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Le cinéma au jour le jour
CINE DIE - mars 2022

Compte-rendu

Article mis en ligne le 28 février 2022
dernière modification le 30 mars 2022

par Raymond SCHOLER

Énumération des meilleurs films de l’année 2021 selon l’auteur, et coup d’oeil sur la programmation de la Cinémathèque suisse.

Les meilleurs films de 2021
Pour la seconde année consécutive, j’ai vu plus de films à la maison (56%) qu’en salle. En passant, j’ai dû me rendre à l’évidence : quand bien même le souvenir d’un film consommé à la télévision est bien plus friable que celui d’une toile vécue au cinéma, on passe à côté de plein de bonnes choses si on évite les plateformes. Vous trouvez, comme d’habitude, le choix de mes 15 coups de cœur dans le seul ordre alphabétique, toutes tailles confondues.

1. Benedetta de Paul Verhoeven : une nonne de la Renaissance, dans la Toscane du 17e siècle, a compris le pouvoir de son sexe et l’utilise comme arme à son avantage, promouvant rien de moins que la prise de pouvoir par les lesbiennes dans la hiérarchie ecclésiastique de Pescia. Benedetta a tôt reconnu l’hypocrisie et la manipulabilité d’une doctrine qui croit en la transcendance de la chair, alors qu’elle est en réalité obsédée par le corps, ses contorsions et transformations. Cette obsession est encore ravivée par la menace de la peste noire.

Virginie Efira dans « Benedetta »

2. Compartiment No.6 du Finlandais Juho Kuosmanen décrit la lente éclosion de sentiments entre une Finlandaise intellectuelle et un Russe prolétaire lors d’un voyage ferroviaire vers le Septentrion de la péninsule de Kola, quelque part dans les années 1990. (Voir Cine Die novembre 2021)

3. DAU : Degeneration des Russes Ilya Khrjanovsky et Ilya Permiakov : cette immersion hallucinatoire dans le mode opératoire du système soviétique, tel qu’il fut appliqué dans le curieusement nommé Institut des Problèmes physiques de Moscou au lendemain de la Grande Guerre patriotique, est conseillée sans réserve, même si elle vous ôte six heures de votre existence. Vu en streaming. (Voir Cine Die mars 2021)

4. Drive my Car du Japonais Ryusuke Hamaguchi. Un metteur en scène de théâtre, invité à créer un Oncle Vanya polyglotte pour le festival d’Hiroshima, et sa chauffeuse attitrée se découvrent des liens insoupçonnés dans cette émouvante histoire de deuil et de renouveau, basée sur une nouvelle de Haruki Murakami. Un film qui révère la lenteur – le générique du début n’arrive que 40 minutes après le début du film – sans qu’on ressente le moins du monde une envie d’accélérer.

Benjamin Voisin et Vincent Lacoste dans « Illusions perdues »

5. Illusions perdues du Français Xavier Giannoli, la meilleure adaptation de Balzac depuis des lustres, avec entre autres une charge impitoyable contre la presse de boulevard.

6. The Last Duel de l’Anglais Ridley Scott, où un cinéaste de 84 ans montre en quoi le violeur et la violée ont des perceptions différentes de l’acte et pourquoi ces différences, quoique minimes de fait, sont si énormes dans le vécu. Accessoirement, le 14e siècle, où l’affaire est jugée par ordalie, est restitué de main de maître.

Matt Damon et Adam Driver dans « The Last Duel »

7. Limbo du Hongkongais Soi Cheang donne une vision apocalyptique de sa ville presque natale (il est né à Macao), vue comme une excroissance d’égout pleine de miasmes putrides et de magmas difformes où grouille une humanité miséreuse qui cache les pires turpitudes, bref, une vision dantesque qui doit certainement tomber sous la nouvelle loi sur la sécurité nationale. Vu en streaming. (Voir Cine Die septembre 2021)

8. My Missing Valentine du Taiwanais Yu-Hsun Chen, qui raconte la cour patiente que fait un jeune homme plutôt lent à une prunelle de ses yeux qui est beaucoup trop speed pour le remarquer, jusqu’au jour où le Destin décide de figer la demoiselle pour que le sigisbée puisse la rattraper. La plus romantique des histoires d’amour. (Voir Cine Die septembre 2021)

9. Nomadland de la Chinoise Chloe Zhao a été vu par tout le monde et j’aimerais plutôt signaler ici que sa superproduction Marvel, The Eternals, n’est pas si nulle que ça : lorsque Zhao évoque les jardins suspendus de Babylone ou la noche triste de Tenochtitlan, je me suis surpris à rêver de superproductions historiques qu’elle pourrait mettre en scène sur ces deux sujets, n’en déplaise à un éminent critique genevois.

