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Cine Die - juin 2011

Commentaires sur le 25e Festival International de Films de Fribourg

Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 31 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

25e Festival International de Films de Fribourg
Pour son dernier festival, Edouard Waintrop, qui a depuis le 1er avril repris la direction des cinémas du Grütli à Genève, a proposé non seulement une compétition internationale de belle tenue, mais aussi sept panoramas annexes. Inévitablement, c’est dans ces derniers qu’on trouve à boire et à manger. Le programme qui m’a le moins convaincu est The Da Huang Network, encore que je n’aie vu que 2 films sur 7. Il y a des voix qui veulent nous faire croire que le nouveau cinéma malaisien, qui profite de l’avènement du numérique pour faire des films très peu coûteux, est la prochaine pépinière de cinéastes « innovant le langage cinématographique » (sic). Toutes les années, comme dans tous les domaines créatifs, il y en a qui réinventent la roue. Les longs plans fixes généraux sur des gens attablés discutant de tout et de rien, ce n’est pas nouveau. L’escamotage systématique de tout ce qui pourrait être qualifié de scène d’action au profit des seules scènes d’exposition ou de conclusion verbales est, depuis les origines du 7e art, le signe distinctif de toutes les cinématographies pauvres d’inspiration et de moyens. C’est pourtant ce qui est censé nous frapper comme intrinsèquement original dans cette chose indigente qui s’appelle Call If You need Me de James Lee (2009) et qui, de surcroît, se vend comme film de gangsters. Un peu plus intéressant, mais mis à mal par un rythme d’une léthargie exsangue, était The Tiger Factory de Ming-Jin Woo (2010). Une jeune fille gagne péniblement ses sous entre un élevage de porcs reproducteurs et la plonge d’un estaminet minable. Elle a un gain supplémentaire dans une « fabrique de nouveau-nés » destinés à la vente où des mères porteuses se font engrosser par des clandestins birmans. À cause du parti pris minimaliste, les personnages restent abstraits et froids. Même la photo est d’une implacable banalité.

« The Tiger Factory » de Ming-Jin Woo

Le programme Lima, Pristina était censé rendre hommage à la Direction du développement et de la coopération (DDC), principal soutien du FIFF, en montrant des films de pays où opère cette dernière. Un film bangladais nous semblait être quelque chose d’une rareté absolue. La première chose qui surprend donc dans Third Person Singular Number de Mostofa Sarwar Farooki est la grande assurance technique et professionnelle, alors que dans le Dictionnaire Larousse du Cinéma, Claude Michel Cluny estimait, il n’y a pas si longtemps, la production de ce pays « artisanale par bien des aspects ». Farooki, né en 1978, en a gros sur le cœur à propos de la situation des femmes dans son pays. Son héroïne, Ruba, se promène seule dans les ruelles de Dhaka la nuit et se fait évidemment accoster comme une prostituée, car une femme bien ne sortirait qu’accompagnée. En fait, son compagnon a été arrêté pour meurtre, le père de celui-ci n’approuve guère leur liaison et la mère de Ruba s’est remariée : elle se retrouve donc sur le pavé. Ceux qui sont prêts à lui offrir logis ou travail visent tous des défraiements en nature, policiers compris. Ce n’est que lorsqu’elle tombe sur un ami d’enfance devenu entretemps une vedette de la chanson que sa perspective d’avenir s’améliore. Il lui offre son appartement pendant qu’il est en tournée. Avec un domicile fixe, elle peut trouver du travail. Le film, jusque là implacable acte d’accusation d’une société phallocrate, tourne alors au mélo amoureux ruisselant de plus en plus d’eau de rose. Même le copain sorti de prison s’accommode de l’amour naissant entre Ruba et son bienfaiteur. Farooki voulait sans doute assurer le succès commercial de son film.

Imanol Arias et Susu Pecoraro dans « Camila »

L’hommage à Lita Stantic honore une productrice qu’on peut qualifier de sage-femme du nouveau cinéma argentin, car elle a présidé à l’éclosion de presque tous les films qui comptent dans cette filmographie, depuis Pablo Trapero et Lucrecia Martel à Adrian Caetano et Diego Lerman. Il y a plus d’une trentaine d’années, elle donna sa première chance à Adolfo Aristarain ( La parte del leon , 1978) et se lia professionnellement à la réalisatrice Maria Luisa Bemberg dont elle produira 5 films. Le troisième de ces films, Camila (1984), avait sa première suisse au FIFF. Une reconstitution soignée avec des acteurs qui respirent l’époque et une héroïne sans beauté exagérée, mais d’une sensualité soutenue, nous rappellent qu’il n’y a pas si longtemps, la trinité Famille-Eglise-Etat était une des plus monstrueuses de l’Histoire. En 1847, à Buenos Aires, Camila O’Gorman, petite-fille d’un immigré irlandais arrivé sur les rives du Rio de La Plata à la fin du siècle précédent, tombe amoureuse d’un prêtre catholique, Uladislao Gutierrez, qui le lui rend bien. Les amants, las de rendez-vous secrets et de cachotteries et voulant vivre leur passion en toute liberté, s’enfuient dans l’arrière-pays, où ils se font passer pour un couple d’enseignants que tout le monde appréciera et respectera. Les recherches lancées par le gouvernement du dictateur Rosas et par le père de Camila, pour qui la fuite du couple est « l’acte le plus atroce du siècle », n’aboutissent pas. On les croit à l’étranger. Six mois de bonheur avant qu’un prêtre (irlandais encore) reconnaisse les deux amants lors d’une fête et alerte les autorités. Arrêtés, ils sont transférés dans une prison et assassinés (un procès eût pu retourner la situation en leur faveur !) sur ordre de Rosas par un peloton d’exécution, alors que Camila est enceinte de huit mois. Par charité chrétienne, on lui permit de boire de l’eau bénite, assurant ainsi à son bébé l’entrée au Paradis. Si vous cherchez des exutoires pour vos haines, ils sont tout trouvés.

