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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2021

Compte-rendu

Article mis en ligne le 5 juin 2021
dernière modification le 29 juin 2021

par Raymond SCHOLER

Une chronique qui évoque le 39e Bergamo Film Meeting (online), les œuvres de Mia Hansen-Løve et, dans le domaine du cinéma d’animation, le parcours de la réalisatrice Izabela Plucińska.

Compétition
Une vie démente , le premier long métrage des Belges Raphaël Balboni et Ann Sirot, a, à juste titre, remporté le prix du meilleur film, qui, à Bergame, est élu par le public. Voilà un sujet – la démence sénile - déjà souvent traité au cinéma, qui permet à d’illustres comédiens (Donald Sutherland, Philip Bosco et, dernièrement, Anthony Hopkins) ou comédiennes (Julie Christie, Julianne Moore, Gena Rowlands, Judi Dench) d’exceller dans des rôles de personnages désorientés, rôles réputés difficiles, mais que tous semblent affronter avec sensibilité et surtout une grande fierté, comme s’ils voulaient nous dire implicitement : « Je n’y suis pas encore ! » De loin la plus originale prestation dans le genre est donnée ici par Jo Deseure, une actrice belge que vous avez dû voir dans Toto le Héros (1991) et Sœur Sourire (2009), probablement sans réaliser qu’elle cachait une personnalité comique très attachante.

Jo Deseure, Jean Le Peltier et Lucie Debay dans « Une vie démente »

C’est avec le plus grand naturel qu’elle prend place chez des inconnus, déguste une tartine de confiture devant le frigo grand ouvert, avant que des gamins accourus en pyjama lui demandent ce qu’elle fait là. Et quand son fils lui retire son permis de conduire, elle en bricole soigneusement une contrefaçon, signée de sa plus belle écriture, avec des ciseaux et de la colle. Le processus de dégénérescence, la concernée n’en est guère consciente. Elle continue de fumer ses clopes et conduire sa voiture, elle ne se rend pas compte qu’elle transgresse un interdit en se montrant nue devant des enfants et ne comprend pas pourquoi ses cartes de crédit ne crachent plus de billets au bancomat. Son fils et sa belle-fille décident de mettre leur projet de progéniture en veilleuse (au risque de mettre leur couple en danger) pour parer aux dégâts. Au début du film, la mère leur offre un nouveau lit avec une parure à motifs floraux pour qu’ils puissent concevoir une descendance dans les meilleures conditions. À mesure que sa maladie progresse, ces motifs floraux surgissent aussi sur les pyjamas, la couverture des livres, les papiers peints, les meubles, comme une vraie jungle qui happe les personnages, étouffés par la « vie démente » qui leur est imposée. De sorte que la gravité de la situation est toujours contrebalancée par la fantaisie visuelle.

Bogdan Dumitrache dans « Spiral »

Spiral , premier film de la Hongroise Cecilia Felmeri, évoque la malédiction qu’exerce un petit lac dans la région de Szödliget sur les humains qui s’établissent sur ses rives. Bence y vit avec sa copine Janka dans une confortable bicoque en bois et essaie de gagner sa vie en élevant des poissons, notamment des poissons-chats ultra voraces qu’il nourrit avec tous les cadavres d’animaux qui lui tombent sous la main. Secrètement, comme il est biologiste de formation, il espère obtenir une bourse qui lui permettrait de consacrer plus de temps à la recherche. On sent qu’un lien particulier le retient auprès de ce lac, près duquel son père a disparu sans laisser de traces. Janka aimerait en revanche retourner enseigner à Budapest : elle en a assez d’un lieu où il n’y a de réseau qu’au milieu du lac. Un jour d’hiver, sur le lac gelé, Janka, voulant rejoindre l’endroit idéal pour surfer, se noie dans les eaux glacées, malgré ses appels à l’aide. Bence, occupé ailleurs, fait la sourde oreille. Quand sa tante visite un Bence solitaire et énigmatiquement serein quelques mois plus tard, il lui dit simplement que Janka « est partie ». Nora, une inspectrice, arrive pour l’aider dans sa demande de bourse et devient sa nouvelle amie. Lorsqu’elle trouve les poissons-chats très à son goût, Bence est révulsé. Osera-t-il trancher le cordon ombilical qui semble le lier à ce lac ?

« Pun Mjesec /Full Moon » du Bosniaque Nermin Hamzagic

Pun Mjesec /Full Moon du Bosniaque Nermin Hamzagic met en évidence la corruption endémique de la société bosniaque, à l’exemple de son corps de police. L’inspecteur Hamza arrive avec sa femme, sur le point d’accoucher, à l’hôpital, lorsqu’il reçoit un appel de son chef, qui lui demande d’assurer la garde au poste, car personne d’autre n’est disponible, une délégation de grosses légumes accaparant les forces vives de la police comme protection. Les pauvres hères dont Hamza a à traiter les cas pendant cette nuit de pleine lune ne devraient pas être des cas justiciables : un colporteur de rue arrêté parce qu’il a refusé de payer la dîme aux collègues de Hamza, un homme qui a lancé sa voiture contre un bancomat pour payer l’hôpital à son enfant cancéreux, une fille mineure qui prodiguait des gâteries à un vieillard dans un parc, tous victimes de la misère et de rien d’autre, stigmates d’un système qui pousse ses citoyens honnêtes dans le besoin à recourir à des activités illégales. Hamza lui-même a profité de l’extorsion pour monnayer la fécondation in vitro de sa femme. Ce qui explique peut-être pourquoi il est aux petits soins pour arranger les choses et traite ces gens avec la mansuétude d’un futur papa.

