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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mai 2011

61e Berlinale (suite)

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 13 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

Compétiton (suite)
Les meilleurs films de la compétition ne furent pas tous couronnés par des prix. Il est de bon ton, en effet, de ne jamais récompenser des produits hollywoodiens, la facture professionnelle de ceux-ci étant ipso facto un signe de taylorisation et la garantie d’un manque de personnalité. Il ne suffisait donc pas à Ralph Fiennes, pour son premier film de réalisateur, de s’armer d’un scénario béton écrit par Shakespeare ( Coriolanus ) et adapté par John Logan à une réalité martiale contemporaine truffée de journaux télévisés genre CNN et de reportages en direct. Il s’agit pourtant toujours du général romain exilé qui se met au service de l’ennemi volsque pour se venger. Pour remporter plus que des applaudissements timorés de la part de la presse, il eût fallu que Fiennes utilisât une caméra portée par un parkinsonien ou qu’il optât pour des plans fixes longs, austères et rosselliniens. Il eût fallu qu’on ne vît pas de scènes de bataille urbaine criantes de vérité et bardées d’explosions (chaque explosion est un mauvais point !). Il eût peut-être fallu que les soldats romains ne ressemblassent pas aux massacreurs serbes de Mladic (car c’est en Serbie et au Montenegro que Fiennes a tourné avec les ressources humaines du coin). Il eût peut-être fallu aussi garder moins précieusement l’intégrité de la langue de Shakespeare, divine en soi, mais qui rappelle au jury et aux journalistes leur scolarité déficiente. Et surtout il ne fallait pas faire jouer la crème de la crème du cheptel britannique : c’est un aveu implicite d’académisme. Il n’y a qu’à voir comment le monde critique a réagi à l’oscarisation de The King’s Speech. N’empêche que les amateurs de personnalités robustes trouveront largement leur compte dans les joutes verbales impliquant Fiennes, Vanessa Redgrave, Brian Cox, Gerard Butler et autres James Nesbitt. La scène de la capitulation de l’orgueilleux Coriolan (Fiennes) – qui n’a de loyauté et d’estime que pour d’autres guerriers - devant sa mère (Vanessa Redgrave) qui l’implore de renoncer à sa vengeance, est d’une force peu commune. Elle dément la meilleure phrase de la pièce, qu’il n’y a pas de lait dans un tigre mâle.

Raph Fiennes dans « Coriolanus »

Encore plus bardé de pointures, américaines et britanniques confondues (Kevin Spacey, Paul Bettany, Jeremy Irons, Demi Moore, Stanley Tucci), Margin Call , premier film de J.C. Chandor, se penche sur l’acte déclencheur (fictif) de la crise financière de 2008. Les analystes d’une firme de placements– anonyme - se rendent compte un beau soir des risques que constitue l’accumulation de toutes ces hypothèques toxiques dont leur société est créancière. Ils profitent de la nuit pour mettre au courant la chaîne de commandement (dans l’attente d’une décision qui va sauver soit la firme soit ses clients) : il est très drôle de constater que plus on monte haut, moins les gradés s’y connaissent en calcul financier. Le président de la firme exige qu’on lui donne un portrait de la situation aussi sommaire et simple que possible, comme si on parlait à son golden retriever ! Et c’est la force de Chandor que d’avoir transformé cette intrigue au fond basique et rébarbative en thriller haletant, où même les spectateurs non initiés peuvent sentir les affres des personnages, comprendre leurs remords, leurs espoirs secrets et leurs manigances. Cela d’autant plus volontiers que le citoyen lambda, même s’il n’aime guère les banquiers, doit son niveau de vie à la manne créée par le système, du moins dans les pays développés.

Wer wenn nicht wir est la première fiction du documentariste allemand Andres Veiel. Le film éclaire la préhistoire (dès 1961) du groupe terroriste Fraction Armée Rouge (RAF) en montrant que c’est en réaction aux méfaits de leurs parents sous le nazisme que ces jeunes Allemands se sentent obligés de se positionner de façon tellement extrême par rapport à une société sclérosée (où les fonctionnaires du Reich continuent à couler des jours heureux) qu’ils en viennent à la lutte armée. D’un côté nous avons Bernward Vesper, fils du poète völkisch Will Vesper (dont les poèmes à la gloire du Führer sont légion) qui souffre de la tyrannie de son père (tout en admirant son œuvre littéraire décriée qu’il veut réhabiliter). Ainsi lorsque son chat Murr dévore un petit rossignol dans le jardin, il est exécuté par papa Will avec le commentaire : « Les chats ne sont pas de chez nous. Ils sont originaires de l’Orient. Ce sont les Juifs parmi les animaux. » De l’autre côté, Gudrun Ensslin, une des six enfants d’un pasteur qui s’était porté volontaire pour le front de l’est pour ne pas mettre en danger sa famille. Elle le lui reproche. Deux mentalités a priori opposées, mais avec le même refus des compromissions. Lorsque Bernward rencontre Gudrun, c’est le début d’une liaison sans concessions. Ils veulent dépister la vérité derrière les mensonges, ils décident de déclarer la guerre au conformisme. En 1964, ils s’établissent à Berlin-Ouest et se joignent aux manifs contre la guerre du Vietnam. L’antiaméricanisme est de rigueur, la révolution est en marche. En 1968, Bernward s’enfonce dans les drogues et la folie et Gudrun est devenue l’égérie d’Andreas Baader. Par rapport à Der Baader-Meinhoff Komplex (2008), d’Uli Edel, qui sautait de moment fort en coup d’éclat, Veiel privilégie les moments intimes et les discussions. Le réalisateur estime que les prémisses d’une révolution sont encore et toujours réunies, car la crise financière a bien montré que les bénéfices sont toujours personnalisés, les pertes en revanche socialisées. Le film a reçu le prix Alfred Bauer.

