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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2012

Balade au 14e Far East Film Festival, Udine, Frioul

Article mis en ligne le 1er juin 2012
dernière modification le 22 mai 2012

par Raymond SCHOLER

Le FEFF se concentrant sur des productions qui ont été des succès publics dans leurs pays respectifs (et non des objets de prédilection des intellectuels, comme les œuvres d’Apichatpong Weerasethakul, Naomi Kawase ou Hong Sang-soo), la probabilité de les retrouver sur nos écrans est minime. Quelques échantillons peuvent surgir dans la section asiatique du NIFFF, mais pour le reste, la Toile ou le DVD sont les seules voies d’accès.
Ma sélection personnelle par pays :

TAIWAN
Warriors of the Rainbow : Seediq Bale de Te-Sheng Wei raconte l’histoire authentique d’un peuple austronésien du Nord-Est de Taiwan qui faillit être exterminé par l’occupant japonais dans la première moitié du 20e siècle. Un des 14 groupes aborigènes formosans, les Seediq s’accommodaient de la présence des Hollandais, puis de celle des Han de la dynastie Qing, car ces suzerains leur fichaient en général une paix royale, limitant les contacts aux factoreries. Tout allait changer avec le traité de Shimonoseki (1895) qui céda l’île au Japon. La nouvelle puissance coloniale obligea les Seediq à abandonner leurs coutumes ancestrales, telles que les tatouages rituels ou les expéditions punitives entre clans voisins suivies de la décapitation d’ennemis à des fins de trophées. Leur embrigadement comme travailleurs forcés dans la déforestation de leur terre natale et les abus perpétrés par la police impériale parachevaient la perte de leur dignité.

« Warriors of the Rainbow : Sediq Bale » de Te-Sheng Wei

Le 27 octobre 1930, quelque 300 guerriers seediq, guidés par le chef Mona Rudao, attaquent le village de Wushe et tuent 134 Japonais, tous sexes et âges confondus, offrant à leurs ancêtres un sacrifice de sang avec moult décapitations. Les femmes de la tribu, ne voulant pas devenir une charge pour les hommes en campagne, se suicident en masse. Les représailles de l’armée japonaise ne se font pas attendre : l’aviation lâche des gaz toxiques et des bombes incendiaires, certains chefs de village aident les Japonais à retrouver et éliminer les insurgés, car il y a tant de vieux comptes à régler. Sans les moindres enjolivures, mais sans complaisance non plus, Wei relate les injustices, humiliations, actes de bravoure et de cruauté des uns et des autres, les élans d’humanité et d’affection aussi, sans privilégier les « sauvages » ou les « civilisés » : Rudao est une figure également charismatique et dogmatique, le policier Kojima est un altruiste exemplaire jusqu’à ce qu’on lui tue sa famille à Wushe. Les acteurs aborigènes n’ont rien de chinois et évoquent plutôt les Amérindiens de The Last of the Mohicans (1992, Michael Mann). On ne se lasse pas de les regarder courir pieds nus à travers leurs forêts. Ils parlent l’idiome seediq, aussi éloigné du mandarin que de l’anglais. Le montage des scènes de combat laisse pantois. Le film complet (accessible chez yesasia.com) dure plus de 4 heures, Udine se contenta d’une version readers’ digest de 2h30, qui garde intacts l’esprit et la lisibilité du projet.

JAPON
Thermae Romae de Hideki Takeuchi est l’adaptation d’un manga de Mari Yamazaki. Lucius, un architecte de l’empereur Hadrien, réputé pour la modernité de ses thermes, se retrouve à plusieurs reprises transporté (le plus souvent au moment où il prend un bain) dans un bain public japonais actuel ou un lieu d’aisances. De façon tout aussi imprévisible et mystérieuse, il regagne son époque. Ce qu’il voit au Japon le remplit d’émerveillement et de frustration : depuis les couvercles des toilettes qui s’ouvrent de façon autonome aux jacuzzis en passant par les jouets flottants en plastique et le chapeau-cerceau qui permet de laver les cheveux sans mouiller le visage. De retour chez lui, il essaie de mettre ces innovations en pratique, souvent aux dépens d’esclaves, source d’énergie gratuite et renouvelable.

Hiroshi Abe dans « Thermae Romae » de Hideki Takeuchi

Cette transposition géographico-temporelle des éléments de confort modernes fournit le principal ressort comique. Ne cessant d’améliorer les bains de l’Empereur romain, il crée beaucoup de jaloux parmi la clientèle du palais qui complotent bientôt contre lui. Ce n’est que lorsqu’il guérit (à l’aide d’un groupe de vieux baigneurs japonais inopinément rétrotransportés) les soldats romains blessés en campagne grâce à des cures thermales improvisées, qu’il rentrera pleinement en grâce auprès de Hadrien et sera honoré au Forum. Hiroshi Abe a les traits suffisamment internationaux et un physique de statue romaine, ce qui est un avantage lorsqu’on doit jouer un Italique nu à longueur de film aux côtés d’une âme sœur versée en latin venue avec lui du pays du Soleil Levant.

