Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2014

16e Far East Film Festival (FEFF)

Article mis en ligne le 14 juin 2014

par Raymond SCHOLER

Udine confirme la prépondérance de la Corée du Sud et de Hong Kong en matière de cinéma populaire asiatique.

Corée du Sud
Miss Granny (2014) de Dong-hyuk Hwang, dont le précédent film Silenced (2011) sur une affaire d’abus d’enfants dans une école pour sourds-muets, plébiscité au FEFF, avait entraîné dans son pays un renforcement significatif de la protection des mineurs, concerne une vieille dame qui ne s’en laisse conter par personne. Elle a un caractère bourru, un langage de charretier, et est en bisbille avec sa dondon de belle-fille. Elle se chamaille même avec le seul homme qui l’adule en secret depuis toujours, son collègue de travail. Un jour, elle se fait tirer le portrait par un photographe qui lui offre une « photo de jouvence ». En voyant sa réflexion dans une vitrine plus tard, elle réalise qu’elle a maintenant le physique d’une jeune fille. Les membres de sa famille ne la reconnaissent pas. Comme elle adore chanter, elle fait tout pour se faire « découvrir » par son petit-fils qui dirige un groupe rock. L’effet comique qui a fait trembler de rire les salles de la péninsule naît du talent de la jeune comédienne Eun-gyeong Shim, qui mime les manières brusques et le franc-parler cru de la vieille dame à la perfection, lesquels détonnent bien sûr sur un corps si juvénile. Le développement économique foudroyant du pays aidant, le gouffre séparant les sexagénaires de la jeune génération coréenne n’est plus seulement culturel, mais aussi linguistique.

SHIM Eun-gyeong dans « Miss Granny »

The Terror Live (2013) de Byung-woo Kim met aux prises, en direct et en exclusivité, un journaliste de télé soi-disant honnête avec un maître-chanteur qui fait exploser un pont routier sur la rivière Han pour montrer que ses revendications doivent être prises au sérieux. Il n’est d’ailleurs pas motivé par le lucre, il émet simplement une exigence morale : que le président vienne faire des excuses à la télé pour les morts que des économies indues dans la réfection dudit pont quelques années en arrière ont occasionnées. Il donne un temps de réponse, faute de quoi il procédera à d’autres explosions bien placées. D’emblée, le journaliste se retrouve entre le marteau et l’enclume, avec les révélations de médias concurrents jaloux qui ont déniché des irrégularités dans son passé professionnel, les services secrets qui ne veulent pas laisser le président céder au chantage, les dirigeants de la télé qui poussent vers une issue violente parce que celle-ci fait normalement exploser le taux d’écoute, et le terroriste qui perd patience. Le spectateur passe tout le film en compagnie du journaliste dans le studio de la télé, d’où on a une belle vue sur le pont en question. Les effets des tractations secrètes deviennent donc immédiatement visibles in situ. Lorsque les premières pertes humaines arrivent à mi-film, on espère que tout le monde y mettra du sien pour éviter le pire, mais le film est coréen et donc noir jusqu’au bout. Le remake hollywoodien aura à coup sûr une fin plus lénifiante.

Do-won KWAK dans « The Attorney »

The Attorney (2013), premier film de Woo-seok Yang, est un peu le prolongement de National Security de Ji-Yeong Jeong, vu l’année passée. Alors que ce dernier décrivait les tortures subies par les victimes innocentes de la dictature de Chun Doo-hwan (1980-1988), le film de Yang se déroule au milieu de la population et se focalise sur un avocat sans formation universitaire, opportuniste, spécialisé en conseils fiscaux, qui, en 1981, n’a aucun grief contre le gouvernement et ne veut pas croire tout ce qu’on dit, jusqu’au moment où un jeune étudiant dont il connaît la famille pauvre et travailleuse, est arrêté par les services secrets et accusé d’être un agent communiste. Il découvre alors les fallacieux prétextes et sordides réalités des détentions de civils innocents et décide de se muer en avocat de la défense. Comme les dés sont pipés d’avance, il perd le procès, non sans avoir hurlé ses quatre vérités à la face des juges dans une scène mémorable. Mais on le retrouve en 1987 comme activiste en tête des manifs et cette fois-ci, c’est à lui que le régime fera un procès. Le nom de l’avocat fictionnel est Song Woo-seok, clairement fabriqué à partir du nom de l’acteur qui l’incarne, le toujours impressionnant Song kang-ho, et le prénom du réalisateur. Le personnage est d’évidence basé sur Roh Moo-hyun, qui a suivi grosso modo le même parcours avant d’être élu Président de la République en 2002. Mais comme la Corée a maintenant un régime de droite, il n’est pas nommé expressément.

