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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mars 2014

Livres de cinéma

Article mis en ligne le 1er mars 2014
dernière modification le 12 mars 2014

Trois pavés monumentaux français ont paru en 2013.

Le plus exigeant est sans conteste Hollywood : Le Temps des Mutants de Pierre BERTHOMIEU (aux éditions Rouge profond) dont les 729 pages de texte ne se lisent pas comme un roman, culture universitaire oblige. Il fait suite à deux précédents volumes, Hollywood Classique : Le Temps des Géants (2009, 582 p.) et Hollywood Moderne : Le Temps des Voyants (2011, 715 p.), où l’auteur, maître de conférences en études cinématographiques à l’université Paris-Diderot (Paris VII) et manifestement connaisseur hors pair en matière d’arts visuels, passe le cinéma commercial le plus décrié du monde, c’est-à-dire le cinéma hollywoodien au crible de la théorie hégélienne de l’art.

« Tout art classique, comme l’est l’art hollywoodien, vise l’universel et propose une lecture universelle du singulier. Hollywood brasse des mythes primordiaux et brasse à même le mythe pour se gagner le public le plus large. » (Introduction au premier volume) Le philosophe cinéphile ne peut admettre qu’il soit légitime d’admirer Stagecoach ou Vertigo , et qu’aimer The Sound of Music ou Doctor Zhivago soit suspect. Culture noble, culture populaire : triste manichéisme. Hollywood, c’est la poignée de mains de Mickey Mouse et du grand chef d’orchestre Leopold Stokowski dans Fantasia . Foin donc de la hiérarchie des formes d’art ! Sur 2000 pages, Berthomieu opère des renvois, des rapprochements, compare des repères iconiques, décèle des éléments de style et d’esprit à l’aide d’une myriade de photogrammes, qui, pour mesurer à peine quelques centimètres, constituent quand même un appui indispensable au texte. La mutation dont il est question dans le dernier volume concerne la fin de la pellicule, qui avait encore une existence physique, et l’essor du numérique, qui traduit la matière en chiffres et crée paradoxalement des corps qui n’existent pas en réalité. Les 64 pages que l’auteur consacre à « Spielberg, War Horse et le cinéma romantique » valent à elles seules le prix d’achat (€ 50.-).

Le plus gros des pavés est Annales du Cinéma Français : Les Voies du Silence 1895- 1929 de Pierre LHERMINIER (éd. Nouveau Monde) : format A4, 1060 pages de texte, 60 pages de références et index, € 89.-. Le livre suit « pas à pas, presque au jour le jour, l’actualité de la vie professionnelle du cinéma sous ses divers aspects, avec ses aléas, ses crises, ses débats, en mettant l’accent sur la vie et le travail de ceux qui l’ont fait, et les œuvres majeures qui en sont nées. Il en résulte un récit vivant, richement documenté et abondamment illustré, grâce auquel c’est au cœur même de l’histoire du cinéma français en train de se faire, et dans le contexte de son temps, que le lecteur est invité à pénétrer. » L’année 1895 est introduite par la phrase géniale : « Au commencement était Lumière. »

La suite vérifie ce qu’on suppute : Lherminier est un véritable écrivain : le style est alerte et ce « Journal du cinéma » se lit comme un roman. Parallèlement au texte principal courent en filigrane un autre qui périodiquement relie le cours des affaires cinématographiques à celui de la politique et de la société dans son ensemble et un troisième qui donne la chronologie de faits marquants. Des « Plans rapprochés » éclairent en outre de manière complémentaire certains sujets ou moments, comme l’incendie du Bazar de la Charité qui fit « passer le cinéma, durant quelques mois, pour un engin plus meurtrier que le canon de 75, entouré pourtant depuis l’affaire Dreyfus d’une terrifiante réputation » selon les mots de Henri Fescourt. Grâce à tous ces apports et aux citations nombreuses, le livre fourmille d’informations précises et précieuses. Un exemple : l’année 1902 correspond pour Georges Sadoul aux débuts de l’art du film, car «  Voyage dans la Lune de Georges Méliès impose universellement la pratique de la mise en scène. Il est symbolique que ce film ait permis en octobre 1902 aux frères Tally de fonder le premier cinéma non forain, à quatre murs, ayant jamais existé à Los Angeles, et qu’il ait ainsi imposé l’art du film à cinq ou six lieues d’une bourgade nommée Hollywood ». Et en 1903, Méliès installe des bureaux à New York, déterminé à s’opposer aux contrefaçons américaines. Mais je ne vais pas vous raconter la suite : il y en a encore pour 800 pages.

Le troisième pavé est un peu le résumé d’une vie. Jean-Pierre ANDREVON, écrivain de science-fiction et collaborateur, depuis sa création en 1969, de la revue L’Ecran Fantastique , recense de la manière la plus complète possible ce qu’on peut imaginer trouver dans un ouvrage intitulé 100 Ans et plus de Cinéma Fantastique et de Science-Fiction (éd. Rouge Profond, 1074 pages de texte, mais un peu plus large et un rien moins lourd que le précédent).

