Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mars 2009

Fin du compte-rendu des “giornate del cinema muto 2008“ et liste des “12 meilleurs films de 2008“.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

Le giornate del cinema muto 2008 (fin)


The French Touch
La rétrospective René Clair de 2007 ayant soulevé la question de l’origine de sa verve, le programme mis au point par les giornate s’empresse de montrer que le terreau comique était bien fertile en France.
Dans Triplepatte (1922), Raymond Bernard, le futur auteur du Miracle des Loups (1924), adapte avec un bonheur jubilatoire la pièce homonyme de son père Tristan sur un jeune aristo parisien dont l’indécision chronique fait de grands ravages dans sa vie sociale et amoureuse. Le titre se réfère à son cheval de course qui (comme lui) rechigne constamment à sauter les obstacles. Le flegme imperturbable, proche de la catatonie, de Henri Debain est une source inépuisable d’hilarité.
Paris en cinq jours (1925), de Pière Colombier et Nicolas Rimsky, est peut-être la première comédie cinématographique sur les touristes. Rimsky, un acteur russe émigré en France en 1920 avec la compagnie Ermolieff, y incarne un comptable de Chicago qui, ayant hérité de quelques fonds, offre à sa dulcinée un voyage-éclair à Paris, où il se propose de la demander en mariage sur le parvis de Notre-Dame. Les complications naissent de son utilisation très approximative du français. Quand, grand amateur d’art lyrique, il s’enquiert de la localisation du « Metropolitan Opera », on le dirige vers la sortie « Opéra » du métro. De fil en aiguille, il va se retrouver à trois reprises au commissariat, n’ayant pas vu grand chose de la capitale, pendant que sa fiancée est courtisée par un très douteux comte d’origine européenne, comme on disait dans les films américains. La force comique des scènes de visite touristique comme celle du Louvre, effectuée au pas de course, est d’autant plus grande que les rôles des touristes américains sont tenus par des comédiens français comme Madeleine Gitty ou Pierre Labry qui font à qui mieux mieux dans le débraillé et l’expansif.

Léon Bélières et Edmond Van Duren dans « Figaro »

Figaro (1929) de Gaston Ravel raconte en 108 minutes de super-production luxueuse les comédies « espagnoles » de Beaumarchais, Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro sans que les textes du dramaturge parviennent à nous manquer. En prime, Ravel ajoute une conclusion bouleversante tirée de La Mer Coupable : Le page Chérubin, amoureux de la comtesse Almaviva, obtient d’elle un rendez-vous, à la veille de son départ pour l’armée. Elle succombe à la tendresse du jeune homme qui se distingue ensuite au combat. Un jour, il reçoit une lettre désespérée : la comtesse a mis au monde un fils et ordonne à Chérubin de ne jamais reparaître. Chérubin confie à son camarade Bogaerts une dernière lettre et va s’offrir aux balles ennemies. Bogaerts est un maître-chanteur et il faut le génie de Figaro pour confondre l’intrigant.

Jacques Feyder
En 1915, Gaston Ravel avait pris comme assistant à la Gaumont un jeune acteur belge qui voulait se lancer dans la réalisation, Jacques Feyder. Leur première collaboration, Des Pieds et des Mains (1915), est basée sur une de ces fausses bonnes idées qui permettent à certains de s’extasier sur la virtuosité de la mise en scène, mais qui induisent chez moi un ennui tenace : en l’occurrence, raconter un chassé-croisé amoureux en ne filmant que les membres des protagonistes. Cela dure un quart d’heure et c’est interminable. Il faudra attendre 1919 pour voir éclore le véritable génie de Feyder qui allie réalisme, humour et suspense dans La Faute d’Orthographe.

