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Cine Die - novembre 2009

62e Festival International du Film Locarno : Tour d’horizon de la sélection “manga“, et quelques mots sur les Compétitions “Internationale“ et “Cinéastes du Présent“.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

Manga Impact
Il est rafraîchissant de voir un festival de réputation sérieuse abandonner pour une fois les sacro-saintes rétrospectives consacrées à des réalisateurs (même si cela recommence l’année prochaine avec Ernst Lubitsch) ou à des thèmes nobles (p.ex. « La Presse et le 7e Art » en 2004) pour se pencher sur un genre cinématographique, cela d’autant plus que le genre en question, l’animation japonaise ou animé, n’est guère en odeur de crédibilité artistique. Goldorak et les Pokémon ont trop abreuvé nos chères têtes blondes de leurs intrigues infantiles et de leur animation saccadée pour qu’il n’y eût pas de rejet global. Le cinéphile averti a bien entendu parler de Hayao Miyazaki, de Katsuhiro Ôtomo ou de Mamoru Oshii, considérés comme de vrais créateurs, mais le vaste continent manga, qui comprend aussi la bande dessinée nippone, est resté un terrain de spécialistes bien pointus.
Le Musée National du Cinéma de Turin et le Festival de Locarno ont donc mis en chantier un projet pédagogique de taille : fournir le fil d’Ariane qui nous permettra de nous retrouver dans le dédale hautement diversifié et complexe d’un univers qui nous paraît a priori trompeusement monolithique.
Nous avons prudemment commencé notre approche par une œuvre reculée dans le temps, The White Snake Enchantress (Taiji Yabushita, 1958). Ce film, qui ressemble dans sa fluidité aux produits occidentaux de l’époque, est le premier long métrage d’animation japonais en couleur. Basé sur un conte chinois datant de la dynastie Song, le film raconte la belle histoire d’amour entre un jeune homme et son serpent apprivoisé, qui, en grandissant, acquiert le pouvoir de se transformer en femme. (Vous avez dit symbole ?) Un moine voit dans ce pouvoir l’essence même du mal et sépare les deux amants. Accompagné d’un panda poltron et d’un renard intrépide, le jeune homme se lance dans la quête de son amour perdu. Pas de kimonos, mais des robes aux longues manches caractéristiques : c’est un film japonais, mais on le prendrait sans autre pour un film chinois. Nous avons appris que le président de la Toei voulait ainsi exprimer son désir de réconciliation avec ses voisins asiatiques.

« Galaxy Express 999 » de Rintaro

Parmi l’équipe de 1350 personnes qui ont œuvré sur le film, un jeune animateur du nom de Rintaro fait ses premières armes. Vingt ans plus tard, il allait diriger une œuvre maîtresse du cinéma fantastique d’animation, Galaxy Express 999 (1979). Splendide voyage initiatique à travers les étoiles, l’histoire fait totalement fi des contraintes spatio-temporelles de la physique. L’express en question est un train à vapeur qui démarre à l’horizontale sur des rails traditionnels avant que ceux-ci ne s’élèvent dans les airs sans support. Ayant pris son élan sur cette curieuse rampe de lancement, le train se lance dans le vide, interplanétaire ou intersidéral, peu importe, le voyage vers la nébuleuse d’Andromède ne nécessitant guère plus de temps que celui vers Saturne. Aux multiples arrêts le jeune héros, en quête d’un corps mécanisé pour devenir immortel, est confronté à des situations exotiques et des personnages hauts en couleurs qui font le prix de cette pérégrination poético-fantaisiste : tout concourt à lui rappeler qu’il n’y rien de plus précieux qu’être humain et mortel.
Si la science-fiction domine le fantastique animé actuel avec ses cohortes de cyborgs, il n’en a pas toujours été ainsi. Eiichi Yamamoto, l’auteur de Kimba the White Lion (1966) (que d’aucuns accusent Disney d’avoir copié pour The Lion King (Rob Minkoff, Roger Allers, 1994)) s’adonnait aux délices du merveilleux traditionnel avec une transposition irrévérencieuse, ultrarapide et diablement érotique de One Thousand and One Nights (1969) avant de faire un éloge de la femme libre (et donc potentiellement subversive) dans une adaptation un tantinet chichiteuse de La Sorcière de Michelet, Belladonna of Sadness (1973).Yamamoto a hélas trop vu Yellow submarine (1968, George Dunning) et d’autres dessins animés sacrifiant à la vogue psychédélique. Et, comble de paresse, il accumule, sans aucune justification, des zooms avant sur des dessins figés. En dépit ou plutôt à cause de ces partis pris, le film est d’une originalité indéniable.
Mais le réalisme a aussi droit de cité dans l’animation japonaise. Mes voisins les Yamada (1999) d’Isao Takahata décrit avec une économie de trait incomparable (seuls les éléments de décor immédiatement touchés par les personnages sont dessinés) des petits événements poétiques ou marrants qui ont lieu dans le quotidien d’une famille typique, chaque saynéte étant introduite par un haïku.