The Woodsman and the Rain de Shuichi Okita raconte le tournage dans une forêt reculée du Japon d’un film de zombies. Comme la production essaie de limiter les coûts au maximum, l’équipe de tournage n’est pas vraiment préparée. La reconnaissance du terrain n’a guère été faite ailleurs que sur Google Maps.

« The Woodsman and the Rain » de Shuichi Okita

Le premier assistant est donc bien content de tomber sur un bûcheron compréhensif. Koji Yakusho (que nous avons admiré dans les films de Shohei Imamura, de Kiyoshi Kurosawa et dans le bestseller planétaire Shall we dansu ?) manie la scie et gravit les sentiers en pente, comme s’il n’avait jamais fait autre chose. Démarrant comme simple location scout, il devient progressivement assistant réalisateur, fournisseur d’outils, de repas et de figurants, et jouera même un zombie. Il aide ainsi le réalisateur novice timoré à sortir de sa coquille et à s’affirmer devant l’équipe qui le traite au début avec mépris. Chemin faisant, il sort lui-même de sa coquille de veuf en se rapprochant de son fils, dans lequel il voit beaucoup de points communs avec le jeune cinéaste. Un film d’une douceur magique qui respecte les temps morts et le non-dit.

CORÉE DU SUD
Silenced de Dong-hyuk Hwang est basé sur un fait divers qui a secoué le pays il y a quelques années. Des membres du corps enseignant et le directeur d’un établissement spécialisé ont abusé d’enfants sourds-muets pendant des années. Un maître de dessin fraîchement nommé s’étonne des visages tuméfiés de quelques petits et, maîtrisant le langage des sourds, découvre assez vite le pot aux roses nauséabond. Il réussit, avec l’aide d’une assistante sociale, à faire interner les coupables au bout d’une demi-heure de film. Le reste du temps diégétique est occupé par le procès.

« Silenced » de Dong-hyuk Hwang

Malgré les témoignages des petites victimes (que le cinéaste visualise par des scènes chocs insoutenables quoique non pornographiques), malgré des preuves incontournables (les pédophiles avaient enregistré leurs viols sur vidéo), les criminels sont relâchés, à la fois parce qu’ils font partie des organes de bienfaisance catholiques et parce que les juges ont de curieuses prérogatives au royaume ermite. Le plus tragique est donc de voir le désespoir des enfants à l’issue du procès. A ce qu’il semble, le film a fait un tabac en Corée et déclenché la réouverture du procès et le changement d’un ou plusieurs points d’une législation visiblement inique.

The Front Line de Hun Jang revient sur les derniers jours de la guerre de Corée avec le va-et-vient incessant des infanteries antagonistes sur les mêmes collines à longueur de temps. Le thème principal est donc le même que dans Pork Chop Hill (1959, Lewis Milestone). Mais ici, point de GI américains, que des Coréens de part et d’autre.

« The Front Line » de Hun Jang

Comme ils se relaient dans l’occupation de la colline truffée comme un gruyère de galeries souterraines, ils ont aménagé une cachette où ils laissent à tour de rôle des messages, des lettres aux parents restés de l’autre côté, de l’alcool ou des cigarettes. Ce qui ne les empêche pas de se battre comme des loups pendant les engagements, frère contre frère. De temps à autre, ils sont excédés par les ordres de leurs officiers, qui chopent alors des balles perdues. Lorsque l’armistice est signé à Panmunjeom, ils se sentent revivre et se préparent à des contacts timides avec les « autres ». Contrordre : l’entrée en vigueur est seulement pour le lendemain. Il leur reste encore douze heures pour reprendre du terrain à l’ennemi ; ils redeviennent des machines à tuer. L’absurdité de la guerre a rarement été montrée de manière aussi implacable.

« The Cockfighters » de Rui Jin

CHINE
The Cockfighters de Rui Jin ne sortira pas dans son pays. En décrivant une petite ville complètement sous la coupe d’un fils de potentat local qui se pavane avec des sbires en SUV, rackette les maisons de jeux et de prostitution, viole et mutile à tour de bras, le réalisateur veut clairement indiquer que la Chine est à nouveau dans une phase de seigneurs de guerre comme dans les années 20. Loin des grandes agglomérations urbaines, la population vit dans des zones de non-droit. Un ex-pilote militaire se sacrifie à la manière d’Eastwood dans Gran Torino pour neutraliser le jeune tyran.

« The Woman in a Septic Tank » de Marlon Rivera

PHILIPPINES
The Woman in the Septic Tank de Marlon Rivera est une satire sur la poverty porn tant prisée par les adeptes du prêt-à-penser tiers-mondiste. Une mère et ses 7 marmots survivent péniblement dans un bidonville de Manille. Un jour, elle baigne sa fille de 13 ans, lui met des vêtements propres et l’amène dans un immeuble de luxe pour la louer à un pédophile. C’est avec ce canevas que deux jeunes cinéastes veulent asseoir leur réputation dans les festivals. Ils imaginent les séquences en changeant l’actrice qui fait la mère, le physique du pervers, le sexe de l‘enfant et le mode de narration (narration néo-réaliste ascétique/ mélodrame/cinéma-vérité pseudo-documentaire/ comédie musicale), donnant lieu à des scènes ... d’une rare cocasserie !

Au mois prochain

Raymond Scholer