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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - novembre 2019

Compte-rendu & annonce

Article mis en ligne le 1er novembre 2019
dernière modification le 20 octobre 2019

par Raymond SCHOLER

Où il est question du 10th British & Irish Film Festival Luxembourg, ainsi que du programme à venir de la Cinémathèque de Lausanne.

10th British & Irish Film Festival Luxembourg
Malgré une affluence à peine digne d’un ciné-club de province, ce petit festival alignait cette année 13 nouveaux longs métrages (4 documentaires et 9 fictions) répartis entre la Cinémathèque municipale et un modeste multiplexe. Pourquoi Luxembourg ? D’une part, la colonie de fonctionnaires (européens ou autochtones) anglophones est suffisamment étoffée au Grand-Duché pour garantir la viabilité d’un tel festival, sponsorisé bien sûr tant par le Film Fund Luxembourg et certaines banques que par les ambassades britannique et irlandaise ; d’autre part, il se trouve que 21% des films luxembourgeois sortis entre 1990 et 2018 furent coproduits par le Royaume Uni. Mais des films du festival, seul le documentaire sur l’équipe de hockey sur glace « Luxembourg Puckers » ( The Spirit of the Game de Liam McEvoy) était une production luxembourgeoise. Pour les autres, toutes les régions avaient été mises à contribution.

L’Écosse était ainsi représentée par un documentaire ( The Amber Light d’Adam Park) sur le whisky et sa signification culturelle en relation avec la musique populaire et la littérature du terroir, c’est-à-dire l’âme du pays. L’autre film écossais (très attendu) sur le héros national, Robert the Bruce de Richard Gray, demeura inaccessible à la suite d’une méprise monumentale dans le chargement du fichier numérique.

L’Australie avait envoyé une comédie matrimoniale avec Eddie Izzard en grand séducteur hollywoodien, qui réveille, en visite impromptue chez une copine menant une vie rangée à Adélaïde, des sentiments romantiques enfouis, tandis que sa maîtresse, incarnée par la Française Vanessa Guide, aguicheuse en diable, s’occupe du mari de la dame. Cela s’appelle The Flip Side et Marion Pilowski, productrice depuis 20 ans, s’y essaie à la réalisation.

Sarah Greene dans « Rosie »

L’Irlande montre le côté vicieux de son miracle économique dans Rosie de Paddy Breathnach. Les loyers n’ayant cessé de monter, une famille avec quatre gosses se retrouve à la rue à la suite d’un changement de propriétaire. Le mari continue de travailler comme aide cuisinier, pendant que sa femme, munie de son portable et d’une liste mise à disposition par la mairie, sillonne en voiture les rues de la ville pour trouver une chambre pour la nuit. La mère de Rosie, propriétaire d’une maison, voudrait bien héberger provisoirement ses petits-enfants, mais comme elle ne veut pas reconnaître que le papa (mort) de Rosie ait pu abuser de sa fille, celle-ci refuse en bloc : les Irlandaises ne font pas de concessions. Bref, la famille doit faire de sa voiture ultrabourrée son domicile d’urgence. Sans se demander une fois pourquoi ils n’ont pas un sou d’économie et quatre enfants. En attendant, on estime à 30’000 le nombre d’habitations vides dans le grand Dublin.

David Hayman, Dave Johns, James Purefoy, Sam Swainsbury, Daniel Mays et Tuppence Middleton dans « Fisherman’s Friends »

Fisherman’s Friends de Chris Foggin raconte sous une forme très romancée le soudain succès des pêcheurs chantants éponymes de Port Isaac en Cornouailles, dont le premier album de shanties remporta en 2010 un succès mondial. Le fait que ces rugueux gaillards soient ici incarnés par des acteurs qui amènent leurs propres saveur virile et charisme, comme James Purefoy, David Hayman ou Dave Johns (la star de I, Daniel Blake), rend cette évocation hautement em- et sympathique.

Maxine Peake et Eleanor Worthington-Cox dans « Gwen »

Dans son premier long métrage, Gwen , William McGregor dénonce les criminelles activités des patrons de mines ardoisières au nord-ouest du Pays de Galles au milieu du 19e siècle. Gwen, une jeune fille, vit avec sa petite sœur et sa mère du maigre rendement d’une ferme en pierre austère dans le terrain accidenté et venteux de Snowdonia. La mère, rigide de physique et de caractère à force de privations et de souffrances, promet que le retour du père arrangera tout, mais un insert semble nous indiquer qu’il est mort à la guerre. Le médecin de la carrière locale –interprété, curieusement, par un comédien noir – donne à Gwen des médicaments pour contrôler les crises d’épilepsie de la mère, tandis que ses patrons ne pensent qu’à se rendre maîtres des terres de la famille. On comprend que les forces maléfiques convergent vers la ferme, lorsqu’un matin funeste, tout le bétail est trouvé égorgé. Les images captent à merveille la grandeur extraterrestre des sommets hivernaux et l’intimité picturale des intérieurs illuminés à la chandelle.

