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le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2013

Commentaires sur le 15e Far East Film Festival

Article mis en ligne le 2 juin 2013
dernière modification le 29 mai 2013

par Raymond SCHOLER

La crise s’est pour la première fois manifestée : pas de rétrospective digne de ce nom, seulement un hommage anémique (2 films !) à King Hu, illustré cependant par un beau volume d’entretiens, de commentaires et de dessins du maître, édité sous l’égide du festival par Roger Garcia : King Hu In His Own Words . On pouvait également voir Hu comme acteur dans une bien médiocre comédie de Meng-hua Ho : My Lucky Star (Hong Kong, 1963), où il campe un industriel en faillite au bord de la dépression. Seul moment surprenant du film : les déhanchements équivoques de deux bambins pendant un thé dansant.

Philippines
Deux films sur les aswangs (êtres d’apparence humaine le jour, capables de prendre forme animale la nuit, avec un appétit furieux pour les foetus, les petits enfants, les cœurs et les foies), ça fait un peu beaucoup, d’autant plus que les effets spéciaux ont tendance à être pourraves (surtout dans TikTik, the Aswang Chronicles de Erik Matti) et les scénarios difficilement encaissables (dans The Strangers de Lawrence Fajardo, l’originalité consiste à nous dévoiler dans les derniers instants du film que la famille normale que nous avons suivie depuis le début dans son excursion est en fait celle des aswangs et que les mines patibulaires rencontrées en forêt sont des gens comme vous et moi).

« I Do Bidoo Bidoo » de Chris Martinez

La comédie musicale de Chris Martinez, I Do Bidoo Bidoo (Juliette est riche et habite dans un manoir protégé, Roméo est pauvre et fils de musicien sans travail) aligne de jolies idées de mise en scène et une Eugene Domingo dans un numéro courageux (et hautement comique) de passion conjugale déshabillée, mais souffre d’une musiquette insupportable. Les chansons se ressemblent comme des gouttes d’eau, les rythmes éprouvés à Broadway depuis belle lurette sont simplement mis à la sauce tagalog. Soudain, un numéro de danse collective s’inspirant de Bollywood paraît comme une diversion bienvenue. Mariposa in the Cage of Night (Richard Somes) distille un effroi considérable avec la descente aux enfers d’une jeune provinciale à la recherche de sa sœur disparue dans les bas-fonds poisseux de Manille. Là où l’on décalotte les singes pour consommer leur cervelle, là où un chirurgien fou altère les visages des jeunes filles pour en faire des créatures monstrueuses destinées au caïd régnant en maître sur les lieux.

« The Gangster » de Kongkiat Khomsiri

Thaïlande
Kongkiat Khomsiri, réalisateur du sulfureux Slice (2009), revient avec un biopic un peu particulier : The Gangster retrace la carrière du plus chevaleresque des mauvais garçons de Bangkok dans les années cinquante, appelé ici simplement Jod. Alors que certains truands n’hésitent pas à tuer ou mutiler des filles récalcitrantes, Jod est tenaillé par le remords pour avoir causé une mort accidentellement. Il se fait une règle de ne plus tuer (ce qui ne manque pas de le mettre en porte-à-faux avec ses chefs), protège les femmes et prend soin de sa famille. Les chansons d’Elvis et les affiches de films - dancings et salles obscures font partie des lieux privilégiés des gangsters - aident à situer temporellement la reconstitution soignée d’un mode de vie disparu. Une sorte de passage à la modernité a lieu à l’aube des années 60, lorsque les couteaux sont remplacés chez la pègre par les armes à feu. Des témoins de l’époque sont interviewés par intermittences.

Rhydian Vaughan et Joseph Chang dans « GF*BF »

Taiwan
A l’heure où les séides de Frigide Barjot défilent contre le mariage gay, il est réconfortant de constater que sur l’île de Formose, rien ne semble plus normal que de convoler en sexe compatible, fût-il le même. Deux films taïwanais enfoncent le clou. De façon plutôt romantico-tragique dans GF*BF (Ya-che Yang), où les gays se marient encore avec le sexe opposé et fondent une famille, tout en ayant des liaisons coupables, car l’histoire se déroule dans le passé, pendant les manifestations estudiantines de 1985 et 1990. De manière plus humoristique dans Will You Still Love Me Tomorrow (Arvin Chen), où les mariages hétéro actuels se dissolvent carrément sous la pression de l’amour qui en a marre de ne pas dire son nom. Il est cependant vrai que c’est la partie hétérosexuelle qui prend l’initiative pour opérer le changement. Une façon comme une autre d’affirmer que seule une législation adaptée à leurs besoins rendra la vie des homosexuels plus simple.

« Will You Still Love Me Tomorrow » de Arvin Chen

Corée du Sud
New World (Hoon-jung Park) met à nu les mécanismes du pouvoir à l’intérieur d’un gang dont le chef est assassiné dans une ahurissante séquence d’ouverture. Non seulement les prétendants à la succession jouent au chat et à la souris avec la police, mais l’associé de l’un d’eux est un policier infiltré depuis huit ans, dont la femme attend un bébé et qui aimerait enfin mener une vie honnête. Son répondant dans la police n’en veut rien savoir et est prêt à le trahir pour l’obliger à rester où il est, car la police a son propre plan : jouer l’un des prétendants contre l’autre et faire en sorte que le supérieur de l’infiltré devienne le chef suprême du gang. Le plan réussit au-delà de leurs espérances, mais le candidat perdant n’est pas dupe et découvre le pot aux roses. S’ensuit alors une course contre la montre pour l’infiltré qui doit éliminer tous ceux qui risquent d’apprendre ou connaissent déjà sa véritable identité. Dur comme un diamant noir.

