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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mai 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 9 mai 2017
dernière modification le 8 avril 2017

par Raymond SCHOLER

67e Berlinale / Berlinale Special & 31e Festival International de Films de Fribourg

Berlinale Special
Le plus beau film du festival était sans conteste The Lost City of Z de James Gray : une grande fresque romanesque qui nous entraîne sur les traces de l’explorateur Percival Harrison Fawcett, officier de l’armée britannique que la Royal Geographical Society envoie en Amazonie en 1906, officiellement pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie, implicitement afin d’évaluer l’utilité de la région pour les visées colonialistes de l’empire. Quand Fawcett trouve des restes de poterie et ce qu’il croit être des signes évidents d’un réseau de routes et d’aqueducs, il est persuadé qu’il est sur la piste d’une civilisation précolombienne (Kuhikugu ?) encore inconnue.

Charlie Hunnam dans « The lost city of Z »

Gray s’attache à montrer la prise de risque physique, la curiosité intellectuelle, le courage individuel, l’obstination et l’esprit de sacrifice au service de la science plutôt que de se lamenter sur l’incursion de l’homme blanc dans les territoires des peuples premiers. Les embuscades à la sarbacane sont effrayantes au possible. Pour que Fawcett n’ait cessé pendant une vingtaine d’années de chercher la cité engloutie dans la jungle, il faut bien reconnaître qu’il était obsédé par un rêve. Le changement brutal de biorythme que lui a procuré la guerre des tranchées en Flandres, où il eut à souffrir de l’ypérite, n’a guère entamé sa passion. Puisque c’est lors de la 7e expédition, en 1925, qu’il disparaît en compagnie de son fils aîné (auquel il avait, malgré ses absences répétées, passé le virus) dans le Haut-Xingu. C’est lors de ce final que le lyrisme de Gray s’envole, lorsque les deux hommes blancs, drogués, sont portés comme des trophées vers le néant dans un tourbillon sonore et pictural digne d’Apocalypse Now.

Sally Hawkins dans « Maudie »

Maudie de l’Irlandaise Aisling Walsh retrace la vie modeste et bien remplie de Maud Lewis, peintre naïve de la Nouvelle-Écosse. Atteinte dès l’enfance d’arthrite rhumatoïde, qui la faisait claudiquer et déformait ses mains, elle avait appris l’aquarelle de sa mère et peignait des cartes de Noël très colorées peuplées d’animaux, de fleurs et de scènes champêtres. À 34 ans, elle emménagea chez un manœuvre démuni qui vivait de la pêche et de menus travaux dans une maisonnette sans chauffage ni électricité. Ils se marièrent. Les œuvres d’art de Maud, sur bouts de carton ou de bois, arrondirent les fins de mois. Ils vécurent chichement et elle travailla inlassablement dans cette pièce exiguë jusqu’à sa mort, malgré une renommée certaine dans le milieu des collectionneurs. Maud et son mari, de physiques plutôt ingrats, sont incarnés par des acteurs bien plus gâtés par la nature (Sally Hawkins (époustouflante !) et Ethan Hawke), mais si on fait abstraction de cet inévitable travestissement de la réalité, force est de constater que le film restitue de façon convaincante et poignante une existence passée, malgré la douleur permanente, dans le contentement et une vraie joie de vivre.

Moritz Bleibtreu et Antje Traue dans « Es war einmal in Deutschland »

Es war einmal in Deutschland … du Belge Sam Gabarski est l’adaptation du roman Die Teilacher du Suisse allemand Michel Bergmann et se déroule dans un quartier de rescapés juifs à Francfort en 1946. La plupart rêvent d’émigrer aux Etats-Unis, mais ça coûte de l’argent. David Bermann (Moritz Bleibtreu au bagout imparable), héritier d’une enseigne de draps et lingerie, propose à six compagnons d’infortune de se lancer dans le porte-à-porte mâtiné de filouterie avec de la lingerie à trousseau achetée en gros, car il ne peut pas le faire seul, l’administration américaine lui ayant refusé la licence. Il semblerait en effet qu’il ait échappé à la mort concentrationnaire parce qu’il aurait fait un deal avec les Nazis. Chaque semaine, il a donc rendez-vous avec une enquêtrice de la police militaire pour être interrogé sur les détails de son passé. Au fil de l’enquête, il se confirme que les mensonges et l’humour sont des moteurs essentiels de survie. Le fait que le film s’interroge sur la capacité des Juifs à côtoyer les Allemands en Allemagne après la défaite du Reich, sujet encore jamais traité au cinéma, n’est pas le moindre de ses mérites : une œuvre essentielle et roborative.

Bruno Ganz dans « In Zeiten des abnehmenden Lichts »

In Zeiten des abnehmenden Lichts de l’Allemand Matti Geschonneck se déroule presque en temps réel dans la demeure d’un héros multimédaillé de la classe ouvrière, incarné par un Bruno Ganz tout en verve, le jour de son 90e anniversaire. On se trouve à quelques mois avant la chute du Mur et personne ne se doute que le petit-fils Sascha vient de fuir en République fédérale. Au fil de l’arrivée des convives venus féliciter le patriarche (à chaque bouquet de fleurs, le vieux répète la même phrase : « Portez ces légumes au cimetière ! ») se révèlent les positions des uns et des autres et leurs rapports au régime. À part le père de Sascha, marié à une Russe, personne ne fait mine de s’attendre à des bouleversements politiques, à la dissolution de l’Etat, à la fin d’une illusion, à la perte de la patrie. Tous sont dans le déni face à l’agonie du système. Le rêve socialiste d’un monde meilleur et plus juste sera un des grands perdants de l’Histoire, terrassé par les compromis et les déceptions. Le scénario de Wolfgang Kohlhaase, impliqué depuis plus de 50 ans dans l’histoire du cinéma allemand, se base sur le roman homonyme d’ Eugen Ruge, lauréat du prix Alfred Döblin 2009.

