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Cine Die - mai 2015

Festivals

Article mis en ligne le 4 mai 2015
dernière modification le 6 avril 2015

par Raymond SCHOLER

Dernier regard sur la Berlinale 2015 et compte-rendu du 29e Festival International de Films de Fribourg.

Berlinale : Panorama

Le film le plus romanesque du festival fut de JK Yoon (dont le film précédent, Haeundae, sur un tsunami géant, était un des plus gros succès du cinéma sud-coréen) : Ode to My Father / Gukje Shijang est une fresque qui suit les tribulations d’une famille du Nord sur 60 ans. Cela commence avec l’évacuation de la population civile par les navires de guerre américains dans le port de Hungnam, en 1951. Dans le chaos de l’embarquement, Deok-Su, un garçon de 12 ans, perd sa petite sœur : le père redescend à terre à sa recherche. On ne les reverra plus. La mère, Deok-Su et le reste de la famille sont recueillis par une tante qui tient une échoppe dans le bazar de Gukje à Busan. Ils survivront tant bien que mal aux privations de la guerre. Deok-Su prend à cœur son rôle de chef de famille et ne rechigne devant aucun travail pour subvenir aux besoins des siens. Dans les années cinquante, il s’expatrie en Allemagne pour œuvrer dans les mines de charbon de la Ruhr, un boulot décemment payé. Et en plus, il semble y avoir une grande colonie de compatriotes, des infirmières coréennes pas vilaines du tout, atout majeur lorsqu’on vous hospitalise amoché par un coup de grisou. Et c’est ainsi que Deok-Su rencontre la femme de sa vie. Entretemps, le miracle économique coréen a pris son essor et une nouvelle tranche de vie dans la mère patrie commence, interrompue par la guerre du Vietnam qui voit notre héros servir, derechef pour des raisons économiques, dans les auxiliaires de la logistique, alors que les femmes font fleurir le commerce à Busan. Les remous de la dictature de Park Chung Hee, puis de celle de Chun Doo-hwan sont un peu balayés sous le tapis, car le film se veut ode et non complainte. Mais cette production commerciale hautement maîtrisée prodigue plus d’émotion que maints films d’auteur.

Jeong-min Hwang et Yunjin Kim dans « Ode to my Father »

Côté documentaires, Censored Voices de l’Israélienne Mor Loushy nous replonge, au moyen d’actualités militaires de l’époque, dans la Guerre des Six Jours (1967), à la fin de laquelle Israël avait triplé son territoire. Contrairement aux idées reçues, la victoire foudroyante de Tsahal n’avait pas été fêtée dans la liesse et l’euphorie générales : bien des soldats n’étaient pas tellement fiers de leurs faits de guerre. Quelle gloire à massacrer des soldats égyptiens notamment se laissaient tuer avec une curieuse léthargie, comme s’ils ne voyaient aucune échappatoire au rouleau compresseur des chars de Moshe Dayan ? Les jeunes gens de son kibboutz que l’écrivain Amos Oz avait réunis autour d’une table pour échanger leurs impressions racontaient les destructions inutiles et les actes de vengeance primaires dont ils avaient été acteurs ou témoins : beaucoup avaient honte de ce qu’Israël avait fait et peur pour l’avenir. Leurs propos furent enregistrés. Mais lorsqu’Oz voulut les publier, l’armée avait déjà confisqué les bandes magnétiques. La cinéaste a retrouvé les propriétaires - maintenant septuagénaires - de certaines de ces voix censurées et les confronte aux archives d’époque. Certains dénigrent leurs jugements de jadis en les mettant sur le compte du traumatisme subi, d’autres, dont Oz, pensent que leur validité est encore plus pertinente de nos jours.

« Censored Voices »

29e Festival International de Films de Fribourg

Les Roms, la Syrie, les indigènes nord-américains, voilà des sections parallèles qui sentent furieusement le festival bio qu’était Fribourg avant Edouard Waintrop, quand il fallait dénoncer la misère, notamment celle du Tiers-Monde. Il y a un petit retour aux préoccupations ethnographiques : The Journals of Knud Rasmussen , 2008, de Norman Cohn et Zacharias Kunuk, sur la visite de l’explorateur danois dans le grand Nord canadien en 1922, ressemble plus à un catalogue des mythes et coutumes chamaniques qu’à un récit proprement dit. Mais heureusement que deux autres sections, numériquement plus importantes, Pouvez-vous rire de tout ? et Terra Erotica étaient là pour dérider. La compétition internationale reprenait Taxi de Jafar Panahi, l’Ours d’Or de la Berlinale, mais le jury n’y trouva pas matière à prix. Le Regard d’Or fut donné à Gonzalez du Mexicain Christian Diaz Pardo, où un jeune chômeur croulant sous les dettes trouve un emploi de téléopérateur pour le compte d’un télévangéliste charismatique et commence à s’intéresser aux possibilités de s’enrichir sur le dos de crédules fidèles. Le film, sorti au festival de Morelia, dispose déjà d’un bon capital critique, mais je n’ai pas pu le voir.

