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le cinéma au jour le jour
CINE DIE - juillet 2019

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 juillet 2019
dernière modification le 18 juin 2019

par Raymond SCHOLER

Où il est question du 21e Far East Film Festival

La dernière cuvée de la messe du cinéma asiatique qui s’est déroulée du 26 avril au 4 mai à Udine (Frioul) était de premier choix : 64 films récents provenant de 10 pays, ainsi qu’une rétrospective de 8 titres rarissimes du patrimoine coréen produits sous la dictature militaire (1961 -1993).

Keita Machida dans « Jam »

Si la Corée se taillait la part du lion avec 23 films, le Japon, avec seulement 9 métrages, remportait la palme de l’excellence et de l’originalité. Peu après l’ouverture du festival, l’auteur de comédies loufoques et absurdes Hiroyuki Tanaka, mieux connu sous son nom de plume, Sabu, donnait le ton avec Jam , un délirant enchevêtrement de trois histoires qui touchent à la fois à la critique sociale acerbe et aux drames de l’existence en entraînant le spectateur dans un tourbillon narratif dont il ne saurait prévoir l’issue. Cela commence par le kidnapping d’un chanteur de charme par la plus zélée de ses adoratrices (d’un âge certain), qui va l’assujettir à ses fantasmes après l’avoir drogué. Ensuite on voit un jeune loubard qui promène sa grand-mère en chaise roulante à travers un centre d’achat curieusement déserté, car le coco vient de terrasser, façon samouraï fulgurant, quelques yakuzas qui lui cherchaient noise et étaient responsables de son séjour en prison. Pour finir, un jeune homme bien de sa personne, au volant d’une Nissan President Sovereign, la voiture favorite des PDG, roule à la recherche de gens qu’il peut aider, persuadé que trois bonnes actions par jour de sa part aideront à réveiller sa copine du coma dans lequel des yakuzas l’ont plongée à l’occasion d’une fusillade. Ces mêmes vauriens s’introduisent dans une salle de concert pour rançonner la clientèle exclusivement féminine du crooner évoqué auparavant. Voilà les prémisses, au spectateur de guetter les intersections des trois fils du récit et de les mettre dans le bon ordre temporel. Du cinéma ludique en diable et le film qui aurait dû, s’il existait une justice cinématographique, remporter le prix du public.

Crisel Consunji et Anthony Wong dans « Still Human »

Mais celui-ci a bien sûr récompensé, comme c’est presque toujours le cas dans ce festival, la bande la plus sentimentale, humanitaire et bio de la manifestation, Still Human de l’Hongkongaise Siu-kuen Chan, premier film, bien enlevé, il faut l’avouer. Il décrit les liens qui se forgent entre un paraplégique incarné par la vedette Anthony Wong et sa femme de ménage philippine, photographe en herbe, et la success story qui s’ensuit, lorsqu’il lui achète un appareil de qualité et qu’il l’inscrit dans des concours prestigieux. 

« Melancholic » de Seiji Tanaka

Mais revenons à nos moutons japonais : Melancholic de Seiji Tanaka, première œuvre elle aussi, a remporté le prix de la mise en scène au dernier Tokyo International Film Festival (TIFF), à l’évidence pour l’originalité et l’humour de son scénario. Kazuhiko, un jeune universitaire frais émoulu de l’université de Tokyo, qui vit toujours chez papa et maman, peine à trouver du travail jusqu’au jour où il se fait engager comme technicien de surface dans les bains publics locaux que fréquente une de ses copines de lycée, nageuse invétérée. Il apprend, à son corps défendant, que les lieux sont utilisés hors heures d’ouverture pour les exécutions des yakuzas. Le patron lui laisse le choix, soit mourir, soit travailler de nuit pour faire disparaître les cadavres dans la chaudière de l’établissement et surtout, ne rien révéler au péril de sa vie. Kazuhiko, tout flegmatique, se coule dans le moule criminel séance tenante et on est seulement au premier tiers du film.

Yoshiyoshi Arakawa et Takayuki Yamada entourent le robot dans « Hard-Core »

La comédie japonaise peut aussi prendre des chemins de traverse plus extravagants, comme dans Hard-Core (basé sur un manga culte) de Nabuhiro Yamashita. Deux losers inséparables, Gondo, un moraliste criseux et Ushiyama, un déficient mental géant et doux (en quelque sorte une version nippone de George et Lennie (Des Souris et des hommes), vivent au jour le jour en marge de la société. Un jour par semaine, ils se font un peu d’argent en explorant une mine abandonnée pour le compte d’un vieil extrémiste de droite qui est persuadé qu’elle contient dans ses entrailles l’or du shogun. Ushiyama trouve dans une décharge un robot de facture rudimentaire, genre cuve de fer-blanc sur pattes, qui sait marcher et semble capable de libre arbitre. Devenu la mascotte des deux amis, le robot les protège des gangsters et se fait même embrigader par le vieil impérialiste, car il creuse des tunnels latéraux à haute vitesse et augmente ainsi leurs chances d’arriver au magot. Il peut aussi partir dans l’azur comme une fusée, mais son origine reste mystérieuse.