Panorama
1945 du Hongrois Ferenc Török montre la peur qui s’empare d’un village hongrois à la vue de deux Juifs, un père et son fils, arrivés par le train et traînant avec eux un cercueil. Tout au long de leur progression depuis la gare jusque vers le centre du village, la rumeur enfle (Qui sont- ils ? Viennent-ils pour revendiquer des maisons ou des terres volées par les goys du coin après la déportation de leurs propriétaires ?) et de multiples objets sont vite camouflés dans des endroits discrets. L’arrivée des étrangers sert de révélateur aux turpitudes du microcosme et déclenche des réactions létales de désespoir chez les maillons faibles. Tourné dans un noir et blanc luxuriant, le film révèle après Laszlo Nemes un autre cinéaste hongrois qu’il faut tenir à l’œil, d’autant plus qu’il a déjà une sacrée carrière derrière lui.

Anders Baasmo Christiansen et Jesper Christensen dans « Kongens Nei / Le « Non » du Roi »

Kongens Nei / Le « Non » du Roi du Norvégien Erik Poppe donne un compte rendu affectueux des trois journées cruciales d’avril 1940, lorsque Hitler exigea des Norvégiens qu’ils ouvrent leur pays neutre à son armée sous prétexte de le défendre contre les Anglais qui avaient commencé à miner les fjords. Mais lorsque, dans la nuit du 8 au 9 avril, le croiseur Blücher de la Kriegsmarine s’avança trop près des côtes dans le fjord d’Oslo, tous feux éteints, le général commandant la forteresse Oscarsborg fit tonner ses canons et le coula. Ce qui donna au Norvégiens un répit de 12 heures avant l’occupation de la capitale par des troupes aéroportées. Suffisamment de temps pour évacuer la famille royale et les députés du Parlement. Le film se concentre sur les rapports de Haakon VII avec sa famille et son gouvernement lors des deux jours de fuite qui suivent et montre que la Luftwaffe les bombarde démocratiquement avec les autres civils, lorsqu’ils se sauvent à travers champs et forêts. Le chargé d’affaires allemand essaie de convaincre le roi de se soumettre pour sauver des vies humaines, mais le roi ne veut pas d’un accord avec l’occupant, surtout pas avec Quisling comme ministre d’état. Un geste moral qui a cimenté les liens de la monarchie avec le peuple. Le Danois Jesper Christensen en monarque vieillissant est tout simplement parfait.

31e Festival International de Films de Fribourg

Compétition
Le film le plus pertinent était (M)outchenik/Le Disciple du Russe Kirill Serebrennikov qui montre un lycée piégé par un élève intégriste qui cite la Bible à tout propos et se déguise en singe pour montrer la soi-disant inanité de la théorie de l’évolution. Le film rappelle la proximité des livres dits saints quant à leurs anathèmes concernant les femmes, les Juifs et les homosexuels : les âneries proférées par l’élève ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles des fous d’Allah. Le comble, c’est que les responsables de l’école, conseillés suavement par le pope du coin, persistent à ne voir dans ces dérèglements que des gamineries d’ado en révolte et sont prêts à réintroduire les interdits traditionnels dictés par la religion, licenciant la seule enseignante, une scientifique, qui a osé tenir tête au jeune excité.

Piotr Skvortsov dans « Le Disciple »

El Vigilante du Mexicain Diego Ros décrit une nuit ordinaire d’un veilleur de nuit sur un site de construction : à son arrivée, il est interrogé par la police qui a découvert dans une camionnette parquée à proximité le corps d’un gamin ; les agents qui enquêtent semblent être impliqués eux-mêmes ; une prostituée commandée par son collègue de travail est tuée par une balle perdue et un possible trafiquant d’enfants vient récupérer un petit garçon apeuré qui se cache sur le chantier. À la fin de la nuit, le gardien apprend que sa femme a mis au monde une petite fille. Une journée au boulot comme une autre.

« The Birth of a Nation » de Nate Parker

The Birth of a Nation de l’Américain Nate Parker raconte l’histoire du Spartacus des esclaves noirs, Nat Turner, qui en 1831 mena pendant 2 jours une campagne d’extermination des maîtres blancs. Il y eut 60 victimes blanches, mais évidemment bien plus parmi les Noirs lors des représailles. Le comble, c’est que Turner, prédicateur éduqué par sa propriétaire, puisait dans la Bible aussi bien les arguments pour convaincre ses congénères de se tenir à carreau que ceux utiles à susciter leur révolte. Un livre n’est saint que s’il contente un maximum de gens. Acteur depuis 2004, le réalisateur incarne avec conviction ce personnage hors pair.

Anwar Wagdi et Fayrouz dans « Dahab »

Cinéma Égyptien
Une carte blanche donnée à la rédactrice en chef de Bilan, Myret Zaki, d’origine égyptienne, nous a permis de voir Dahab (1953) de Anwar Wagdi, une comédie musicale pétillante dont la trame rappelle celle du Kid (1921) de Chaplin. Sauf que le bébé recueilli par Wagdi (qui joue ici un musicien de rue) se développe pour devenir 9 ans plus tard, la phénoménale Fayrouz, petite fille prodige qui sait tout faire, chanter, faire des claquettes, jouer la poupée mécanique et imiter à la perfection les danses suggestives de Samia Gamal. Décédée en 2016, elle fut la Shirley Temple du monde arabe.

Au mois prochain

Raymond Scholer