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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - novembre 2008

Neuchâtel International Fantastic Film Festival 2008 : Compte-rendu.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

Profondo Giallo
Le thriller transalpin des années 70, longtemps balayé sous le tapis par la critique sérieuse, fut réhabilité dans les années 90 par des francs-tireurs américains qui découvraient avec émerveillement en vidéo la richesse du cinéma populaire européen : celui-ci n’hésitait pas à assaisonner de généreuses doses d’érotisme et d’horreur des enquêtes policières faisant souvent appel à des désaxés, des tueurs en série, ou à des machinations diaboliques.

« Sei donne per l’assassino » de Mario Brava

Mario Bava avec Sei donne per l’assassino (1964) est peut-être à considérer comme le père fondateur du giallo, Dario Argento comme son pape. En 14 films, le NIFFF ouvre une fenêtre sur le genre, qui laisse entrer le meilleur comme le pire. Il Plenilunio delle vergini (Luigi Batzella, 1973, où la comtesse Dolingen de Vries, vampire de son état, boit du petit sang) atteint le fond (et creuse encore). Il dolce corpo di Deborah (Romolo Guerrieri, 1971) est en fait celui de Carroll Baker, la sirène de Baby Doll (Elia Kazan, 1956) qui prouve ici, au début de sa carrière italienne, qu’elle a encore de beaux restes que les négligés ne négligent point. Son mari essaie de se débarrasser d’elle avec force machiavéliques machinations, hélas d’autant plus risibles qu’il est incarné par le monolithique Jean Sorel, belle gueule, mais piètre acteur. Orgasmo (Umberto Lenzi, 1969) voit Mademoiselle Baker en blonde pleine aux as séduite par le voyou Lou Castel et, cette fois-ci, on marche. Surtout lorsque Lou amène sa collaboratrice, la délicieuse Colette Descombes, pour inciter la richissime proie à un pervers ménage à trois et à la consommation mal contrôlée de drogues. Bientôt les jeunes insolents seront les maîtres de la maison. Lenzi entretient un suspense retors, car le spectateur aimerait savoir jusqu’où cela va aller. La réputation du film dans le canon du giallo est en tout cas pleinement mérité. On ne saurait en dire autant de Cosa avete fatto a Solange ? (Massimo Dallamano, 1972), qui ne déparerait pas un épisode de Derrick, abstraction faite de quelques allusions incestueuses. Suor Omicidi (Giulio Berruti, 1978) arpente le fil du rasoir très ténu entre le ridicule et le sulfureux, avec une Anita Ekberg en religieuse-infirmière belge qui doit lutter contre sa libido, lutte qu’elle abandonne de haute main pour aller, en habits civils, se faire mettre à Zurich (!) sous une porte cochère par le premier venu. Elle essaie en vain d’oublier dans la drogue ce péché, d’autant plus qu’une novice perverse, la pulpeuse Paola Morra, lui prodigue à volonté des caresses saphiques de derrière les fagots. Essayez donc avec tout ça de ne pas perdre la raison !

« Vincent le Magnifique » de Pascal Forney

Compétition
Côté courts métrages, la Suisse se signalait par un dessin animé d’un loufoque exceptionnel que souligne un trait d’une belle vigueur, Die Seilbahn (Claudius Gentinetta et Frank Braun, 2008), où un vieux pépère s’élance vers les hauteurs dans une minuscule cabine de télésiège. L’utilisation de tabac à priser provoque chez lui une cascade d’éternuements, au rythme desquels la cabine se déglingue. Qu’à cela ne tienne : le vieil homme utilise son rouleau de papier collant pour colmater les brèches, faisant finalement ressembler la cabine à une momie qui ne tient ensemble que par ses bandelettes. Le comique est amplifié par l’imperturbable calme du personnage qui, à chaque fois qu’il dépose un bout de tape, considère le problème comme résolu en s’exclamant « Et voilà ! »

N’ayant pu voir la moitié des longs métrages en compétition (dont deux qui ont raflé des prix), je me sens mal venu de disserter de la pertinence de la sélection. Manhunt/Rovdyr (2008) du Norvégien Patrik Syversen est un survival routinier où des jeunes campeurs se font exterminer un à un par des chasseurs (dont on ne comprend ni les motivations ni les spécialités) dans les profondeurs d’une forêt (où il n’y a pas de réseau, comme on dit de nos jours) : si l’entrée en matière, apparemment déclenchée par quelques remarques hostiles de la part des jeunes, est fulgurante de violence, la suite est une lassante énumération de cas de figure épuisés depuis belle lurette. Pas la moindre perversion ne semble effleurer la psyché des frustes saigneurs.

