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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mai 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 8 mai 2016
dernière modification le 26 avril 2016

par Raymond SCHOLER

Suite des commentaires sur le programme de la 66e Berlinale, et compte-rendu du 30e Festival International de Films de Fribourg.

66e Berlinale - Compétition (suite)
Quelques films de réalisateurs bien cotés n’ont pas été appréciés particulièrement par la presse, quand bien même ils manifestaient pleinement les qualités et idiosyncrasies pour lesquelles leurs auteurs sont connus. Ainsi le nouveau film de Jeff Nichols, Midnight Special , montre-t-il à nouveau un père qui protège à outrance son fils, dont les dons particuliers (ses yeux émettent des faisceaux lumineux, l’obligeant à porter des lunettes de soudeur, et il tient des propos étranges tel la Pythie) sont à la fois dans le collimateur des Services Secrets et dans celui d’une secte apocalyptique, car les premiers le soupçonnent d’être un extraterrestre et les seconds un envoyé divin. De nouveau, le rôle du père est tenu avec une ténacité taciturne par Michael Shannon, comme dans Shotgun Stories (2007) et Take Shelter (2011). De nouveau, le spectateur découvre les tenants et aboutissants en progressant dans la diégèse et corrige continuellement ses impressions, simplement grâce à la mise en scène, car Nichols déteste le prêchi-prêcha. Pourtant les applaudissements furent tièdes, sans doute parce que la révélation finale du monde des Autres nous plonge dans une architecture complexe tout en courbes, trop tributaire de Tomorrowland (Brad Bird, 2015). Nichols convainc mieux lorsque les obsessions et paranoïas de ses personnages restent floues.

Joel Edgerton, Michael Shannon, Jaeden Lieberher et Kirsten Dunst dans « Midnight Special »

Chi-Raq (ne réfère pas à un président français, mais à un quartier du sud de Chicago) de Spike Lee est un opéra rap inspiré de Lysistrata d’Aristophane : les épouses et maîtresses des gangsters noirs de Chicago se mettent en grève du sexe pour que leurs mecs arrêtent de tuer des innocents : « No peace, no piece » (Pas de paix, pas de cul). Pour bien exacerber les fantasmes des mâles, les toilettes bariolées de ces dames sont aussi moulantes que possible, les pas de danse et les regards allumeurs en diable, et tous les dialogues sont rimés. Et si, pour Lee, les atavismes machistes ne connaissent manifestement pas de barrière raciale, il nous livre dans le personnage du curé rassembleur et en colère incarné par John Cusack le Blanc le plus noble de son œuvre. Une certaine répétitivité se fait quand même sentir, car la durée du film (127’) est excessive pour un scénario linéaire sans rebondissement majeur. On sait que les femmes vont gagner la partie. Si seulement la réalité pouvait suivre la fiction !

Teyonah Parris dans « Chi-Raq »

Dans Cartas da Guerra , le Portugais Ivo Ferreira évoque dans un noir/blanc atmosphérique à merveille la dernière guerre coloniale dans l’Angola de 1971. Le jeune poète Antonio Lobo Antunes, médecin militaire de son état, rejoint son détachement en Angola sur un bateau de croisière et ne pense qu’à son épouse enceinte qu’il laisse au pays. Il lui écrit tout le temps, pendant les trois ans que dure son engagement, des lettres d’amour (publiées après la mort de la récipiendaire en 2005) qu’une voix féminine va lire tout au long du film. Peu à peu, le désir de retrouver les siens fera place à la colère devant cette guerre inutile et dévoreuse de vies humaines et Antunes deviendra un opposant politique au régime. Malheureusement, pour les non lusophones, l’expérience du film se résume à un exténuant zigzag entre ce qui se passe dans l’image (recréations autrement plus impressionnantes de réalisme que celles d’un Miguel Gomes, malgré le portrait anémique qu’il dresse des Angolais) et les sous-titres qui essaient de faire honneur aux prouesses littéraires du poète.

Berlinale Special
La vie d’une poétesse célèbre est également le sujet du dernier film de Terence Davies, A Quiet Passion . Cynthia Nixon y incarne Emily Dickinson (1830-1886), dont les presque 1800 poèmes – pleins d’humour acide et uniques pour leur époque - ne furent publiés intégralement qu’en 1955 ! De son vivant, à peine une douzaine étaient connus (anonymes, car il ne sied pas à une femme d’écrire). Le film ne la montre jamais en train de composer, mais ses vers sont entendus comme autant de monologues intérieurs. C’est certainement ce renoncement intrinsèque à la gloire qui a séduit Davies, sans doute le plus introverti des cinéastes britanniques. Une fois ses études terminées, Dickinson n’a d’ailleurs guère quitté la maison familiale d’Amherst dans le Massachusetts et ses amitiés seront essentiellement entretenues par la correspondance. La gageure était donc de décrire une telle existence de récluse protoféministe, sans que l’ennui s’installe. Et grâce à sa sensibilité extraordinaire et au talent de ses interprètes, Davies y réussit au-delà de toute espérance.

Cynthia Nixon et Jennifer Ehle dans « A Quiet Passion »

Keith Carradine incarne le père, un patriarche cultivé et sévère. Jennifer Ehle, en sœur cadette, apporte sa douceur habituelle. Catherine Bailey campe une amie scandaleusement non conventionnelle et Jodhi May une belle-sœur style « chaton blessé », comme dans A World Apart (Chris Menges, 1988). Quant à Cynthia Nixon, dont le personnage subit de subtils changements à mesure qu’elle devient vieille fille, elle a trouvé ici le rôle de sa carrière. Le film n’est pas tranquille, comme son titre le laisserait croire, mais truffé de joutes verbales, où les personnages se battent à coups d’aphorismes sur l’amour, la morale et la mort, manifestant un désir immense de vivre, de penser et de s’émouvoir.