Pas d’index, car l’organisation est simplement lexicale : ordre alphabétique des titres (d’ordinaire français) des films, des noms propres et des sujets confondus. Plus de 17’000 films sont mentionnés, 4’000 ont leur propre notice critique. Cela commence avec À des millions de kilomètres de la Terre/20 million Miles to Earth (Nathan Juran, 1957) – film célèbre pour la créature gigantesque mi-gargouille médiévale, mi-tyrannosaure de feu Ray Harryhausen - et se termine sur Zucco, George, acteur britannique spécialisé dans les savants fous. Chaque notice est signée, car plusieurs rédacteurs de L’Ecran Fantastique , notamment Pierre Gires, ont assisté Andrevon dans l’élaboration de cette Bible qui est à recommander à tout amateur éclairé du genre. Le prix de € 142.- n’est pas excessif, car 2300 images de bonne tenue agrémentent le papier glacé.

Les amateurs de cinéma populaire liront avec profit la synthèse pertinente de Florent FOUCART sur Le Péplum Italien (1946-1966) : Grandeur et Décadence d’une Antiquité Populaire (coll. CinExploitation, éd.imho). « Si l’époque mentionnée est aussi celle du néoréalisme, les spectateurs, traumatisés par cinq ans de misère, sont plus enclins à suivre les exploits de Maciste ou les dérèglements de Néron que les tribulations d’un voleur de bicyclettes ou les souffrances des pêcheurs siciliens » rappelle Jean A. Gili dans sa préface.

Genre spectaculaire par excellence, le péplum produit 185 films au cours de la période considérée avant de disparaître brutalement, remplacé dans sa fonction de pur divertissement par le western spaghetti. Le livre de Fourcart a le mérite de mettre sur le même plan analytique les besognes alimentaires et les œuvres de prestige. Les films fondateurs sont « des œuvres sérieuses, pour ne pas dire empesées » : Fabiola (1947) d’Alessandro Blasetti et Les Derniers Jours de Pompéi (1948) de Marcel L’Herbier. Au cours des années cinquante, les films deviennent plus inventifs, moins soucieux de fidélité historique. En 1958, Le Fatiche di Ercole de Pietro Francisci se place en tête du box-office. En 1964, le genre atteint son point culminant avec 31 films. C’est aussi l’année où sort le film qui sonne le glas pour le péplum : Per un Pugno di Dollari (1964) de Sergio Leone, dont le premier film fut, 3 ans plus tôt, Il Colosso di Rodi  ! N’empêche : à l’heure où les techniciens de Cinecittà construisent à nouveau des temples et des palais (cf. la série Rome ), le film à l’Antique a encore de beaux jours devant lui : c’est aussi de cette survie que parle ce livre indispensable.

Côté suisse, deux monographies à signaler.

Le Lucernois Leonhard H. GMUER, location scout de tant de films de James Bond, est aussi un chercheur passionné et nous livre avec Rex Ingram : Hollywood’s Rebel of the Silver Screen (éd. epubli, Berlin, 556 p.) le dossier le plus complet jamais publié sur le cinéaste irlandais, auteur de The Four Horsemen of the Apocalypse (1921) et The Garden of Allah (1927), dont la conversion à l’islam en 1932 avait créé des remous dans la presse américaine, mais qui fut enterré selon le rite chrétien à Glendale en 1950. Un cas d’apostasie qui a échappé aux imams ? Rédigé en anglais, sur papier glacé et richement illustré de photos rarissimes, le livre peut se commander directement auprès de l’auteur sur www.unicorn.ch.

Hervé DUMONT a publié sous le titre Frank Borzage : Un Romantique à Hollywood (Institut Lumière/Actes Sud) un texte revu, corrigé et augmenté de sa célèbre monographie de 1993. Si entretemps bien des films de Borzage ont paru sur DVD, il manque toujours à l’appel son dernier film, le très lyrique The Big Fisherman (1959), dont la séquence du vent ruinant le palais d’Hérode (incarné par Herbert Lom) au moment de la décollation de saint Jean-Baptiste est restée dans les mémoires des privilégiés qui ont vu le film.

Signalons en passant, pour ceux qui ne seraient pas au courant, que Dumont a prolongé son opus L’Antiquité au Cinéma : Vérités, Légendes et Manipulations (éd. Nouveau Monde, 2009) par un site internet dédié au films historique, une encyclopédie inégalée à ce jour (www.hervedumont.ch) et déclinée en 4 parties : L’Antiquité (le livre corrigé et augmenté : y figure déjà Pompeii (2014) de Paul W. S. Anderson), Moyen-Âge et Renaissance (dont la partie Royaume de France devrait devenir accessible à la fin du mois), L’Absolutisme (accessible en entier) et Le XIXe siècle (dont certaines parties, comme Napoléon, sont encore en gestation). La prodigieuse somme d’informations donne tout simplement le vertige et devrait susciter des vocations de collectionneur.
Au mois prochain
Raymond Scholer