Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juillet / août 2011

Coup d’œil sur le 13e Far East Film Festival

Article mis en ligne le 1er juillet 2011
dernière modification le 13 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

Les rétrospectives
L’une des deux rétrospectives, « Pink Wink » - Hommage à la productrice japonaise Daisuke Asakura, spécialisée dans l’érotisme soft chez la firme Kokuei, en fit les premiers frais. Car, à l’heure de l’étalage des pires turpitudes hard sur le web, les plaisirs simplement suggérés par des gros plans de visages extatiques ou de jarretelles arrachées semblent désuets et aseptisés, surtout dans les films réalisés ces vingt dernières années. C’est donc surtout les titres les plus anciens qui nous ont intéressé. Inflatable Sex Doll of the Wastelands (Atsushi Yamatoya, 1967) – où un détective privé essaie de retrouver l’amie d’un truand kidnappée par le rival d’icelui – se perd dans une mise en scène expressionniste et foncièrement godardienne, bien sûr sans montrer la moindre poupée gonflable à l’horizon. En revanche Lead Tombstone (Koji Wakamatsu, 1964) est d’une économie exemplaire : après une séquence d’ouverture où nous voyons le jeune héros, encore gamin, tuer d’un coup de fourche dans le dos le GI qui vient de violer et d’étrangler sa mère, le film s’attelle à montrer l’irrésistible ascension du jeune tueur dans le monde des yakuzas. Il marche sur les cadavres nécessaires et superflus avec une impassibilité qui fait froid dans le dos. Lorsque sa jeune épouse commence à se poser des questions sur l’origine de ses revenus, le jeune homme reçoit l’ordre d’en haut de la supprimer. Sans entrer dans les détails, disons que tout relève dès lors de la tragédie grecque, aussi lapidaire que classique. Wakamatsu n’avait pas encore commencé sa période « révolutionnaire » exemplifiée par les 12 DVD publiés chez Wild Side.

« Mr Wand got a Meal Hardly » de Jie Tang

La seconde rétrospective s’intitulait Asia Laughs. Les comédies en tant que genre ont la réputation de ne pas se dissoudre dans les autres cultures. Mais les films d’Udine ont montré qu’en fin de compte, nous rions tous de la même façon. Bergson semble universellement applicable. La vingtaine de films du programme sont analysés et mis en relation historique dans un livre bilingue anglais/italien publié par le festival (Asia laughs ! A survey of Asian Comedy Films edited by Roger Garcia). Le plus ancien est un court métrage de 1922, Labor’s Love (Shichuang Zhang), le plus vieux film chinois conservé. Les chutes sur le derrière et les mimiques exagérées suivent les mêmes intentions comiques que chez les primitifs américains. Un maraîcher réussit à trafiquer un escalier de façon à ce qu’un simple levier le transforme instantanément en toboggan : il fait ainsi chuter les clients alcoolisés qui sortent d’un boui-boui et qui devront se faire soigner par le médecin appauvri dont le maraîcher courtise la fille. Le médecin donnera bien sûr sa bénédiction pour le mariage. Un autre film chinois, Mr.Wang got a Meal Hardly (1939) de Jie Tang, fait partie d’une série de longs métrages autour du personnage de M. Wang, popularisé par une bande dessinée qui relate les vicissitudes (comiques) dans l’existence de ce xiao shimin (citadin ordinaire) de Shanghai. Jie Tang était probablement le comédien le plus talentueux du cinéma chinois d’avant-guerre. Pour ressembler autant que possible au personnage dessiné, il se fit extraire les trois dents de devant et arbora toujours un pan de moustache à chaque extrémité de sa lèvre supérieure. Dans le film cité, M. Wang égrène les préceptes de Confucius à une classe de jeunes filles qui (en) dorment à poings fermés. Avec cet emploi il arrivait déjà à peine à nourrir sa famille.
Lorsqu’il est mis à pied pour cause d’ineptie, sa femme et sa fille décident de chercher fortune ailleurs. M. Wang, seul et affamé, se fait engager comme portefaix en trichant sur son âge. Vite découvert (lorsqu’il est censé déplacer des fûts de bière) et congédié, il s’essaie encore à d’autres occupations : vendeur de rue, marionnettiste, diseur de bonne aventure, tireur de pousse-pousse. A chaque tentative, il se fait houspiller par la maréchaussée pour des raisons de permis et humilier par les passants. Il n’y en a que pour les riches. Il essaie le suicide et rate son coup. Un jour, une invitation d’une connaissance haut placée lui offre une position officielle au gouvernement. Pour se rendre à l’office en question, il doit bien sûr franchir une nouvelle course d’obstacles. Installé enfin solennellement dans son bureau, il voit que tout le monde lui fait des courbettes. Il est devenu quelqu’un. Il met une annonce pour une nouvelle épouse. Mal lui en prend, car celle qui se présente n’est autre que sa propre fille. Déconsidéré comme un pervers de la pire espèce, il perd son emploi et se retrouve dans la rue. Savoureuses satires des tares de la société chinoise, seuls deux films de la longue série des Mr. Wang ont survécu.