Andy Lau (3e) dans « Firestorm »

Hong Kong
Firestorm (2013) de Alan Yuen pose un nouvel étalon. Le film est un véritable bulldozer qui a laissé bouche bée les spécialistes des films d’action de l’ex-colonie britannique, pourtant habitués depuis longtemps à toutes sortes d’excès, mais là, il faut bien l’avouer, Dante Lam a été battu sur son propre terrain, et encore par un novice ! L’histoire a à peine commencé qu’un transport de fonds se fait harponner et hisser dans les airs par une grue, en pleine ville. La police a beau être vite sur place, la bataille qui s’enclenche n’est que la première de toute une série au cours desquelles civils innocents et policiers paient de leur vie, sans parler des dégâts matériels. Les nouveaux gangsters venus du continent utilisent des armes de guerre qui pulvérisent des bus, font s’affaisser des ponts et creusent des cratères ; ils poussent le sadisme jusqu’à jeter une petite fille autiste d’un balcon devant les yeux de son père avant de torturer celui-ci, un infiltré, à mort. Andy Lau, le commissaire, n’a dès lors plus qu’un désir : liquider la racaille par tous les moyens possibles, fussent-ils illégaux ou immoraux ! Il tabasse un gangster à terre jusqu’à l’envoyer dans le coma, laisse tranquillement un autre mourir d’une crise d’asthme, trahit ses taupes, etc. Le film d’action devient ainsi un film catastrophe, donnant corps à cet idéal du romantisme, selon lequel le déchirement intérieur des personnages se reflète dans la réalité extérieure. Alors qu’un typhon encercle Hong Kong, le monde urbain plonge dans le chaos : le flic honnête devient l’incarnation du mal et le gangster pourri se mue en père de famille responsable. Lorsqu’au terme de cette orgie de destruction, le seul survivant s’efforce de rétablir l’ordre ancien, le ciel s’éclaircit aussi.

Weng Weng

Philippines
Un des meilleurs documentaires de ces dernières années nous vient de Andrew Leavold, un historien australien (qui publiera sous peu sa thèse Bamboo Gods and Bionic Boys : A History of Pulp Filmmaking in the Philippines). Le film, une coproduction philippino-australienne s’intitule The Search for Weng Weng (2013).Weng Weng est le pseudonyme de Ernesto de la Cruz (1957-1992), qui du haut de ses 83 cm, fut au cinéma l’inoubliable Agent 00 dans For Y’ur Height Only (Eddie Nicart, 1981) et The Impossible Kid (E. Nicart, 1982), deux exemples symptomatiques et sympathiques du cinéma de genre philippin des années huitante, lequel profitait de la manne étatique sous les auspices d’Imelda Marcos, fondatrice du Manila Film Center. Souffrant de nanisme primordial, le petit gamin s’enthousiasma assez tôt pour les arts martiaux et devint ceinture noire. « Adopté » l’espace de quelque 6 films par le producteur Peter Caballes et sa femme, l’acteur devint la coqueluche du Manila International Film Festival avant de sombrer dans l’oubli et la dèche quelques années plus tard. Le film de Leavold, construit comme une véritable enquête, alterne les extraits de films (où l’on peut constater l’extrême agilité du cascadeur miniature, son espièglerie et le charme trouble qu’il exerce sur les femmes) avec les interviews de collègues de travail, et surtout, cerise sur le gâteau, une réception chez l’ex Première Dame en personne à l’occasion de son 83e anniversaire.

Les kamikazes de « The Eternal Zero »

Japon
The Eternal Zero (2013) de Takashi Yamazaki reçut le maximum de votes de la part du public, mais la gêne était palpable chez certains spectateurs à la lecture du palmarès. Le Zéro dont il est question est bien sûr l’avion des kamikazes, déjà l’objet de Le Vent se lève (Hayao Miyazaki, 2013). À l’occasion de l’enterrement de leur grand-mère, ses petits-enfants apprennent qu’elle avait eu un premier mari, pilote d’avion et instructeur de vol, lequel mourut en mission au-dessus du Pacifique en 1945. Des témoignages contradictoires louaient le héros ou dénonçaient le couard. Mais peu à peu se dessine le portrait d’un homme qui aimait tendrement son épouse et sa petite fille, à tel point qu’il mettait sa survie au-dessus de toute considération de sacrifice pour la patrie. Pendant les combats aériens au-dessus de Rabaul, il restait souvent à l’écart en prenant littéralement de la hauteur : pour l’état-major, il devint alors de plus en plus suspect. On lui confia l’entraînement des kamikazes. Et là, il recalait ses élèves aussi souvent qu’il le pouvait pour les maintenir en vie. Mais ils finissaient toujours par être envoyés à une mort certaine. Le film laisse supposer que, se sentant coupable de toutes ces morts, il décida de s’immoler lui-même en lançant son Zéro sur un navire américain, non sans avoir sauvé une dernière fois un de ses élèves qui deviendra le deuxième mari de la grand-mère et sera un grand-père empreint de toute la noblesse des samouraïs d’antan. Un film donc tout à fait dans l’esprit de Shinzo Abe.

Au mois prochain

Raymond Scholer