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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2010

Coup d’œil sur la 12e édition du “Udine Far East Film Festival“.

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

12e UDINE FAR EAST FILM


72 films, répartis sur huit jours et deux salles, étaient livrés en pâture aux cinéphages orientalisants :
50 œuvres actuelles et 22 films de répertoire. Ces derniers faisaient partie de deux rétrospectives, l’une consacrée aux films de genre produits par la compagnie japonaise Shintoho entre 1958 et 1961, l’année de sa faillite, et l’autre aux réalisations courageuses (1966-1974) de l’acteur Patrick Lung Kong, toujours soucieux de rompre des lances pour une société meilleure à Hong Kong. La plupart de ces films, notamment ceux de la Shintoho, étant pour la première fois montrés à l’étranger et leur éventuelle édition sur DVD avec sous-titres relevant de la plus haute improbabilité, nous nous ruâmes sur ces séances pour profiter de l’occasion unique qui nous était donnée. Quel cinéphile normalement constitué voudrait en effet manquer des titres comme The Bloody Sword of the 99th Virgin (Morihei Magatani, 1959), Female Slave Ship (Yoshiki Onoda, 1960) ou Death Row Woman (Nobuo Nakagawa, 1960) ? Souvent dotés de scénarios plus complexes que leurs équivalents occidentaux (il faut penser aux films de Roger Corman ou à la série des “Edgar Wallace“), ces bandes, malgré leurs titres aguicheurs, peuvent être vues par tous les âges, les violences se limitant aux coups de poing (gifles pour les femmes) et de feu et le sexe n’existant qu’à l’état larvé. Il y est bien sûr question de trafic de femmes et il y a des danses de cabaret, mais ô combien peu lascives. Il arrive que sur une île perdue des mâles en rut se tuent pour une femelle (Revenge of the Pearl Queen de Toshio Shimura, 1960), mais sans la sensualité poisseuse qui faisait le prix de The Saga of Anatahan de Josef von Sternberg (1953). Une décennie plus tard, Patrick Lung Kong sera autrement plus direct dans des films-enquêtes sans fard comme The Call Girls (1973) ou Teddy Girls (1969). On voit que 1968 a changé le monde, même en Orient. Comme ces films du passé occupaient la moitié de nos séances, nous étions obligés de renoncer à bon nombre de films récents.
Nous manquâmes ainsi la grande épopée de propagande The Founding of a Republic (2009, Sanping Han & Jianxin Huang,Chine), qui célèbre le 60e anniversaire de la République Populaire, réunit presque tous les acteurs connus du pays et forge, à ce qu’il paraît, la “nouvelle image nationale“. Mais comme le DVD est déjà disponible sur yesasia.com, nous pourrons nous forger notre opinion quand cela nous chantera.

« City of Life and Death » de Chuan Lu

Le grand film du festival était sans conteste City of Life and Death (Chuan Lu, Chine 2009). L’auteur de Kekexili (2004) y décrit avec une absence de pathos remarquable et dans un noir-blanc austère les massacres de Nankin de décembre 1937, thème déjà traité l’année passée par une coproduction sino-allemande de Florian Gallenberger, John Rabe. Ce qui surprend de la part d’un auteur chinois, c’est le souci d’éclairer les faits depuis les deux côtés, de ne pas succomber à un primaire réflexe anti-japonais. Le film a d’ailleurs était attaqué pour cette raison en Chine. Lors de la prise de la ville, les soldats japonais ont tellement peur que les soldats ennemis se cachent parmi la population civile, qu’ils commettent bavure sur bavure. Les derniers soldats chinois à déposer les armes découvrent assez rapidement que le conquérant ne fera pas de prisonniers et parmi les moments les plus forts du film sont ceux où ces combattants, au bout de leurs forces, regardent en face les mitraillettes qui vont les faucher dans un enclos. D’autres sont poussés dans le fleuve, brûlés ou enterrés vifs. On voit en passant des têtes décollées qui pendent au bout de cordes. Mais Chuan Lu évite de montrer certaines exactions non vérifiées comme ce concours de décapitation auquel se seraient livrés des officiers japonais et que Gallenberger a pris justement pour de l’argent comptant. Une fois la ville sécurisée, les occupants se détendent et certains s’adonnent aux sévices et viols de masse. D’emblée, Lu renonce à expliquer les détails du contexte historique et se concentre sur des personnages spécifiques par le truchement desquels nous pouvons intérioriser l’horreur vécue de part et d’autre. Kadokawa est un soldat qui se désole d’avoir tué des civils accidentellement, qui refuse de violer des femmes et que l’inhumanité de son entourage détruit à petit feu. Son collègue Ida survit en se créant une carapace d’insensibilité par des actes de barbarie aveugle. John Rabe est l’Allemand que les Chinois vénèrent de la même manière que les Juifs vénèrent Schindler, parce qu’il a créé une zone protégée pour les réfugiés et sauvé ainsi un nombre incalculable de civils. Son secrétaire chinois, Tang, pour protéger sa famille, trahit les soldats blessés soignés dans cette zone : ils seront iillico exécutés par les Japonais. Xiao Jiang, une prostituée qui ne suscite que désapprobation, se sacrifie pour les autres femmes. Une missionnaire découvre sa vraie mission, risquer sa vie pour les autres. Et Xiaodouzi, un gamin qui aide les défenseurs de la ville en recueillant les cartouchières sur les cadavres, survit aux combats et à la famine et arrive à sortir sain et sauf de la ville à la fin du film. Il fallait bien finir sur une note d’espoir.