Panorama

Ben Schnetzer dans « Goat »

Deux titres à retenir : Goat de l’Américain Andrew Neel sur les bizutages des associations d’étudiants (fraternities) dans les universités américaines, qui ne rechignent pas devant des humiliations traumatisantes. Les acteurs, qui se donnent jusqu’aux limites dans ce film, Ben Schnetzer, Nick Jonas, etc seront sans doute les stars de demain.
Auf Einmal , le film allemand de la Turque Asli Özge, montre comment une vie peut changer du tout au tout en quelques minutes. Karsten a invité des amis à une fête, sa copine est en voyage. Quand tout le monde est parti, Karsten reste seul avec une femme qu’il ne connaît pas. Elle est soudain prise d’un malaise. Paniqué, Karsten court vers la station d’urgences la plus proche au lieu d’appeler Police Secours. Mal lui en prend, car il trouve porte close et, à son retour, la femme est décédée. Suspecté dès lors d’homicide par négligence et autres crimes, Karsten aura fort à faire pour remonter la pente. De l’ostracisme à la renaissance, le chemin sera long. Özge mène finement son analyse psychologique.

30e Festival International de Films de Fribourg

Compétition
Madonna de la Coréenne Su-Won Shin est une accusation en règle lancée contre la société coréenne, sa misogynie galopante et l’humiliation omniprésente des pauvres par les riches. Hae-rim, une infirmière, vient d’être engagée dans un hôpital de luxe réservé aux superriches : elle est assignée à un patient qui est dans le coma depuis 10 ans et dont le fils fait tout pour le maintenir en vie, car il risquerait de perdre son héritage si le vieux venait à mourir. Lorsqu’une prostituée en état de mort cérébrale, Madonna, arrive aux urgences, le fils flaire l’affaire : son père a besoin d’un nouveau cœur, en voilà un. Il demande à l’infirmière d’aller convaincre la famille de la nouvelle patiente de signer une décharge pour une transplantation. Mais Hae-rim est bien consciente qu’un tel acte reviendrait à liquider deux vies, puisque Madonna est enceinte. Pour retrouver cette famille, elle est obligée de faire des recherches sur le passé de la femme. Et elle découvre que la vie de cette malheureuse n’a été qu’un long calvaire. Rackettée à l’école, exploitée et violée par ses employeurs, Madonna avait enfin, grâce à sa grossesse, atteint un stade où elle aurait un être à aimer et qui l’aimerait. Ayant appris tout cela, Hae-rim fera tout pour rétablir un semblant de justice.

Cydel Gabutero et Peter Millari dans « Blanka »

Blanka du Japonais Kohki Hasei suit une petite fille des rues dans les bas-fonds de Manille. Ses menus larcins lui ont permis de mettre de côté une petite somme et elle l’utilise pour acheter par voie d’affiches une maman pour 30’000 pesetas. Lorsqu’elle rencontre un vieil aveugle qui joue de la guitare en public, elle l’accompagne de sa superbe voix, qu’elle découvre par la même occasion, et le duo est bientôt engagé par le patron d’un bar. Mais un commis jaloux les accuse d’un vol dans la caisse et ils se retrouvent dans la rue. Lorsque la petite est enlevée par des trafiquants d’enfants, qui prétendent lui fournir une maman, l’aveugle et les petits copains sont les seuls qui viennent à son secours. Elle comprend ainsi que l’argent ne peut pas acheter l’amour.

Karen Torres dans « Alias Maria »

Alias Maria du Colombien José Luis Rugeles décrit le quotidien d’une jeune indigène de 13 ans, enrôlée dans les troupes des FARC. Enceinte, elle reçoit l’ordre d’avorter, car seule la compagne du commandant a le droit d’enfanter. C’est justement du bébé de celle-ci que Maria doit s’occuper quand les guérilleros traversent une zone sensible hantée par de sanguinaires paramilitaires. Puissant réquisitoire contre l’utilisation d’enfants soldats, ce film est la troisième preuve du nouvel essor du cinéma colombien après le sublime El abrazo de la serpiente (2015) de Ciro Guerra et La tierra y la sombra de César Augusto Acevedo.

Margita Gosheva dans « Urok »

Plus féroces que les mâles
Le meilleur film de cette section fut un film bulgare, Urok/La Leçon (2014) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov. Une enseignante de lycée, très portée sur les leçons de morale, doit expérimenter à son corps défendant comment on peut basculer du camp des intègres dans celui des délinquants. Dans une société sans règles éthiques autres que celles de la jungle, c’est-à-dire du plus fort, ça peut arriver plus vite que prévu. Lorsque Nadia est sommée de payer les arriérés de loyer sous peine d’être mise à la rue, elle découvre que son mari a utilisé l’argent pour rafistoler sa camionnette, peine perdue. Lorsqu’elle demande à son tour d’être payée pour ses traductions, la société qui l’exploite (sic) a fait faillite. De fil en aiguille, elle sera obligée d’emprunter à un mafieux qu’elle ne pourra finalement rembourser à temps : il ne lui reste plus qu’à braquer une banque !
Le film de clôture, Parched de l’Indienne Leena Yadav, est un véritable bain de bonheur, qui voit quatre femmes d’un village du Gujarat faire voler en éclats les traditions de servitude dans laquelle elles sont maintenues. Russell Carpenter, le chef op’ de Titanic (James Cameron, 1997) était de la partie.

Au mois prochain

Raymond Scholer