« Shadows / Senki » du Macédonien Milcho Manchevski

Shiver/Eskalofrio (2008) de l’Espagnol Isidro Ortiz invente l’excuse parfaite pour plonger son histoire dans les pénombres sylvestres : son héros adolescent souffre de photophobie. La famille se réfugie donc dans un village situé au fond d’une cuvette montagneuse. Lorsque des moutons, puis des humains, sont retrouvés la gorge arrachée, les villageois soupçonnent d’abord le jeune outsider (l’obligation de vivre dans l’obscurité leur rappelle sans doute des histoires de vampire) avant qu’on découvre qu’une petite fille sauvage, marginalisée par une longue, pénible et peu crédible histoire d’abandon et d’abus, est l’auteur des massacres. Disons que cela a beaucoup de peine à tenir debout. Dans Shadows/Senki (2007) du Macédonien Milcho Manchevski, un jeune médecin qui sort d’un coma, suite à un accident de voiture, découvre que ses repères ont changé. Sa femme s’est distancée de lui. Une nuit, il trouve une vieille femme dans son appartement qui lui lance des avertissements dans un dialecte inconnu. Il en note sagement les paroles et les fait traduire : « Rends ce qui n’est pas à toi et sois respectueux. » De quoi peut-il s’agir ? De fil en aiguille, on se rend compte que le héros est en contact avec les morts (comme dans Le Sixième Sens (1999) de M. Night Shyamalan) et que ce qu’on lui réclame sont des ossements de Macédoniens de l’Egée, victimes du nettoyage ethnique perpétré par les Grecs pendant les guerres balkaniques de 1912/13, ossements que la mère du héros avait volés d’une fosse commune pour les utiliser dans ses cours d’anatomie. Les contacts avec l’au-delà sont rendus plus tangibles – pour le médecin – par la messagère des morts, une jeune femme dont il tombe éperdument amoureux, quitte à la voir s’estomper au dénouement du film. Par le truchement d’une fiction toute en sensualité, Manchevski rappelle à notre mémoire un génocide oublié que les Grecs actuels sont aussi peu enclins à reconnaître que les Turcs celui des Arméniens.

« Sukiyaki Western Django » de Takashi Miike

Le film le plus surprenant de la compétition était Sukiyaki Western Django (2007) de l’éternel revenant Takashi Miike. En pendant de Letters from Iwo Jima (Clint Eastwood, 2007), entièrement parlé japonais, Miike a réalisé le premier film japonais entièrement parlé anglais (alors que le seul anglophone de l’équipe est Quentin Tarantino !). Le film se donne comme un hommage au western italien, notamment Per un pugno di dollari (Sergio Leone, 1964), dont on sait qu’il est le remake d’un film japonais, Yojimbo (1961, Akira Kurosawa), lui-même inspiré du roman Red Harvest (1928) de Dashiell Hammett. L’intrigue est connue : un étranger arrive dans une ville sous la coupe de deux clans en guerre et se met à jouer les uns contre les autres. Comme quoi les bonnes histoires sont reprises et hybridées dans une perpétuelle sarabande des cultures, dont Miike mêle ici savamment les traditions historiques et stylistiques. Il place l’action au Nevada du XIXe siècle avec des références délibérées à la trilogie de Shakespeare sur la Guerre des Roses (King Henry VI), mais ses guerriers samouraïs se battent aussi avec des katanas, comme les clans Minamoto et Taira dans le Heike Monogatari. Il y a une histoire à la Roméo et Juliette qui se greffe dessus, ils ont même un gosse (le futur Django), mais les deux parents meurent sans que les Montaigu se réconcilient avec les Capulet. En matière de croisements, Miike s’y donne à cœur joie. Jubilatoire.

Raymond Scholer