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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - novembre 2012

A propos du 65e Festival del Film Locarno

Article mis en ligne le 31 octobre 2012
dernière modification le 24 octobre 2012

par Raymond SCHOLER

La veille de l’ouverture du festival, le bon peuple fut convié, comme à l’accoutumée, à assister à une projection gratuite sur la Piazza Grande, en présence d’une grande dame du cinéma, Elsa Martinelli, toujours svelte et élégante. Mais pour quelle obscure raison avoir choisi La Risaia (1956) de Raffaello Matarazzo, une sorte de décalque du Riso Amaro (1949) de Giuseppe de Santis ?

Le récit suit un schéma mélodramatique éprouvé : un grand cultivateur de riz (Folco Lulli) reconnaît parmi les mondine (repiqueuses de riz) nouvellement arrivées sa fille naturelle, Elena (Martinelli). Il essaie de l’aider matériellement sans lui avouer son lien de parenté. Sa femme croit qu’il la trompe avec la jeune fille. Son neveu lubrique (Michel Auclair) poursuit Elena de ses assiduités et le garagiste (Rik Battaglia) dont Elena est amoureuse intervient in extremis pour interrompre le viol : mais le neveu ne survit pas à la bagarre. Le père endosse l’homicide involontaire pour assurer le bonheur de sa fille. En passant, on assiste au pugilat obligatoire entre ouvrières dans la rizière inondée et on peut méditer sur la condition de ces pauvrettes qui gagnaient à l’époque un kilo de riz par jour de labeur. Ce qui rend la vision du film pénible, c’est le recours systématique à la postsynchronisation qui souligne l’absence flagrante de talent chez les comédiens. Auclair et Lulli sont particulièrement indigents. On nous avait annoncé un classique, c’était plus proche du pensum. Gageons que Donatella de Monicelli (de la même année) eût été une meilleure carte de visite pour la Martinelli.

« The Sweeney » de Nick Love

Quel plaisir de voir les jours suivants des films nouveaux sur la toile géante de la Piazza. The Sweeney (2012) de l’Anglais Nick Love, basé sur une série tv culte des années 70, met en scène les démêlés d’une brigade d’intervention de la police londonienne, sous le commandement du massif et irascible Ray Winstone, avec des gangsters locaux alliés à des malfrats balkaniques, démêlés pimentés par des scènes d’action filmées à la steadycam fluide comme dans Heat (Michael Mann, 1995). Londres n’a jamais été aussi sexy au cinéma.
Sightseers (2012) de Ben Wheatley suit un couple d’Anglais de la classe ouvrière en vacances dans leur périple en caravane à travers la campagne anglaise. Lui s’offusque du manque d’égards des touristes qui jettent leurs ordures où bon leur semble, du manque d’éducation des ados et bientôt son dégoût lui fait commettre l’irréparable. Comme l’appétit vient en mangeant, le couple laisse derrière lui une série grandissante de cadavres et Tina veut s’essayer, elle aussi, à l’art noble du nettoyage par homicide. Le choix des victimes sera de plus en plus arbitraire. Les protagonistes de God Bless America (Bobcat Goldthwait, 2011), cité dans notre numéro précédent, étaient des intégristes timides en comparaison.

« The Sapphires » de Wayne Blair
© Diaphana Distribution

Au marché du film des distributeurs, signalons The Sapphires (2012) du réalisateur australien Wayne Blair sur un groupe de chanteuses soul aborigènes qui firent carrière à la fin des années ‘60 et furent même envoyées au Vietnam pour distraire les soldats. Le film, basé sur l’histoire des sœurs Laurel Robinson et Lois Peele, ne diffère guère d’autres biopics de popstars : il montre les péripéties de la montée vers le succès, mais s’arrête au faîte de la gloire, puisque ces femmes sont toujours en vie et ont tôt abandonné leur carrière musicale au profit de professions dans l’éducation, la médecine et l’administration. Il en résulte un feel-good movie qui séduit par le bagout irrésistible des 4 actrices et la drôlerie infectieuse de Chris O’Dowd, leur impresario.
Hope Springs de David Frankel (2012), annoncé comme une comédie, se révèle au contraire un constat plus amer qu’hilarant sur l’absence de tendresse physique qui ankylose tant de mariages arrivés à un certain stade, où le non-dit a hélas tendance à se confondre avec l’indicible. Meryl Streep entraîne son mari Tommy Lee Jones à consulter un conseiller matrimonial campé avec un détachement délicieusement sérieux par le comique Steve Carrel. Les différentes étapes de la prise de conscience et de la relance des échanges de caresses sont parcourues avec une patience scientifique qui est d’autant plus révélatrice que le sujet n’a presque jamais été abordé sous cet angle au cinéma. Les acteurs sont prodigieux de finesse et de justesse et mériteraient pleinement les oscars qu’ils ne recevront pas, car ce qui est trop près de la réalité est rarement récompensé.

Tommy Lee Jones et Meryl Streep dans HOPE SPRINGS« Hope Springs » de David Franke

Le seul film à peu près convenable de ce que nous avons vu de la compétition fut Starlet (2012) de Sean Baker. Le titre vient du nom du chihuahua de la jeune héroïne, Jane, mais peut aussi s’appliquer à sa personne, puisqu’elle fait ses premières armes d’actrice dans le porno. Elle n’a qu’un but dans la vie, passer du bon temps avec ses copines de travail, jusqu’au jour où elle découvre une liasse de billets de banque cachée dans un bibelot acheté à une vieille dame, Sadie, dans un vide-grenier. Cas de conscience ! La jeune femme essaie de faire plus ample connaissance avec Sadie, qui semble bien aimer sa solitude, et, de fil en aiguille, s’ébauche une amitié qui fera le plus grand bien à toutes les deux.