August Diehl et Lena Lauzemis dans « Wer wenn nicht wir »

Un autre film allemand, Schlafkrankheit de Ulrich Köhler a remporté le prix de la mise en scène. Il met en présence deux médecins, un Allemand blanc et un Français noir. L’Allemand, vivant au Cameroun depuis des années, est spécialiste dans la lutte contre la maladie du sommeil, combat qui est financé par l’OMS. Il a éradiqué l’épidémie et risque de perdre les subventions et de devoir rentrer en Europe. Au lieu de cela, il laisse partir femme et fille, car il a la jungle dans la peau. Il se ligue avec un planteur français. Le film dit des choses très dures, mais nécessaires sur l’argent qui est pompé à tort et à travers vers ces pays, pour n’engraisser que les élites et produire des « assistés » amorphes qui n’attendent que leur dû. Trois ans plus tard, l’OMS envoie un Congolais né en France, et qui n’a jamais mis les pieds sur le continent noir, pour faire une évaluation des besoins. Il se comporte comme un touriste peureux et plein de préjugés. Il découvre que l’Allemand a une maîtresse noire qui attend un enfant. Il comprend aussi que l’argent de l’OMS peut être plus utile ailleurs.
Autrement, il ne se passe pas grand-chose. Le film fait partie de ce courant passif du nouveau cinéma allemand, où le sensuel et le contemplatif l’emportent sur le dramatique. Au moins Köhler parle-t-il en connaissance de cause, puisqu’il est né en Afrique et y a passé son enfance. Ses parents y travaillent toujours et il a tourné dans leur hôpital. Aucun des personnages du film n’a un caractère bien trempé ni ne montre une quelconque détermination d’atteindre un but précis. Comme si l’Afrique avait déteint sur la psyché.

« Nader and Simin, A Separation » de Asghar Farhadi
© Mémento Films distribution

Le film qui a déclenché le plus d’applaudissements et remporté aussi l’Ours d’Or est Nader and Simin, A Separation de l’Iranien Asghar Farhadi.Construisant avec des éléments et personnages de la vie quotidienne ce qu’il faut bien appeler un thriller social, Farhadi ne touche que tangentiellement aux problèmes posés par le régime politique pour se concentrer sur les rouages d’une société où soif de justice, honneur exacerbé et égocentrisme font bon ménage avec les interdits religieux et les inhibitions personnelles. Nader et Simin, un couple de classe aisée et occidentalisée, viennent de se séparer. Nader vit avec sa fille studieuse et son père atteint d’Alzheimer. Il engage l’épouse (Razieh) pratiquante d’un chômeur endetté (Hodjat) pour s’occuper du père pendant la journée. Une fois, elle s’absente en attachant le pépé à son lit. Nader la licencie séance tenante et, pour se débarrasser d’elle, la pousse hors de l’appartement. Apparemment, elle tombe alors dans l’escalier et a une fausse couche. Hodjat accuse Nader - qui prétend ignorer que Razieh était enceinte - de meurtre. Simin vient à la rescousse de son mari. Chaque scène de l’enquête apporte ensuite un nouveau détail qui change la perspective morale. Les acteurs sont tous archiconvaincants, les riches levant nettement moins la voix que les pauvres. Fallait-il pour autant leur donner tous les prix d’interprétation, comme le jury de la Berlinale l’a fait ? Sans doute faut-il y voir un encouragement au cinéma iranien, bien mis à mal avec l’emprisonnement de Jafar Panahi, membre forcément absent de ce jury.

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Le programme du Panorama contenait deux perles non négligeables : The Guard de John Michael McDonagh, polar narquois sur la collusion entre les grands trafiquants et la police irlandaise, où Brendan Gleeson, grand fornicateur et buveur devant l’éternel, s’avère le seul flic honnête du Connemara. Pour son premier film, le réalisateur frappe aussi fort que son frère Martin avec In Bruges (2008). Rundskop du Belge Michael R. Roskam décrit le milieu mafieux des grossistes de viande dont la concurrence est rendue encore plus âpre par l’animosité entre Flamands et Wallons et qui n’hésitent pas à marcher sur des cadavres pour augmenter leurs rendements.

Brendan Gleeson dans « The Guard »

Mein Bester Feind de l’Autrichien Wolfgang Murnberger déplaira à ceux pour qui le 3e Reich est un sujet trop sérieux. Moritz Bleibtreu joue un riche galeriste juif, son meilleur ami est un serviteur de la famille. Moritz atterrira au camp, son ami deviendra SS. Le galeriste possède un atout majeur, un dessin de Léonard de Vinci que convoite Goering. L’ami servira d’entremetteur. Lors de cette occasion, le Juif vole son uniforme au Nazi et prétend être lui. Dès lors, la comédie des erreurs prend un envol hautement acrobatique que j’ai beaucoup apprécié. Marthe Keller joue la maman de Moritz et se rachète de son piètre numéro dans Hereafter (Clint Eastwood).

Moritz Bleibtreu et Ursula Strauss dans « Mein bester Feind »

Mais le plus beau film du festival était sans doute Under the Hawthorn Tree de Zhang Yimou, une histoire d’amour très douce, très chaste et très triste sur fond de Révolution Culturelle, lorsque les jeunes furent envoyés dans la campagne pour apprendre la dure vie des masses.

Au mois prochain

Raymond Scholer