Mugi Kadowaki (Megumi) et Arata Iura (Wakamatsu) dans « Dare To Stop Us »

D’un tout autre genre est Dare to Stop Us de Kazuya Shiraishi, dont nous avons admiré, l’année passée, le polar The Blood of Wolves. Quand bien même le film contient une bonne dose d’humour, il s’agit en fait de la reconstitution minutieuse des années fastes (1969-1972) de la création cinématographique du cinéaste expérimental Koji Wakamatsu, l’enfant terrible du cinéma japonais, qui comparait son travail à des opérations de guérilla : un viol, p.ex., devenant une métaphore de l’impérialisme américain. On repère les collaborateurs invariables du maître, tels le scénariste Masao Adachi et l’assistant/critique Haruhiko Arai, mais le centre véritable du récit est Megumi Yoshizumi, une jeune femme de 21 ans qui s’attache corps et âme à ce groupe de mecs braillards souvent sous influence et ne refuse aucune tâche subalterne, espérant qu’elle pourra ainsi un jour réaliser ses propres films. Quand elle arrive enfin, après des années, à tourner une bande porno de 30 min à l’usage des love hotels, son enthousiasme s’est évaporé. Elle n’a plus cœur à lutter, ni même à vivre. Coïncidence : son dernier film pour Wakamatsu s’intitulait The Woman Who Wanted to Die (1971).

Hyang-gi Kim et Kyu-hyung Lee dans « Innocent Witness »

Quant à la Corée du Sud, signalons deux films extraordinaires.
Dans Innocent Witness de Han Lee, une écolière autiste est le seul témoin du meurtre perpétré par une bonne sur son maître âgé et commandité par le fils d’icelui, qui se trouve aussi être celui de la bonne. La défense argue que ce que la petite a vu peut prêter à confusion et que la version du suicide avancée par la bonne est aussi crédible. Jusqu’au moment où l’avocat de la défense, qui se méfie de sa cliente, se rappelle que le témoin n’est pas seulement oculaire, mais aussi auriculaire. Et il est connu que les autistes ont une mémoire infaillible. Et qu’ils ne répondent qu’aux questions précises qu’on leur pose. Il lui demande donc simplement de citer les paroles qu’elle a entendues pendant l’acte tragique et la vérité éclate au grand jour. L’actrice Hyang-gi Kim est époustouflante de justesse.

« Extreme Job »de Byoung-heon Lee

La Corée a aussi fourni la meilleure comédie du festival, Extreme Job de Byoung-heon Lee. Un quarteron de flics de la stup n’a plus fait d’arrestations depuis belle lurette. Ils reçoivent une dernière chance de se racheter, l’adresse du nouveau QG d’un gang international. Comme il s’agit de réunir des indices, ils se préparent à une surveillance de longue haleine. Lorsque le resto de poulets en face du QG est mis en faillite, ils le rachètent pour une bouchée de pain, espérant que les gangsters vont leur commander des repas, ce qui leur permettrait d’infiltrer leur antre. Mais entretemps, il s’agit de servir quelque chose aux rares touristes qui aimeraient se restaurer. Un des détectives se souvient d’une sauce de viande de sa mère et l’applique au poulet : dès lors, ils doivent refuser du monde ! Les voilà dans les tribunes gastronomiques, alors qu’ils devaient rester incognito. Les idées comiques se télescopent à un rythme accru et le film a été vu par 16 millions (sur 50) de Coréens, un record entièrement mérité.

« Dying to survive » de Muye Wen

De Chine venaient deux films sortant de l’ordinaire. Dying to survive de Muye Wen est une mise au pilori de la politique de Novartis à l’égard des génériques bon marché vendus dans les pays émergents et combattus par une armée d’avocats des brevets à sa botte. Le récit est basé sur une histoire vraie et se laisse comparer au film américain Dallas Buyers Club (Jean-Marc Vallée, 2013). En 2004, un Chinois souffrant de leucémie myéloïde chronique avait importé illégalement un médicament générique fabriqué en Inde, mais interdit par le gouvernement chinois comme contrefaçon. Après bien des vicissitudes douanières et des morts inutilement tragiques, la Chine a fini par modifier dernièrement sa législation en faveur des malades, mais le film montre avec courage que la désobéissance civile est indispensable dans une société injuste, le héros « criminel » mettant l’intérêt commun au-dessus de son intérêt personnel. S’il y a un film d’Udine qu’il faudrait montrer dans la patrie de Novartis, c’est bien celui-là !

« Crossing the Border » de Meng Huo

L’autre film, Crossing the Border de Meng Huo, est une exploration poétique de la Chine rurale en mutation entreprise par un grand-père et son tout jeune petit-fils, sur un triporteur, dans le but d’aller rendre visite à un vieil ami de l’aïeul. La lenteur, la tolérance et la sagesse ne sauront produire que du bonheur.

Raymond Scholer