« The Warlord » (affiche malaise)

Une autre découverte bien jouissive fut le film malais Ali Baba Bujang Lapok (1961) du grand P. Ramlee. Pendant sa courte vie (il est mort à l’âge de 44 ans en 1973), le comédien-chanteur le plus célèbre et adulé de la Malaisie réussit à créer plus de 300 chansons, à réaliser 34 films et à jouer dans une soixantaine. Dans un pays musulman qui prend la décence très au sérieux, la comédie s’est tôt avérée comme soupape de liberté pour épingler, au moyen de délicieuses insinuations ou paroles à double sens, des comportements hypocrites (la polygamie p.ex.) ou des règlements d’un autre âge. Il est vrai que les comédies de Ramlee datent d’avant le retour du pendule conservateur, grandement aidé par la révolution iranienne. Le film, d’après le conte bien connu des Mille et Une Nuits, s’ouvre sur un marché d’esclaves arabisant. Un jeune marchand achète une mignonne personne qui lui montre sur son dos une pancarte qu’il n’avait pas encore vue : 25% discount. Le ton est donné : anachronismes (le chef des brigands - une troupe authentiquement multiculturelle - se déplace à bicyclette et a installé le téléphone dans la caverne) et inventions délirantes (un nain fait défiler les brigands, tous attifés à l’identique, comme une troupe de Sa Majesté) se suivront à la queue leu leu, le tout imprégné d’une ineffable douceur.

Deux auteurs attitrés de comédies étaient présents en chair et en os, Michael Hui de Hong Kong et Masaharu Segawa du Japon. Michael Hui est pour les années 70 ce que Jackie Chan et Sammo Hung sont pour la décennie suivante et Stephen Chow pour les années 90 : le parangon du comique hongkongais. Débutant à la télévision comme animateur de quiz show, il eut son premier grand rôle dans The Warlord/Da Jun Fa (1972) de Han-Hsiang Li. Il y incarne le seigneur de guerre Pang qui s’empare de la province de Shantung au lendemain de la guerre russo-japonaise en 1905. Lorsqu’il réussit, en faisant tirer des coups de canon dans les nuages, à sortir le pays d’une sécheresse sans fin, il se croit l’élu du Ciel et s’érige en juge suprême. Pour découvrir le vrai coupable dans un procès pour viol, où chaque partie donne sa version à la Rashomon (A. Kurosawa, 1950), il ordonne à ses soldats de violer la plaignante dans la salle d’audience : le comportement de celle-ci montre alors qu’elle a accusé un faux coupable pour se dédouaner d’un acte adultérin ! Pang joue aux dominos avec ses concurrents le sort de villes et de territoires entiers, pendant que ses soldats se font déchiqueter par les canons. Il fait piller des sépultures d’empereurs, mais ne se rend pas compte que ses maîtresses ont des liaisons annexes. La dichotomie entre sa toute-puissance et sa naïvetè constitue le ressort comique d’un personnage vaguement inspiré de Shiikai Yuan, premier président de la République de Chine qui s’était proclamé empereur quelques mois avant de mourir en 1915. La reconstitution somptueuse dans les studios des Shaw Brothers, les expressions faciales et le timing impeccable de Hui ont permis au film de se hisser à la deuxième place du box-office, immédiatement après Bruce Lee. Son réalisateur, Li, connu pour sa méticulosité dans la recherche historique, est avec King Hu le plus grand des cinéastes d’après-guerre de la colonie britannique.

« Chicken and Duck Talk » de Clifton Ko

Hui ne s’est pas contenté de jouer dans les films des autres, mais a rapidement passé à l’écriture de scénarios et à la mise en scène. La densité des gags, autant verbaux que physiques, la chorégraphie souvent complexe de l’action anarchique, la conscience aiguë des réalités sociales et la sympathie évidente pour les petites gens se retrouvent dans tous ses films. Parmi ceux-ci, The Private Eyes (Michael Hui, 1976) et Chicken and Duck Talk (Clifton Ko, 1988) sont devenus des classiques. Le premier montre qu’une chaîne de saucissons peut servir de nunchaku et comment on peut dévaliser les spectateurs d’un cinéma en un minimum de temps. Le second oppose la rapacité d’une chaîne de fast-food moderne, sans âme ni goût, à la désorganisation bordélique d’un restaurant de famille sale et graisseux, dont le proprio (Hui) est radin avec les employés, mais prépare un canard divin.

Chieko Baisho et Frankie Sakai dans « Topsy-Turvy Journey »

Masaharu Segawa est né en 1925 et est surtout connu pour une série de 11 comédies avec Frankie Sakai, un comédien trapu au visage rond et à l’expression souvent ahurie. Dans Topsy-Turvy Journey (1972), il joue un contrôleur de train, Goichi, encore célibataire à 32 ans. Une geisha, Sakura, qu’il connaît depuis l’enfance, est follement amoureuse de lui, mais il n’a d’yeux que pour sa jolie prof de cuisine. Lorsque cette dernière accepte de l’épouser, Sakura, incarnée par la délicieuse Chieko Baisho (sosie nippon de Marie-France Pisier), met le turbo pour le harponner. Aussi rythmé qu’un Billy Wilder de la meilleure veine. Dans A Man’s Weak Point (1973), Sakai joue un détective qui doit enquêter sur un trafic de films porno sans se douter que son meilleur ami d’enfance en est le producteur. Sa plongée dans le monde du sexe aura un effet dévastateur sur sa libido, alors que sa femme désire ardemment un enfant. Le blocage sera dissous le jour où il embrasse enfin la luxure après une nuit passée avec une actrice des films incriminés. Il faut le voir s’écrier « Porno banzaï » en public après une consommation adéquate de saké. Le cinéaste qui tourne les pornos (incarné par l’acteur fétiche d’Ozu, Chishu Ryu) avec le même amour du plan bien fait que ses autres films correspond à une réalité que le cinéma japonais vivait alors de plein fouet : la concurrence de la télévision provoquait une telle chute des fréquentations qu’une compagnie comme la Nikkatsu décidait de consacrer la quasi-totalité de sa production à l’érotisme soft.

Bon été

Raymond Scholer