Quant à La Fille de Nulle Part (2012), le pardo d’oro, nous sommes bien contents que Jean-Claude Brisseau ait enfin remporté un grand prix dans un festival, mais fallait-il le donner à ce film mineur dans tous les sens du terme ? D’abord le sujet (un vieux prof de maths redonne goût à la vie à une jeune femme tabassée qu’il trouve sur son palier et se sacrifie pour elle) ne se distingue pas par son originalité. Ensuite, Brisseau a tourné avec une équipe des plus restreintes dans son propre appartement en se dirigeant soi-même dans le rôle principal devant une caméra vidéo, ne prêtant pas trop attention aux faux raccords et autres flottements du son, et proférant de doctes phrases bien articulées sur un ton pédant. Ce côté amateur finit curieusement par être plutôt charmant et nous dédommage des lieux communs que l’auteur prend manifestement pour des révélations métaphysiques.

Otto Preminger
La rétrospective Otto Preminger permit de (re)voir l’intégralité de l’œuvre (à une exception près : Porgy and Bess (1959), toujours enfermé dans un coffre-fort par les ayants droit). Preminger frappe fort dès son premier film, Die grosse Liebe (1931). A première vue, il s’agit de l’histoire des retrouvailles entre une mère et son fils, prisonnier de guerre, sur fond de dèche économique à Vienne. Sauf que ce n’est pas son fils ! Mais la mère, ayant attendu trop longtemps, veut garder l’illusion. Son entourage n’ose pas la détromper, même pas l’ancienne amie du vrai fils. Et le soldat est content d’avoir trouvé une famille et une copine, alors que d’autres vétérans, au chômage, se morfondent dans des chambrettes infectes. En passant, Preminger épingle les labyrinthes kafkaïens de l’administration et l’outrecuidance de la bureaucratie. Trois ans avant l’Anschluss, le ministre de l’Education offre au Juif Preminger la direction du Burgtheater, à condition qu’il se convertisse au catholicisme. Preminger préfère émigrer aux Etats-Unis (octobre 1935) et trouve tout de suite du travail comme metteur en scène à Broadway, et trois mois plus tard, à Hollywood, pour réaliser Under Your Spell (1936), une comédie musicale plaisante sur la rançon de la célébrité, avec le baryton Lawrence Tibbett.

cine die-Poldi Dur, Milton Berle et Otto Preminger dans « Margin for Error »

Danger : Love at Work (1937) est une screwball comedy de la meilleure veine : un agent immobilier essaie de convaincre les richissimes Pemberton de vendre un terrain qu’ils n’utilisent guère. Mais la famille est entièrement composée d’excentriques : John Carradine peint des chefs-d’œuvre sur toutes les surfaces qu’il trouve, y compris les fenêtres (pour les marines, il se met en situation dans un ciré, en se faisant asperger au moyen d’un arrosoir), Maurice Cass prétend vivre comme un homme des cavernes et s’habille de peaux de bêtes, Mary Boland oublie ou confond tout et tout le monde, Bennie Bartlett accumule les degrés universitaires à 12 ans, bref, comment faire signer un document officiel à une telle bande de cinglés ? Dans Margin for Error (1943), Preminger joue lui-même avec délectation le consul nazi à New York qui doit accepter la présence d’un policier juif (Milton Berle) en guise de protection. The Thirteenth Letter (1950) est une transposition réussie du Corbeau de Clouzot dans une bourgade du Canada. La belle Linda Darnell y traîne un pied bot et Charles Boyer, le directeur de l’hôpital, a une femme bien trop jeune, Constance Smith ! The Moon is Blue (1953) révèle la délicieuse Maggie McNamara, brune et menue comme Audrey Hepburn, qui n’a pas sa langue dans sa poche quand elle est draguée à la fois par William Holden et David Niven et leur tient la dragée haute. Carmen Jones (1954), entièrement interprétée par des Noirs, reste la plus belle adaptation de Georges Bizet (avec l’apport d’Oscar Hammerstein II) au cinéma : peut-être que la liaison entre le réalisateur colérique et la ravissante Dorothy Dandridge y fut pour quelque chose.

Jean Seberg dans « Saint Joan »
© Collection AlloCiné

Saint Joan (1957), d’après la pièce de Shaw, ose accentuer le côté jeune fille de Jeanne d’Arc en la faisant jouer par la sublime Jean Seberg. En fait, les actrices ayant jusque-là incarné la pucelle (qui n’avait que 16 ans au moment de la rencontre avec le Dauphin) avaient d’ordinaire le double de l’âge requis. Face à ces 40 kg d’héroïne pure, Richard Widmark campe un Dauphin ludique et immature qui préfère jouer à la marelle plutôt que de s’occuper des affaires d’État. A ceux qui trouvent que Preminger avait de la peine à prendre le train de la modernité, il suffit de conseiller Such Good Friends (1971), très mordante radiographie du couple qui contient une des séquences les plus cruelles du cinéma, lorsque James Coco, s’apprêtant à recevoir une gâterie de la part de Dyan Cannon, se dépêtre fébrilement de son corset pendant qu’elle a le dos tourné. Bref, puisque ces jours-ci, la Cinémathèque suisse vous offre un hommage à Preminger, n’hésitez pas à vous ruer sur les chefs-d’œuvre que sont : Laura, Angel Face, Daisy Kenyon, Bonjour Tristesse, Anatomy of a Murder, Exodus, Advise & Consent et autre The Cardinal .

Au mois prochain
Raymond Scholer