Kanji Tsuda dans « Onoda »

10. Onoda de Arthur Harari décrit l’odyssée interminable du soldat japonais homonyme qui a survécu pendant une trentaine d’années dans la jungle de Luzon, parce qu’il ne voulait pas admettre la vérité de la défaite qui lui fut révélée déjà par haut-parleur au début des années cinquante. On sort de cette épreuve en se disant que le cinéma japonais fait quand même très fort. Sauf que, hormis les acteurs, il n’y a que des Français dans cette production hexagonale.

Mélanie Laurent dans « Oxygène »

11. Oxygène du Français Alexandre Aja : une femme se réveille dans un caisson pressurisé où une fuite d’oxygène vient d’être détectée, ce qui a déclenché une alarme. Son seul contact est la voix d’un robot informatique qui répond à ses questions, mais n’en pose jamais. À elle de se débrouiller pour découvrir son identité, sa raison d’être dans ce lieu et sa stratégie pour assurer sa survie. Le nombre de sujets traités dans cet exercice de SF claustrophobe est proprement renversant. Vu en streaming.

12. The Power of the Dog de la Néo-Zélandaise Jane Campion : sur fond de western, une magistrale étude entomologique de mâles, toxiques ou pas, en porte-à-faux avec la norme genrée. Kody Smit-McPhee crée une nouvelle espèce à lui tout seul.

Benedict Cumberbatch et Kodi Smit-McPhee dans « The Power of the Dog »

13. Quo vadis, Aida ? de la Bosniaque Jasmila Zbanić : évocation ultra immersive du massacre de Srebrenica, par le truchement d’un personnage impliqué des deux côtés, une interprète qui travaille pour les Casques bleus néerlandais, tout en essayant de sauver les hommes de sa famille arrêtés par les troupes de Mladić.

14. The Suicide Squad de James Gunn : La troupe de choc létale de la CIA, qui n’en est pas à des dizaines de bavures près, accoste cette fois-ci sur une île des Caraïbes dont le potentat héberge une arme de destruction massive, à savoir un titanesque alien télépathe contrôlé par un savant fou. À première lecture, donc, on serait tenté de passer son chemin. Mais on passerait à côté de la meilleure comédie de l’année, car ces mercenaires loufoques sont tous plus décalés les uns que les autres (la palme revenant à Margot Robbie) et le rythme est encore meilleur que dans les Gardiens de la Galaxie (2014, 2017).

Margot Robbie dans « The Suicide Squad »

15. West Side Story de Steven Spielberg. Plus qu’un simple remake : un des sommets du musical américain, genre qui s’est d’ailleurs enrichi d’un autre fleuron en 2021, In the Heights de John M.Chu.

Le meilleur film suisse est Und morgen seid ihr tot de Michael Steiner.
Le film le plus inepte de 2021 est Petite maman où une petite fille, dans un bois censé magique, fait la rencontre de sa maman quand elle avait le même âge qu’elle : le dialogue nunuche ânonné par des actrices sans talent et la mise en scène d’une platitude désespérante définissent ce premier faux-pas de Céline Sciamma, la papesse du cinéma féministe. Aux dernières nouvelles, ses thuriféraires pensent qu’il s’agit quand même d’un chef-d’œuvre.

Festival Black Movie online
Deux plats de résistance s’offraient d’emblée, les dernières œuvres de grands cinéastes.

« Babi Yar. Contexte »

Avec Babi Yar. Contexte , l’Ukrainien Serguéi Loznitsa a mixé documents officiels et films amateur tournés par des soldats et des civils (mais sans les coloriser, comme Peter Jackson fit pour They Shall Not Grow Old, 2018) pour donner une chronique des événements consécutifs à l’occupation allemande de l’Ukraine en juin 1941. Babi Yar est ce ravin à proximité de Kiev, où le Sonderkommando 4a de la Einsatzgruppe C, assisté de deux bataillons de police ukrainiens, a fusillé, les 29 et 30 septembre 1941, 33771 Juifs, vieillards et nourrissons compris. C’est un trou noir dans ce documentaire, parce qu’aucune caméra n’a enregistré le moindre instant de ce massacre, alors que la marche de cette population vers le lieu de son exécution a eu lieu en plein jour devant des milliers de témoins. La raison du silence assourdissant des citoyens ukrainiens est peut-être due à une longue tradition du pays (voir les pogroms antisémites de 1919), qui faisait des Israélites les boucs émissaires quand cela allait mal. Lorsque Lvov/Lemberg est occupé fin juin et qu’on découvre que la police secrète soviétique a exécuté des détenus avant son départ, les Allemands donnent l’ordre à la milice ukrainienne de réunir les Juifs locaux à la prison où ils seront accusés de collaboration, passés à tabac et violés, des scènes qui rappellent les règlements de compte à la Libération. Le fait que la population ait accueilli la Wehrmacht justement comme une armée de libération est certainement à chercher dans la mémoire encore toute fraîche de la famine imposée par Staline, le Holodomor de 1933. De Babi Yar survivent des photos sur les effets personnels (habits, chaussures, une jambe de bois) laissés par les victimes et un article de journal vantant « Kiev libérée des barbares orientaux ». Il a fallu un procès en 1946 pour révéler la vérité grâce au témoignage de quelques survivants et officiers SS.