« New World » de Hoon-jung Park

Eungyo (Ji-woo Jung) est une jeune fille de 17 ans qui fait le ménage pour un écrivain septuagénaire célibataire. Entre les deux se développe une affection platonique qui rend jaloux Ji-woo, un ingénieur converti en secrétaire de l’homme de lettres, qui rêve de devenir célèbre par ses écrits, alors qu’il n’a guère de talent. Un jour, il découvre un manuscrit de son maître où celui-ci fantasme sur Eungyo. L’occasion est trop belle : il le publie sous son propre nom et gagne un prix littéraire. Le maître ne bronche pas, sachant que la vérité déclencherait un scandale dont tout le monde pâtirait. Mais Eungyo arrive à lire entre les lignes du texte… Beau à pleurer.

Hong Kong
Les meilleurs films de l’ex-colonie ont tous un rapport à l’Histoire, qu’il s’agisse de la petite ( Ip Man : The Final Fight d’Herman Yau) ou de la grande ( The Guillotines d’Andrew Lau ; Saving General Yang de Ronny Yu). Ip Man, le grand maître du wing chun et mentor de Bruce Lee, est sans doute le personnage le plus romancé du cinéma. Depuis 2008, c’est la cinquième fois que sa vie fait l’objet d’un film, après deux oeuvres de Wilson Yip, un premier de Herman Yau (qui traitait des années d’apprentissage du sage) et The Grandmaster de Kar-wai Wong, encore sur nos écrans.

Anthoy Wong est Ip Man dans « The Final Fight » d’Herman Yau

The Final Fight est consacré aux années cinquante et soixante. Ip, qui meurt en 1972, est ici merveilleusement incarné par Anthony Wong, parangon d’intégrité et de sagesse, dans un Hong Kong d’une pauvreté extrême (une famille amie des Ip est obligée de vendre son 6e enfant pour nourrir les au-tres), déchiré par les révoltes ouvrières et les agissements d’une pègre abjecte qui truque les combats et tient même la police à sa botte. Dans The Guillotines , on suit un escadron de la mort (7 combattants émérites qui manipulent des assemblages volants de lames létales destinées à décapiter l’adversaire) dévoué à l’empereur Qianlong, le 6e de la dynastie mandchoue des Qing. On craint devoir subir le panégyrique d’un commando SS avant la lettre, quand au bout de 40 minutes, le film change complètement de direction. Le brigand han surnommé « Loup », qu’ils devaient liquider, se révèle leader d’une communauté agraire pacifique où tout est fait et possédé en commun, et la troupe d’élite est convertie d’emblée. Mais les espions de l’empereur veillent au grain, ils ont découvert le village des rebelles et l’armée vient les anéantir. Pour sauver au moins les veuves et les orphelins, Loup s’offre en sacrifice au chef des « Guillotines », son personnage proto-Mao (comme l’histoire chinoise en a connu en quantité) empreint d’une symbolique christique.

« Saving General Yan » de Ronny Yu

Saving General Yan est la énième adaptation dramatique de l’histoire des 7 fils du général Yang Ye qui se sont juré de ramener leur père du champ de bataille où il a été lâchement abandonné par les autres généraux de l’empereur Taizong. Les personnages sont historiques (on est en 986), les faits hautement légendaires. Qu’à cela ne tienne : Yu règle son film comme une campagne militaire, avançant sans relâche sur les chapeaux de roue de l’adrénaline, au service de la piété filiale, de la droiture et de l’efficacité martiale.

« The Floating Castle » de Shinji Higuchi et Isshin Inudo

Japon
The Floating Castle (Shinji Higuchi et Isshin Inudo) essaie de restituer avec un sens remarquable de l’espace et de la conjoncture politique le siège du château Oshi en 1590, où 500 défenseurs tinrent tête à une armée de 20’000. La connivence entre le seigneur, très populaire, pitoyable bretteur, mais fin stratège, et ses paysans y est pour beaucoup dans ce singulier fait de guerre. La situation apparemment vulnérable du château au milieu d’une plaine de rizières pouvait leurrer les troupes ennemies. Elles durent déchanter.

« The Last Supper » de Chuan Lu

Chine
Mon film préféré fut The Last Supper de Chuan Lu, qui, après son élégie sur Nankin, City of Life and Death (2009), montre ici une autre facette de son talent . Il recrée, avec des costumes et du mobilier plus primitifs que ceux auxquels le cinéma nous a habitués, et selon un rythme hiératique, les derniers mois du fondateur de la dynastie Han, Liu Bang, alias Gaozu. Hanté par des cauchemars, l’empereur - issu d’une famille de paysans - passe en revue son avènement et les actes de cruauté que sa soif de pouvoir lui a fait commettre, à commencer par la sanglante mise à mort rituelle du dernier empereur Qin, Ziying. De peur que son plus loyal commandant, Han Xin, ne puisse se retourner contre lui, il l’a fait jeter en prison. Maintenant, 6 ans après, pris de remords, il le fait libérer. Mais l’impératrice Lü Zhi, encore plus terrorisée à l’idée de perdre une once de pouvoir, s’arrange pour que Han Xin soit assassiné. Des horreurs organisées sur fond de pas feutrés, ceux des innombrables serviteurs muets, avançant ou reculant, en permanence courbés bien bas face aux souverains. Les ostéopathes de l’époque ont dû amasser des fortunes.

Au mois prochain

Raymond Scholer