population peuvent causer la chute irrémédiable de la culture et de la race birmane, si rien n’est fait pour les arrêter. À la charge des accusés, il montre dans ses publications les exécutions horribles perpétrées par les illuminés de Daech. Les dégâts que ses propres prêches et pamphlets ont déjà causés par le passé, Schroeder peut les documenter grâce aux téléphones portables et à Youtube, sources inestimables qui n’existaient pas à l’époque de Général Idi Amin Dada : Autoportrait (B. Schroeder, 1974). Si Aung San Suu Kyi avait vu le film, pourrait-elle encore nier l’épuration ethnique encouragée par son gouvernement ?

Au mois prochain

Raymond Scholer