« La Faute d’Orthographe » de Jacques Feyder

Un candidat pour un emploi de rond-de-cuir pense qu’il a laissé une coquille dans le texte de sa demande. Il se glisse de nuit dans le bureau du chef de service pour effectuer la correction, mais se fait arrêter par la police, qui est sur la trace d’un cambrioleur. Heureusement il aura le poste, le cambrioleur en question, bien éduqué, ayant vu la lettre et corrigé d’instinct la faute d’orthographe. Deux longs métrages ont ensuite montré Feyder au sommet de son art, Gribiche (1925) et Les Nouveaux Messieurs (1929). Dans le premier, un jeune garçon, issu d’une famille ouvrière, est adopté à la suite d’une bonne action par une riche Américaine (Françoise Rosay, parfaite). Malgré le luxe qui l’entoure et les soins dont il est l’objet, l’enfant ne tarde pas à regretter la médiocrité d’autrefois. Feyder montre que la charité sans cœur n’a pas de sens. Le gamin s’en retournera chez sa vraie mère et aura aidé les adultes à grandir. Le film, dépassant les deux heures, se regarde avec une délectation de tous les instants, tant les petits faits et gestes sont observés avec élégance, humour et minutie.

Henry Roussell et Albert Préjean dans « Les Nouveaux Messieurs »

Dans Les Nouveaux Messieurs, une petite ballerine, Gaby Morlay, hésite longuement entre son protecteur, le riche et bienveillant comte de Montoire-Grandpré (Henry Roussell), député âgé de Droite, et un jeune syndicaliste joué par Albert Préjean. Pour les beaux yeux de Gaby, Préjean se lance dans la politique et devient ministre du Travail dans un Gouvernement de Gauche. Comme il prend son rôle trop au sérieux, les jeux de l’amour et du pouvoir finissent par tourner à l’avantage du comte. C’est dire la modernité du scénario. Le film a dû être perçu comme trop réaliste par le Parlement, beaucoup de députés, de Gauche comme de Droite, affirmant qu’ils y voyaient leurs propres portraits sous un jour peu flatteur. Il se vit donc refuser le visa d’exploitation et ne put sortir, l’année suivante, que moyennant un certain nombre de coupes. Le bain matinal que les jeunes amoureux prennent à l’impromptu dans la Seine, après une nuit blanche, est une des séquences les plus poétiques du cinéma français.

Norvège
Un seul autre film s’approchait du niveau des deux précédents, Laila (1929), que le chef-opérateur de Dreyer, George Schnéevoigt réalisa pour le compte d’une compagnie norvégienne. Un riche couple de marchands entreprend un voyage en traîneau pour aller faire baptiser leur petite fille nouveau-née. Ils se font attaquer par une meute de loups et au milieu de la panique, le bébé tombe du traîneau. Impossible de le retrouver. Un Lapon découvre la petite fille indemne le lendemain et elle est adoptée par le plus grand éleveur de rennes de la région. La scène est mise pour une histoire riches en émotions, conflits et amours au milieu d’une nature resplendissante et sur fond de clivage ethnique. Cela dure presque trois heures et on en redemande.

« Laila » de G. Schnéevoigt

Mes 12 meilleurs films de 2008


 Atonement : en adaptant le roman de Ian McEwan, Joe Wright montre comment les enfants peuvent en toute bonne foi détruire des vies, car selon le dicton populaire ils ne sauraient dire que la vérité. Par un de ces hasards dont l’Histoire a le secret, le roman fut publié l’année même où commença l’instruction de l’affaire d’Outreau. La reconstitution de l’enfer de Dunkerque en mai/juin 1940 est à elle seule un argument suffisant pour vous procurer le DVD, sans parler des omoplates incomparables de Keira Knightley ;

Keira Knightley dans « Atonement »


 Before the Devil Knows You’re Dead : l’octogénaire Sidney Lumet se penche sur des relations familiales saccagées par l’appât du lucre et sombrant dans un jeu de massacre digne des Atrides ;
 The Chaser de Hong-Jin Na ;
 Entre les Murs de Laurent Cantet ;
 Hellboy II : The Golden Army : Guillermo del Toro magnifie les amours tragiques des super-héros ;
 In Bruges : Martin McDonagh définit un nouveau genre, le film noir comique ;
 The Mist : Frank Darabont livre à la fois la meilleure adaptation de Stephen King au cinéma et une charge antireligieuse qui devient de plus en plus indispensable ;
 No Country for Old Men de Joel & Ethan Coen ;
 Sweeney Todd : The Demon Barber of Fleet Street de Tim Burton ;
 There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson ;
 Two Lovers : James Gray ausculte la douleur insupportable d’aimer ;
  Wall-E d’Andrew Stanton.
 Meilleur court métrage : Merde, le segment de Tokyo ! tourné par Leos Carax.
A très bientôt.

Raymond Scholer