Angus Imrie (Merlin ; au centre) dans « The Kid Who Would be King »

La légende la plus célèbre de l’Angleterre est sans conteste celle du roi Artus et de ses Chevaliers de la Table ronde. Joe Cornish, qui avait secoué les conventions de la SF britannique avec son Attack the Block (2011), en donne avec The Kid Who Would be King une version pour juniors moins enfantine qu’il n’y paraît. Comme les amours coupables de Guenièvre et Lancelot ou la quête du Graal risquent de passer au-dessus de la tête des préados, le scénario se concentre sur la lutte contre le mal absolu personnifié par la fée Morgane et ses légions de cavaliers de braise, qui se réveillent d’un long sommeil et risquent de déferler sur le pays à l’occasion d’une éclipse totale. En effet, depuis le Haut Moyen-Âge, l’Angleterre n’a jamais été dans d’aussi mauvais draps, Brexit oblige, et c’est aux écoliers que l’éternel Merlin fait appel pour arriver à bout de ces méchants. Les adultes sont officiellement hors jeu. Le nouvel Artus en culottes courtes s’appelle Alex : lorsqu’il découvre sur un chantier une épée figée dans le béton, qu’il est seul à pouvoir retirer, il sait qu’il s’agit d’Excalibur et qu’il a une mission. Il ne lui reste plus qu’à réunir une troupe (tous sexes et races confondus) dévouée à la bonne cause (son école est un vivier parfait) et de la pourvoir d’armures et de glaives de pacotille que vendent les boutiques de Tintagel. L’apport d’effets visuels convaincants permet aux jeunes comédiens de se laisser prendre au jeu avec un grand sérieux, montrant par là qu’ils avaient bien saisi le côté symbolique du film.

Novembre à la Cinémathèque
Ce sera un mois très chronophage pour les cinéphiles, surtout pour la nouvelle génération. Le plus gros bloc sera la rétrospective consacrée à Francis Ford Coppola, qui vient de recevoir le Prix Lumière à Lyon et que Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux, organisateurs du festival Lumière, estiment être « une des plus grandes légendes vivantes de l’histoire du cinéma. Cinéaste de génie, destin personnel hors normes, auteur de quelques-uns des plus grands succès et des films les plus célèbres du XXe siècle, Coppola n’a cessé de questionner l’art du cinéma, d’en explorer les formes nouvelles de narration et de style, tout en préservant les formes les plus abouties de son classicisme, dans la recherche absolue de l’indépendance et de la liberté de création. » On ne saurait mieux dire. Apocalypse Now (1979) sera montré dans sa version rallongée ( Redux ) de 2001, alors qu’une version encore plus récente a été dévoilée au festival de Cannes cette année, qu’on attendra bien sûr en blu-ray. Il en va de même pour le nouveau montage (avec plein de numéros musicaux jamais vus) de The Cotton Club (1984) que Coppola avait amené à Lyon.

Diane Lane et Richard Gere dans « The Cotton Club »

Le second bloc est la seconde partie de la rétro Agnès Varda, avec les longs métrages qu’elle réalisa entre 1988 et 2008. Dans Jane B. par Agnès V. (1988), elle laisse Jane Birkin interpréter son propre rôle dans de courtes fictions qu’elle mélange aux reportages, allant jusqu’à se mettre elle-même en scène dialoguant avec la comédienne.

Jane Birkin et Serge Gainsbourg dans « Jane B. par Agnès V. »

Jacquot de Nantes (1991) est un portrait amoureux de Jacques Demy en trois temps. D’abord, en mode fiction des années 1930-1940, l’enfance nantaise au-dessus du garage familial est évoquée ainsi que son adolescence qui voit naître son désir de cinéma. Puis, un montage d’extraits de ses films ponctue les moments forts de sa vie. Enfin, Jacques Demy est filmé sur la plage de Noirmoutier. Les Glaneurs et la Glaneuse (2000) parle des gens qui récupèrent ce dont d’autres se débarrassent, pour se nourrir ou pour le plaisir. Saviez-vous que la plupart de nos patates ne trouvent pas grâce devant Migros ou Coop, parce qu’elles sont biscornues ? Il est bon de savoir qu’elles trouvent quand même le chemin des estomacs. Dans Les Plages d’Agnès (2008), Varda utilise toutes les ressources du collage pour évoquer les lieux qu’elle adore, les amis qui l’ont côtoyée et les grands hommes qui ont compté dans sa vie, pour créer un autoportrait facétieux.

Philippe Maron dans « Jacquot de Nantes »

Last but not least, le cinéma taïwanais indépendant des années 1960 constitue un 3e bloc. C’est comme si un grand courant d’air traversait soudain la programmation conventionnelle : voilà du vraiment original, un peu parachuté sans crier gare, jusqu’à ce qu’on découvre que le programme a déjà passé par la Cinémathèque française en avril 2019. On se prend à désirer : si seulement on imitait plus souvent les Frouzes ! Bref, de quoi s’agit-il ? Avant 1945, le cinéma de l’île de Formose était inféodé au colonisateur japonais. Dès 1945, le Kuomintang, exilé du continent après la victoire communiste, impose un cinéma mandarin glorifiant les valeurs confucéennes et la ligne propagandiste anticommuniste du « réalisme sain ». Mais ce cinéma qui s’adresse surtout aux exilés chinois, ennuie le public taïwanais.

« The Fantasy of the Deer Warrior » de Zhang Ying

À partir de la moitié des années 1950 se développe un cinéma populaire indépendant (produit par des investisseurs privés à des fins d’enrichissement rapide) en hoklo, la langue la plus parlée sur l’île, qui va s’ingénier à détruire le mythe du renouveau chinois sous l’égide du KMT. Ces films font feu de tout genre, de la comédie « animalière » ( The Fantasy of the Deer Warrior (1961) de Zhang Ying) au film d’épouvante ( The Bride Who Has Returned from Hell (1965) de Hsin Chi). Les comédies sont corrosives, détruisant les fables méritocratiques et édifiantes du cinéma officiel : Foolish Bride, Naive Bridegroom (Hsin Chi, 1968) inverse les rôles traditionnels, montrant un garçon cloîtré par son père et une fille qui monte des stratagèmes pour l’enlever. Au début des années 1970, le cinéma en hoklo disparaît, vaincu par l’interdiction de la langue et le succès grandissant de la télévision. À son apogée en 1966, cette production atteignait plus de 100 titres par année.

Raymond Scholer