« Belladonna of Sadness » de Eiichi Yamamoto

Aucune reconstitution live n’a pu rendre jusqu’à maintenant l’horreur d’Hiroshima le jour du 6 août 1945. Shohei Imamura dans Pluie noire (1989) se contente de quelques plans de destruction atomique avant de s’occuper des séquelles sociales que doivent affronter les survivants plus tard dans une société coincée par les tabous. En revanche, Barefoot Gen (Masaki Mori, 1983), basé sur le manga semi-autobiographique de Keiji Nakazawa, ne quitte pas Hiroshima et est capable, grâce à l’effet de distanciation intrinsèque de l’animation, de parler sans fausse gêne du cauchemar sans fin qui s’abat sur le petit Gen à partir du moment où la bombe tombe. Il voit, impuissant, périr son père, sa sœur aînée et son petit frère dans l’incendie de la maison. Seule sa mère enceinte jusqu’au cou survit et accouche dans les ruines fumantes, parmi les pauvres hères qui errent, la peau en lambeaux. Gen doit aller à la recherche de nourriture et de lait pour le bébé. Le regard posé sur les survivants est ici implacable : les salauds et les égoïstes ne sont pas moins nombreux que les miséricordieux. Gen et sa mère adoptent un orphelin qui leur rappelle le petit frère mort. Mais le bébé meurt. Il y a une suite au film, réalisée en 1986, Barefoot Gen 2, dont Locarno a fait l’économie.

Compétition Internationale
Le meilleur film de la compétition à mes yeux était aussi un animé : Summer Wars (2009) de Mamoru Hosoda. Deux génies de l’informatique attachés à la même famille réussissent, en unissant leurs capacités, à sauver le Japon de l’emprise d’un virus internet qui a réussi à paralyser le pays par le truchement de commandes erratiques aux outils de gestion des communications, de l’énergie et des transports. Le monde virtuel de Oz, où tout le monde fait ses achats, s’informe et joue, est réalisé avec une inventivité de tout instant, alors que la maison familiale du clan a la robustesse et l’immuabilité d’un château de shogun. C’est par la cohésion de la famille et le recours à des valeurs ancestrales de loyauté et de probité que les problèmes sont vaincus.
C’est sans doute ce qui a déplu au jury qui a préféré donner des prix à des œuvres live qui mettaient en scène des personnages mus par des choix individuels de renoncement, de solitude voire d’égoïsme à une époque qui, paradoxalement, requiert exactement le contraire. Mais pour une fois, on ne peut pas trop se plaindre, car les films couronnés sont vraiment de bonne facture.

« Nothing Personal » de Urszula Antoniak

Ainsi Nothing Personal (Pays-Bas/Irlande) de la Polonaise Urszula Antoniak (Léopard de la première œuvre et prix de la meilleure interprétation féminine pour Lotte Verbeek) organise-t-il la rencontre entre deux êtres qui se sont détachés du monde, une jeune Hollandaise qui a tout abandonné pour se lancer sur la route et un vieil ermite qui depuis la mort de sa femme ne s’occupe plus que de sa maison, retiré dans la campagne du Connemara. D’abord, ils conviennent d’un simple marché : nourriture contre travail. Pas d’interaction, pas de compromission avec leur soif de solitude ! Mais la curiosité naturelle programme le schéma inverse. Le suspense, qui est plus insoutenable que dans un Hitchcock, concerne le degré d’apprivoisement, voire d’attachement auquel les deux personnages vont consentir. Sans se rendre compte, ces durs avancent sur la carte du Tendre. Mais la fin n’est pas celle qu’on escompte. Un premier long métrage d’une maîtrise et d’une beauté sidérantes.

She, A Chinese (Royaume Uni, France, Allemagne) de la romancière chinoise Xiaolu Guo (Léopard d’or) concerne également une jeune femme égocentriste, Mei, qui veut pleinement profiter de toutes les occasions et de toutes les rencontres pour améliorer son sort. Les incessantes remontrances de sa mère, paysanne misérable et ronchonneuse, et le viol par le camionneur local l’incitent à quitter son village natal sans égards pour son ascendance. Dans la grande ville, après divers emplois, elle devient l’amie d’un gangster qui meurt à ses pieds et lui laisse une fortune en billets dans son matelas. Sans hésiter, elle se paie un billet pour Londres et drague un septuagénaire qui l’épouse et qu’elle quitte bientôt pour les ardeurs juvéniles d’un Pakistanais musulman. L’avenir semble rose, mais elle n’a pas compté avec la religion. Elle est obligée de se remettre en route. Mais, citoyenne britannique, elle trouvera sans doute plus loin chaussure à son pied, tant son énergie et sa capacité d’adaptation semblent inépuisables.

« She, a Chinese » de Xiaolu Guo

Compétition Cinéastes du Présent
Cette section est censée représenter les œuvres les plus « audacieuses » du festival. L’adjectif se laissant appliquer à tout et à rien, du moment que ça sort du lot, nous pûmes y voir le film le plus imbécile qu’on ait vu de mémoire de festivalier. Cela s’appelle Ivul et c’est réalisé par Andrew Kötting, un cinéaste qu’on connaît depuis Gallivant (1997 ; où le réalisateur, sa mère et sa fille atteinte du syndrome de Joubert font le tour de la côte britannique) et This Filthy Earth (2001, une adaptation de La Terre de Zola). Ce réalisateur comptait parmi les grands espoirs britanniques du cinéma moderne. Las ! Est-ce parce que le film est une production suisse (avec tout ce que cela implique d’artificiel et de fabriqué) et fait appel aux incontournables comme Jean-Luc Bideau (qui incarne un très improbable hobereau russe) et à des acteurs qui ne font pas le poids ou parce que l’histoire de ce jeune garçon qui, faussement accusé d’avoir violé sa sœur, quitte sa famille pour aller vivre au-dessus du sol est en soi d’une niaiserie insupportable, la mayonnaise ne prend jamais et la mélancolie surréaliste essaie en vain de poindre.

Au mois prochain

Raymond Scholer