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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 8 juin 2016
dernière modification le 24 mai 2016

par Raymond SCHOLER

Far East Film Festival : impressions ...

En feuilletant le catalogue, d’ordinaire témoin d’une compétence au-dessus de tout soupçon, je tombe sur le soi-disant portrait d’Ishiro Honda, à qui le festival rend une sorte de mini-hommage. Or il s’agit du visage d’Akira Kurosawa, un des plus universellement reconnaissables dans le milieu du cinéma. Qu’une telle erreur ait pu échapper aux correcteurs, en dit long sur l’état actuel des connaissances chez les professionnels. Quand aurons-nous affaire à des spécialistes qui n’arriveront plus à distinguer Marilyn Monroe de Jean Harlow ? La dictature de l’actualité au détriment de l’histoire du cinéma va hélas dans le sens d’une telle absurdité.

Corée du Sud
Comme l’année passée, les films coréens furent les plus plébiscités du public. Il est vrai qu’avec 14 titres, ils constituaient le contingent le plus gros du festival. Le film d’ouverture fut The Tiger de Hoon-jung Park (réalisateur de New World (2013)) : c’est une sorte de Revenant où le grizzly numérique est remplacé par un tigre de Sibérie de même nature, mais géant, et d’une force surnaturelle, qui annihile une compagnie entière de soldats japonais lancés à ses trousses en 1925. Car l’occupant veut un trophée symbole. Ce « Dieu de la Montagne », le dernier du pays, ne sera maîtrisé qu’avec le concours d’un vieux chasseur, celui-là même qui lui a laissé la vie sauve et l’a requinqué lorsqu’il était tigreau. Ensemble ils forment un exemplaire de jumeaux siamois métaphoriques, une allégorie de la transition forcée et traumatique de la Corée vers la modernité. Le film ne rechigne pas devant un réalisme magique où la fureur des attaques, la démesure de la violence (le commandant japonais fait dynamiter tout un pan de montagne, ensevelissant ses soldats sans réussir à mettre la main sur la bête), le refus de tout compromis ont quelque chose des imprécations beuglantes des chamans.

« A Melody to Remember » de Han Lee

Le film favori des festivaliers, A Melody to Remember , de Han Lee, nous plonge dans les combats de la guerre de Corée en 1952 avec une immédiateté qui fait froid dans le dos. Le lieutenant Han, après avoir perdu toute sa famille au début du conflit, est blessé et assigné à un refuge pour orphelins géré par l’armée, à Busan. Chaque jour, le lieutenant et l’infirmière doivent séparer des gosses qui se chamaillent parce que leurs parents étaient des sympathisants de partis adverses. Pour forger la solidarité dans le groupe, les deux adultes, que lie un amour commun de la musique, ont l’idée de fonder un chœur. Au-delà de la pure survie, les orphelins pourront ainsi donner un sens à leur existence : l’exercice de la musique fera éclore l’amitié et l’empathie qui l’emporteront sur la dégradation morale du conflit. Tout n’est pas résolu tout de suite, car nombre de ces enfants continuent d’être exploités et abusés par des profiteurs et des trafiquants : le film n’enjolive pas la réalité. La direction des petits acteurs est un des triomphes du film, et la cohésion qui s’est établie entre eux a probablement dû suivre la même évolution que celle de la vraie chorale, car le récit est bien sûr basée sur une histoire vraie.

« Assassination » de Dong-hoon Choi

Assassination de Dong-hoon Choi (ancien assistant de Sang-soo Im) est une sorte d’Armée des Ombres à la coréenne. Sauf que la notion de réel est complètement abandonnée au profit d’un romantisme échevelé. L’ennemi est bien sûr l’occupant japonais qui dirigea la péninsule de 1910 à 1945. Le film s’ouvre en 1911 avec un coup d’éclat des indépendantistes lors d’un dîner d’affaires impliquant le gouverneur japonais et un riche industriel collaborateur, Kang, qui se solde par l’arrestation de l’attaquant téméraire et le meurtre de l’épouse de Kang. En 1933, le même agent est chargé par le Gouvernement provisoire coréen à Shanghai de recruter des agents pour réussir ce qui a échoué 22 ans plus tôt. Le groupe comprendra deux mercenaires âpres au gain et trois patriotes bénévoles, parmi lesquels une Coréenne qui a grandi en Mandchourie et acquis une réputation de tireuse d’élite. Personne ne se doute que l’agent recruteur est un agent double. Trahisons et retournements vont donc se télescoper avec des scènes d’une rare cruauté (un père qui abat froidement sa fille), mais aussi d’une noblesse, typiquement coréennes. Un peu à la manière de Wild Bunch (Sam Peckinpah, 1969) pour les scènes d’action millimétrées.

Ji-won Uhm dans « The Silenced »

D’autres drames plus convenus furent Inside Men (Min-ho Woo), où un jeune procureur se ligue avec un gangster pour dévoiler la corruption des hommes de pouvoir (politiques, industriels, éditeurs de presse), et The Exclusive : Beat the Devil’s Tattoo (Deok Roh) sur la frénésie d’une chasse au serial killer déclenchée par un journaliste sur la base d’informations douteuses qu’il est obligé de défendre bec et ongles, ce qui ne plaît pas du tout au vrai coupable. The Silenced (Hae-young Lee) est un film d’horreur se déroulant dans un internat de jeunes filles en 1938, où l’on pratique pour le compte d’un centre de recherche de l’armée japonaise des expériences par injection de substances chimiques qui ont comme effet de hausser les performances physiques des jolies pensionnaires, à leur insu bien sûr. Une sorte d’Unité 731 feutrée.