Paul Blain et Constance Rousseau dans « Tout est pardonné »

Europe, Now !
La rétrospective des œuvres complètes de Mia Hansen-Løve m’a permis de combler deux lacunes. Ainsi son premier long-métrage, Tout est pardonné (2007) affiche-t-il déjà ce refus des temps morts et cette justesse des dialogues qui sont devenus sa marque de fabrique. Au début, il y a un père instable qui préfère la drogue et l’errance à une vie de famille sédentaire malgré la présence d’une petite fille qu’il adore et qui va grandir en son absence et l’oublier. Dix ans plus tard, la jeune fille qu’elle est devenue a un autre papa, mais le père biologique, par l’entremise de sa sœur, va reprendre contact, dans un effort de rédemption. Et comme les femmes sont de grandes romantiques, elle va lui pardonner. Mais surtout parce que l’actrice sublime qui la joue, Constance Rousseau, est tellement solaire et rayonnante qu’elle n’aurait pu faire autrement.

Alex Descas et Aarshi Banerjee dans « Maya »

Dans Maya (2018), son dernier film, Gabriel, un grand reporter, prisonnier de l’EI en Syrie, est libéré au bout de quatre mois, mais n’arrive pas à se reconnecter psychiquement à ses proches en France. Pour se ressourcer, il retourne dans la ville qui l’a vu grandir, Goa en Inde, où il possède encore une maison et où il retrouve son parrain Monty, un autochtone lucide et chaleureux, propriétaire d’un complexe touristique. Mais surtout, il découvre la fille de Monty, Maya, une lycéenne qui, comme son père, n’a pas la langue dans sa poche. De plus, la comédienne Aarshi Banerjee a la même grâce et les mêmes vertus d’écoute et d’intelligence que Constance Rousseau. On voit donc s’amorcer non pas le repos du guerrier, mais au moins la guérison d’une âme meurtrie grâce à l’affection que lui porte une jeune fille en fleur. En ces temps d’hypersensibilité concernant les amours adulte-ado, la réalisatrice a eu la grâce de ne jamais mentionner l’âge de la jouvencelle.

Cinéma d’animation : Izabela Plucińska
La réalisatrice polonaise installée à Berlin peut se targuer de 14 films en « pâte à modeler » (Claymation) depuis 1999. Elle revendique un côté artisanal qui laisse deviner l’empreinte de ses doigts sur la plastiline et ne se préoccupe pas d’une fluidité réaliste de l’action. On ne regarde donc pas la perfection de l’animation comme dans les chefs-d’œuvre des studios Aardman, on se concentre sur le signifié. Jam Session (2005, durée : 9 min), le film de diplôme de Plucińska à l’école de cinéma de Babelsberg, a eu l’Ours d’Argent du court métrage de la Berlinale. Un vieux couple a sa chambre à coucher au-dessus d’un café. Vers minuit arrive un orchestre qui réveille les dormeurs, et les vieilles gens, tout en constatant sur leurs anatomies les outrages des années, se laissent entraîner par les rythmes qui montent vers eux et se lancent dans une danse endiablée. Quand ils s’enlacent, des couches de pâte restent collées sur l’autre, qui les enlève avec amour.

« Sexy Laundry » de Izabela Plucinska

Sexy Laundry (2016 ; 12’) dépeint les tentatives d’un couple, après 25 ans de mariage, de retrouver l’intensité sexuelle de leurs premières nuits. Dans Esterhazy (2009 ; 25’), basé sur un livre d’images de Hans Magnus Enzensberger et Irene Disch, le jeune héros, lapereau viennois tout chétif, est envoyé par le patriarche familial dans le Berlin de 1989 pour y trouver, près d’un mur mystérieux, la plus grande lapine de toutes. Il découvre que tous les lapins berlinois ont élu domicile dans le no man’s land entre les deux murs et, parmi eux se trouve l’élue de son cœur, Mimi, deux fois sa taille. Hélas, ce monde paisible est condamné après la chute du Mur. Le dernier-né de Plucińska s’appelle Portrait en pied de Suzanne (2019) et se base sur une nouvelle de Roland Topor. C’est l’histoire d’un amour tragique entre un homme solitaire et obèse et son pied gauche blessé qui semble se transformer en Suzanne, son amour perdu. Comment se débarrasser de ces visions barbares ? Un conte noir de délires et d’isolation, de jalousie et de nostalgie. La succession de Jan Svankmajer semble assurée.

Raymond Scholer