« Ata » de Chakme Rinpoche

Le Jury a donné son prix spécial à Ata, réalisé par un moine bouddhiste tibétain, Chakme Rinpoche. L’histoire est émouvante et, combinée avec le statut et l’origine du réalisateur, explique peut-être cela. Quelque part en Mongolie Intérieure, une mère conductrice de camions élève seul son fils ado aveugle et s’est mis en tête de l’inscrire aux championnats de ping-pong. Pour lui faire plaisir, le jeune prend des leçons auprès d’un moniteur qui le fait souvent jouer contre un autre étudiant aveugle, orphelin de surcroît, mais le fait est qu’il n’aime pas ce sport. Un beau jour, il disparaît. La mère qui était tellement occupée jusque-là à travailler pour joindre les deux bouts, a soudain beaucoup de temps pour se mettre à la recherche de son fils, les yeux couverts d’un bandeau opaque pour se mettre en situation et sentir le monde comme son fils l’a senti. Elle finira par adopter l’orphelin, à défaut de retrouver son rejeton. C’est bien joué et photographié, mais trop de questions restent en suspens à la fin pour faire de Ata plus qu’un film émotionnel.

« Flapping in the Middle of Nowhere » de Diep Hoang Nguyen

Une mention spéciale fut accordée à Flapping in the Middle of Nowhere de la Vietnamienne Diep Hoang Nguyen, l’histoire d’une jeune étudiante enceinte dont les intentions d’avorter sont constamment contrecarrées par des complications financières et psychologiques. À des lieues de la détermination et du cartésianisme d’une Juno (Jason Reitman, 2007), le film soigne la description des valses-hésitations de sa protagoniste en l’habillant d’atours poétiques (sans doute l’influence de Tran Anh Hung, l’auteur de L’Odeur de la papaye verte (1992), crédité comme conseiller spécial) : le colocataire et conseiller de l’adolescente est une drag queen, le père du futur bébé est un employé municipal accro aux combats de coqs et couvert de dettes, mais il invite volontiers sa belle à s’envoyer en l’air dans la nacelle mécanique utilisée pour la maintenance de l’éclairage public. C’est ainsi qu’ils trouvent dans un globe de lampadaire un petit poisson nageant dans l’eau ! Jacques Prévert a dû frémir dans sa tombe. Une séquence onirique où un déluge de limaces est expulsé du vagin de la future maman pourrait même mettre Cronenberg mal à l’aise. Mais ni le Jury des Jeunes ni le Jury Œcuménique ne s’en sont offusqués : ils ont également donné leurs prix à ce film dévoilé à Venise.

Mariam Buturishvili et Ilyas Salman dans « Corn Island »

Personnellement, j’ai préféré le Prix du Public, Corn Island du Géorgien George Ovashvili. Le réalisateur de The Other Bank (2009) y livre un poème lyrique dans la tradition de Man of Aran (1934) de Robert Flaherty ou The Wind (1928) de Victor Sjöström sur le combat entre l’homme et la nature. Chaque année au printemps, les alluvions venues du Caucase créent au milieu de la rivière Enguri (qui forme la frontière entre la Géorgie et l’Abkhazie) de petites îles très fertiles. Le premier qui plante son mouchoir dessus en a la jouissance, mais il faut être conscient qu’à la crue des eaux, ces îles disparaissent. Pendant les quelques mois que met le blé ou le maïs à pousser et mûrir, on peut donc ensemencer, entretenir et récolter. A condition de vivre sur l’île, car il faut bien protéger son capital. C’est ce que fait un grand-père abkhaze avec sa petite-fille orpheline, à peine sortie de l’enfance. Des détachements des deux armées ennemies rôdent dans le coin, et la petite n’a pas encore connu le loup. Une certaine tension distingue donc ce récit du tout-venant bio. Le cinéaste enregistre par le menu les gestes quotidiens : le tournage a peu ou prou duré ce que dure la diégèse. La fin, quoique humainement logique et naturelle, vous brise le cœur.

Sae-ron Kim dans « A Girl at my Door »

Le deuxième grand film de la compétition était A Girl at my Door de la Sud-Coréenne July Jung, une disciple de Lee Chang-Dong, montré dans la section Un certain Regard à Cannes. Young-nam, une jeune policière, est transférée dans une bourgade au bord de la mer, à la suite d’un incident non spécifié. Elle rencontre Do-hee, une ado précoce qui se fait régulièrement tabasser par son beau-père alcoolique. Young-nam laisse la jeune se réfugier chez elle pour la protéger. Jusqu’au jour où le village se rend compte que Young-Nam est lesbienne. Le beau-père s’engouffre alors dans la brèche et prétend qu’il a vu la policière abuser de Do-Hee. Mais il est connu depuis l’affaire d’Outreau que les enfants ont des armes redoutables lorsqu’il s’agit de piéger les adultes. Rira donc bien qui rira le dernier.

Jacir Eid Al-Hwietat dans « Theeb »

Autre titre méritoire : Theeb du Jordanien Naji Abu Nowar est l’histoire du passage, un peu brutal, à l’âge adulte d’un petit Bédouin du Hedjaz, pendant la Première Guerre mondiale, alors qu’il entreprend avec son frère aîné un voyage périlleux à travers le désert infesté de brigands pour amener un officier britannique vers une destination secrète à l’intérieur des lignes ottomanes. A Venise, Abu Nowar est parti avec le prix « Horizons » du meilleur réalisateur. Corn Island , A Girl at my Door et Theeb étaient pour moi les sommets de Fribourg.

Le nadir était le film de clôture : A Girl Walks Home Alone at Night de l’Irano-Britannique Ana Lily Amirpour, un film-(im)posture qui veut nous faire croire qu’il s’agit d’une histoire de vampires iraniens, alors qu’il a été tourné à Bakersfield en Californie, un film qui croit que le choix du noir/blanc est un manifeste esthétique, alors que c’est le lieu commun de la prétention, un film qui avance avec une lenteur de mélasse pour que les bobos puissent se repaître de ses soi-disant beautés. Ignominie à éviter !

Au mois prochain

Raymond Scholer