The Priests (premier film de Jae-hyun Jang) est le récit d’un exorcisme perpétré par le père Kim et le diacre novice Choi sur la personne de Young-sin, une adolescente possédée. On savait déjà que le christianisme était la première religion du pays, mais la façon dont le clergé semble couramment se servir de l’italien et du latin dans leurs messages avec le Vatican, jette une nouvelle lumière sur l’occidentalisation réussie de la péninsule. Il est vrai qu’au cours de leur procédure, les deux catholiques se font assister par un chaman traditionnel. Ce qui explique peut-être les curieuses spécificités de la lutte contre les démons. Pour faire sortir celui-ci du corps humain, il est indispensable de lui demander son nom : comme il est très fier, il ne manquera pas de le fournir par bravade. Il suffit dès lors de lui demander rituellement de sortir de la personne et d’entrer dans le corps d’un porcelet qu’on maintient à proximité, et de balancer, dans les soixante minutes, ledit porcelet dans une rivière large d’au moins 15 mètres. Le fleuve Han à Séoul fera bien l’affaire.

« Wonderful Nightmare »

Quant aux comédies, elles tournent essentiellement autour du respect des valeurs familiales. Dans Wonderful Nightmare (Hyo-jin Kang), Yeon-woo est une avocate de haut niveau qui est tellement immergée dans son métier qu’elle n’a pas de temps pour une liaison et encore moins pour une famille. Un accident de voiture la plonge dans un coma. Au ciel, un officiel constate que deux dates de décès ont été mélangées. Il propose à Yeon-woo de redescendre sur terre pour vivre le dernier mois de la vie d’une mère de famille, après quoi elle pourra sortir du coma et reprendre sa vie. Marché conclu. Quand on voit le mari beau comme un dieu, le petit garçon chou et l’ado morveuse, on voit déjà comment tout va finir. Non seulement, Yeon-woo s’attache à ces gens, mais tire profit de sa formation pour faire payer cher à un fils à papa une tentative de viol sur sa fille, et dévoiler la corruption de la municipalité devant des voisins aux anges. Quand elle se réveille du coma, elle découvre sur une vieille photo de famille que le monsieur du ciel n’est autre que son propre papa, qu’elle n’avait pas connu et qui a redressé l’équilibre depuis là-haut. Comme quoi le culte des Ancêtres est autrement plus utile que celui des Dieux.

Mason Moon Moorehouse dans « Making Family »

Dans Making Family , titre programmatique s’il en est, Jin-mo Cho nous raconte comment un petit écolier coréen, fils d’une mère célibataire qui s’est fait inséminer, découvre sur l’ordinateur du médecin de famille, le nom et l’adresse du donneur de sperme qui est son père biologique, et comment il fait son baluchon et le rejoint en Chine, ne parlant que trois mots de mandarin. Toute aspérité éventuelle n’est que trompeuse, puisque le papa en question est fils de parents richissimes, et on sait que chez ces gens-là, il n’y a pas de vrais problèmes.

Anthony Wong dans « The Mobfathers »

Hong Kong
Sélection des plus réduites, celle de Hong Kong vaut surtout par la contribution de Herman Yau, The Mobfathers . Yau y traite le monde des triades comme un reflet du monde politique de la ville, avec ses élections du capo dei capi ou Dragon Head, censé remplacer Anthony Wong qui souffre d’un cancer terminal et qui tire les ficelles à sa guise, tout comme Pékin le fait avec Hong Kong. Il joue l’une contre l’autre deux factions, une dirigée par Chuck qui vient de sortir de prison et essaie de reconstruire une vie de famille, l’autre sous la houlette d’un ancien policier porté sur la frime, Wulf. Les dommages collatéraux ne sont pas seulement les innombrables malfrats qui s’étripent à coups de hachoirs et de couteaux, mais aussi la femme et le fils de Chuck, et pour finir, les deux candidats dans une espèce de Götterdämmerung de la pègre.

Mike Tyson dans « IP Man 2 »

Ip Man 3 (Wilson Yip) est la suite des deux précédents volets consacrés à la biographie du maître célèbre du wing chun (incarné toujours par Donnie Yen) et concerne les années 1959/60 qui voient entre autres la maladie et le décès de son épouse : il y a quelques mémorables duels chorégraphiés par le génial Woo-Ping Yuen, dont un entre Yen et Mike Tyson où l’on a de la peine à comprendre pourquoi Tyson n’arrive pas à aplatir Yen, simplement avec son poids.

Dans The Bodyguard de Sammo Hung, le réalisateur incarne, avec sa dégaine placide à la Kung Fu Panda, le vieux Deng, ancien as des Services Secrets chinois, qui coule une retraite heureuse à Suizhen sur la frontière russo-chinoise. Son bonheur secret est d’aller à la pêche avec la fillette d’un voisin, trafiquant louche souvent en déplacement. Le père de la petite vole des bijoux à un mafieux de Vladivostok et se fait tuer devant chez lui, juste après avoir prié Deng de s’occuper de sa fille. Reste à Hung à livrer la preuve de son martial savoir-faire : grâce à un montage savant de plans ultracourts de kung fu, on croit le voir se déchaîner et anéantir une armada de truands russes et chinois.

Au mois prochain

Raymond Scholer