Christina Ricci et Samuel L. Jackson dans « Black Snake Moan »

Le programme Black Note donna l’occasion de voir sur grand écran des films américains inédits, dont Black Snake Moan (2006) de Craig Brewer était à la fois le plus original et le plus déroutant. Dans le Tennessee rural, un musicien de blues noir, maraîcher de son état et fraîchement plaqué par sa femme, trouve sur la route devant sa maison une jeune Blanche couverte de blessures et d’ecchymoses. Lazare – c’est le nom du musicien – décide de ramener cette petite à la vie. Et comme elle a une réputation de traînée, qu’elle entretient par tous les moyens à cause d’un profond mépris d’elle-même, occasionné par des abus subis dans son enfance, il se chargera de sa guérison, et ce faisant, de sa rédemption à lui. Les curieuses méthodes de Lazare, qui passent par l’enchaînement de la récalcitrante au radiateur, feront hoqueter plus d’un, mais se révèlent efficaces dans la mesure où la fille s’engage dans une relation stable avec son petit copain sujet aux crises de panique à répétition, donc en définitive aussi endommagé qu’elle. Justin Timberlake, Christina Ricci et Samuel L. Jackson sont époustouflants dans ce traité de morve et d’éternité.

La Compétition Internationale osa présenter entre autres Poetry de Lee Chang-dong, presqu’un an après qu’il eut remporté le prix du scénario à Cannes. Nul ne fut donc surpris de le voir gagner la compétition fribourgeoise. Un tel choix de sélection était-il justifié par la simple absence du film chez les distributeurs helvétiques ? Une mention spéciale fut adressée à Sin Retorno , premier film de l’Argentin Miguel Cohan. Un ado, Matias, renverse en pleine nuit un cycliste. Paniqué, il gare la voiture dans un quartier éloigné et raconte à la maison qu’il a été rançonné par des voleurs. Le père du cycliste grièvement blessé se plaint aux médias de l’impunité des automobilistes coupables de délit de fuite. Pressé de questions, Matias confesse la vérité à ses parents. Ils l’aident d’abord à se débarrasser du véhicule de façon permanente. Lorsque le cycliste décède et qu’un innocent est arrêté pour cet homicide, ils insistent pour que leur fils garde le silence. Sept ans plus tard, l’innocent, dont la vie a été détruite, sort de prison, bien décidé à trouver le coupable. Même si la dernière partie du film se révèle alors d’une totale et inattendue originalité, la description de la cohésion familiale qui fait fi de toute considération éthique fait froid dans le dos. C’est la parfaite antithèse au message humanitaire sublime de Poetry.

« Los Colores de la Montana » de Carlos Cesar Arbelaez

Le prix du public échut à Los Colores de la Montana , premier film du Colombien Carlos Cesar Arbelaez, qui parle des paysans de La Pradera pris entre le marteau de la guérilla communiste et l’enclume des paramilitaires. Mais tout est regardé par le petit bout de la lorgnette des gosses qui ne se rendent compte que quelque chose cloche que lorsqu’une vache saute sur une mine et qu’on leur interdit d’aller récupérer leur ballon de foot qui se trouve juste à côté. Bravant le danger, ils essaieront quand même, tout comme leurs parents et la maîtresse d’école essaient de vaquer au quotidien malgré les menaces. Jusqu’à ce que qu’elles deviennent si violentes qu’elles les acculent à l’exode.

« Aftershock » de Xiaogang Feng

Le Chinois Xiaogang Feng - dont nous louions ici-même le film précédent, If You Are the One (2008), une comédie sentimentale mâtinée de road movie et de conte philosophique dans un amalgame parfaitement réussi - semble avec Aftershock avoir fait avant tout un film officiel. S’il recrée, en images numériques qu‘on ne saurait prendre pour réelles, le séisme de Tangshan en 1976, ce n’est que pour louer l’exemplaire intervention de l’Armée Populaire qui déblaie le terrain et adopte à à bras ouverts les petits orphelins. Tout juste si le péché mignon des mères chinoises, à savoir la préférence donnée aux héritiers mâles, est un tantinet épinglé : sommée de dire lequel de ses deux enfants coincés sous une dalle il convient de sauver, la maman choisit le fils. Or, la petite fille a tout entendu, survit sans que sa mère le sache, grandit auprès de parents adoptifs aussi admirables que communistes exemplaires, fait des études et se marie à un Canadien. Lorsqu’elle apprend en 2008 que la terre a tremblé au Sichuan, elle s’engage comme bénévole, y rencontre par hasard son frère, mû par un même élan solidaire, et est ainsi réunie avec sa maman à laquelle elle peut enfin pardonner. Non seulement, la famille chinoise a triomphé sentimentalement, mais économiquement, car le frère s’est assez tôt lancé dans la zone pilote de Shenzhen et en est sorti comme riche homme d’affaires. Une success story tout à fait dans la ligne du Parti.

Bon été

Raymond Scholer