« Chers Camarades ! » de Andréi Kontchalovski

Chers Camarades ! du Russe Andréi Kontchalovski revient sur un événement peu connu de l’ère Krouchtchov, la tuerie de Novotcherkassk de juin 1962. Mais contrairement au film de Loznitsa sur un sujet semblable, Kontchalovski a choisi de tourner une fiction autour d’une relation mère/fille. L’épouse du réalisateur incarne une fonctionnaire consciencieuse du Parti qui, soldate pendant la Grande Guerre patriotique, regrette amèrement Staline car, selon elle, les rayons vides dans les supermarchés et les prix qui n’arrêtent pas de monter n’ont pas existé sous sa férule. Sa fille ado travaille dans la fabrique ferroviaire dont les ouvriers sont en plein soulèvement contre les bas salaires. Pour prévenir une extension de cette révolte, le KGB fait tirer sur la foule des protestataires et la mère s’inquiète pour sa fille qui n’est pas rentrée, mais ne figure pas non plus parmi les victimes à l’hôpital ou à la morgue. Les autorités cadenassent la ville, cachent le sang versé sous une nouvelle couche d’asphalte et interdisent toute allusion aux événements sous peine de mort. La mère sollicite l’aide d’un capitaine sympathique du KGB pour localiser sa fille, fût-ce dans un cimetière. Aimera-t-elle enfin un peu moins Staline ?

Maria Popistasu et Luca Sabin dans « Intregalde »

Intregalde du Roumain Radu Muntean suit une voiture d’une ONG qui porte de la nourriture aux nécessiteux d’une région reculée de Transylvanie. Les humanitaires recueillent un vieillard qui s’enfonce à pied dans la forêt et se laissent guider par lui sur un chemin non entretenu, où leur voiture s’embourbe définitivement, alors que la nuit tombe et que le vieillard ne tient pas en place. Joli exemple d’ultra réalisme du nouveau cinéma roumain, prouvant qu’un rien de scénario peut tenir le public en haleine si les personnages sont convaincants.

Ot/Feu de la Kazakhe Aizhana Kassymbek décrit avec beaucoup d’humour les tribulations d’un livreur de pains industriels au visage de chien battu, Tolik, qui croule sous les dettes, alors que son épouse attend un nouveau môme et que sa fille aînée est enceinte d’un camarade de classe dont la famille huppée refuse de reconnaître l’implication. Bref, d’autres coups durs pleuvront sur le pauvre Tolik, mais comme pour montrer que rien ne le terrassera, il se lance à la fin du film dans une spectaculaire danse latine qui lui aurait valu l’embauche immédiate dans un cabaret. Hélas, il n’y avait pas de témoins. Au pays de Nazarbaïev, on a encore la force de narguer le destin.

Mars à la Cinémathèque
Roberto Rossellini fait l’objet d’une rétrospective pas tout à fait complète, mais quand même impressionnante. Des comédies avec Totò comme La Macchina ammazzacattivi (1952) et Dov’è la libertà ? (1955) ou le documentaire India Matri Bhumi (1959) ne courent pas les rues. Même en version française, Jeanne au bûcher, captation scénique d’un oratorio de Paul Claudel et Arthur Honegger, avec Ingrid Bergman dans le rôle de la Pucelle, devrait attirer un public d’aficionados. Les grands titres, depuis Roma città aperta (1945) au garibaldien Viva l’Italia (1961), sont tous de la partie.

Jean-Paul Belmondo et François Périer dans « Stavisky »

Un hommage à Jean-Paul Belmondo permettra de revoir le plus rare et le plus sérieux de ses films, Stavisky d’Alain Resnais, où il incarne avec brio le grand financier et filou de la IIIe République.

Raymond Scholer