« Castaway on the Moon » de Hae-Jun Lee

Castaway on the Moon (Corée du Sud, 2009), le deuxième film de Hae-Jun Lee, une sorte de démarcage du roman Concrete Island (J.G.Ballard, 1974), démarre avec une tentative de suicide. Seung-keun Kim est endetté jusqu’au cou et décide de se lancer d’un pont qui enjambe le fleuve Han à Séoul. Il se réveille bien vivant sur l’île Bamsum, en plein milieu de la ville, où ne résident que des oiseaux, mais comme il n’a jamais appris à nager, il est incapable de joindre l’une ou l’autre rive. Son portable est à plat. Ses cris ne portent pas assez loin pour alerter les touristes sur les embarcations qui passent. Il écrit HELP en lettres gigantesques dans le sable. Il se nourrit de champignons. Peu à peu, s’aidant des détritus divers qui jonchent l’île, il se construit un abri et reprend goût à la vie. HELP est transformé en HELLO. Un emballage de nouilles vide lui donne des envies : il cultivera des céréales à partir des graines trouvées dans la fiente des oiseaux. Dans un des gratte-ciel bordant la rivière, une jeune hikikomori scrute le monde avec un télescope. Une défiguration faciale, dont l’origine ne nous sera jamais révélée, a précipité cette jeune femme dans une existence de complète isolation. Communiquant avec sa mère à travers une porte obstinément fermée et remplissant des sacs-poubelles qui s’accumulent dans sa chambre, elle partage son temps entre navigation sur internet et espionnage des environs. Elle observe le Robinson qui s’est installé sur l’île en contrebas et suit ses progrès quotidiens. Comme il est le seul être au monde aussi isolé qu’elle-même, elle décide de le contacter, ce qui nous vaut une succession de scènes comiques d’un timing impeccable. Il faut surtout louer le jeu des deux acteurs qui doivent imposer leur présence en se passant de dialogues : gageure bien tenue pour un film profondément original.

« Fire of Conscience » de Dante Lam

Hong Kong offrait deux films remarquables. D’abord Dream Home (2010) de Ho-Cheung Pang qui épingle la catastrophique situation des logements dans l’ancienne colonie, situation qui oblige une bonne partie des yuppies de continuer à crécher chez papa et maman. L’héroïne du film se dépense sur deux jobs quotidiens, télémarketing le matin et vendeuse dans un grand magasin le soir, avant de subir les indifférences d’un amant régulièrement en retard et souvent soûl. Lorsque l’appartement qu’elle vise risque de lui échapper parce que les propriétaires ont drastiquement augmenté leur prix, elle craque et se met à tuer, l’espace d’une nuit, les occupants des appartements adjacents, dans le but de faire baisser le prix du premier. Le film passe alors du terrain de la revendication sociale à celui d’un slasher joyeusement absurde et sadique. Le sang coule à flots, garrottage, poignardage, embrochage, éventrage et démembrement se suivent sans retenue ni ellipse. Mais ce qui peut être jouissif ou délicieusement dégoûtant pour les uns sera sans doute considéré comme puéril par les autres. C’est sur cette corde raide que se négocieront la diffusion et la réception de ce film pas comme les autres.
Fire of Conscience (2010) de Dante Lam pousse le polar à la John Woo à un nouveau paroxysme. Le duo “flic bohémien et intègre, quoique violent / flic élégant, mais corrompu jusqu’à la moëlle“ passe par les mêmes étapes de collaboration initiale – suspicion – opposition et lutte finale qu’on a déjà vues et revues. Mais chaque scène d’action est poussée à un degré de sauvagerie et de complexité inhabituel : chute des adversaires luttant depuis un échafaudage, sauvetage d’un bébé qui vient de naître dans un garage en feu, explosion d’un pauvre hère bardé de grenades, etc. La ligne qui sépare les truands de ceux qui sont censés nous protéger d’eux est décidément bien floue.

« Slice » de Kongkiat Khomsiri

Dans Slice (Thaïlande, 2009) de Kongkiat Khomsiri, un tueur masqué en imperméable rouge tue des pédophiles et laisse leurs corps découpés dans des valises rouges. Quand un fils de politicien devient sa victime, la police est sommée de mettre le turbo. Un ex-policier emprisonné, Tai, qui raconte depuis des années à son psychiatre le même rêve impliquant un personnage masqué et une valise rouge, est libéré pour aller enquêter dans son village. Des flash-back nous apprennent l’amitié entre le petit Tai et Nut, un gamin efféminé qui est constamment malmené par les autres enfants et dont l’instituteur autant que son propre père ont l’habitude d’abuser. Quand Nut, las des viols quotidiens, assomme son père, les deux adolescents se réfugient à Pattaya où Nut se fait kidnapper dans une valise rouge par des proxénètes. Tai essaie donc de retrouver Nut qui pourrait bien être le tueur en question. C’est alors qu’il fait une découverte qui le laisse, autant que les spectateurs, pantois. L’histoire est de Wisit Sasanatieng, l’auteur de Tears of the Black Tiger (2000), et la photographie, très étudiée dans ses compositions chromatiques, atteste son influence. Echange de bons procédés : après tout, Khomsiri avait écrit The Unseeable (2006) pour Sasanatieng.

A une prochaine fois

Raymond Scholer