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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juillet 2013

Fenêtre sur le 66e Festival de Cannes

Article mis en ligne le 4 juillet 2013
dernière modification le 26 juin 2013

par Raymond SCHOLER

Le 5 juin, à la séance de midi aux Galeries Pathé de Lausanne, je fus le seul et unique spectateur du film de Asghar Farhadi, Le Passé. Trois semaines plus tôt, j’avais essayé en vain de me faire admettre au Grand Théâtre Lumière (Cannes) pour le même film. Il suffit donc d’être patient…

66e Festival de Cannes

Compétition
Ce qui est sans doute le film le plus indigeste de la Compétition, Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières, est d’ores et déjà assuré d’être montré en Suisse. Si la nouvelle célèbre de Kleist est un chef-d’œuvre de concision et de précision, l’adaptation filmée est l’équivalent d’un borborygme. Éclairés presque constamment à contre-jour, les acteurs, souvent étrangers à la langue française, baragouinent en mode distancié (à l’exception de Denis Lavant), les actions sont « suggérées » par des amorces de gestes, les objets signifiés par des gros plans sur leurs parties, souvent « illisibles », un « style » que Le Monde qualifie d’ « âpre et radical » et qui résulte soit d’un souci d’économie, soit de la paresse pure. Pour Edouard Waintrop, c’est un bel exemple d’anti-mise en scène. La Quinzaine avait par conséquent refusé le film. Hélas, au pays des films d’auteurs, ineptie est parfois confondue avec génie.

Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric dans « La Vénus à la fourrure » de Roman Polanski

A l’autre bout de l’échelle, Roman Polanski nous fait à nouveau cadeau d’un chef-d’œuvre avec La Vénus à la Fourrure . Mathieu Amalric, alter ego de Polanski, y interprète un metteur en scène qui monte une adaptation de Venus im Pelz de Leopold von Sacher-Masoch et désespère de trouver la Wanda idéale. Lorsque Emmanuelle Seigner, fardée et vulgaire, se présente in extremis à l’audition et se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, il est très sceptique. Mais il découvre peu à peu qu’elle sait son texte sur le bout des doigts et ne manque pas d’en relever les passages qu’elle estime clichés ou misogynes. Comme il lui donne la réplique, on assiste à une véritable guerre des sexes par pièce interposée et on ne distingue bientôt plus ce qui fait partie de la pièce elle-même et ce qui est propre à la relation entre les deux personnages. L’homme finit comme otage de son désir : il se laisse manipuler exactement dans le sens où la tentatrice l’entend. Un film jouissif sur les sources de la jouissance et une ode du cinéaste à son épouse.

Bruce Dern et Will Forte dans « Nebraska » d’Alexander Payne

Nebraska d’Alexander Payne reprend l’observation minutieuse de la famille américaine, comme il la pratique depuis ses débuts. Cette fois-ci, nous sommes du côté des péquenauds du Nord-Ouest. L’argument narratif est ténu au possible : deux fils essaient de convaincre leur père que la publicité lui affirmant qu’il vient de gagner un million à un tirage au sort est un attrape-nigaud. En vain. Ils se résignent à l’amener en voiture du Montana à l’adresse de la loterie au Nebraska. En route, ils pourront resserrer les liens avec une partie du clan familial dans ce dernier état. L’absence d’objectifs ou de projets de vie caractérise presque tous ces culs-terreux. Avachis, amorphes devant la télé, ils sortent brièvement de leur hébétude dans l’espoir de profiter de la manne inespérée qu’est le million virtuel de leur cousin. Le seul qui a un rêve, c’est le patriarche qui croit dur comme fer qu’il a gagné le gros lot : avec l’argent, il pourra s’offrir un compresseur et une camionnette qu’il lèguera à ses fils. Lesquels l’accompagnent dans sa chimère jusqu’au bout. À l’aune de l’état délétère de cette Amérique qui a perdu sa vigueur, la photo s’est déchargée de toute couleur. Pour notre plus grand plaisir esthétique.

« Heli » d’Amat Escalante

Heli d’Amat Escalante montre que les horizons bouchés sont le lot commun au Mexique, mais au moins les gens essaient de s’en sortir. Sauf que des fois, ils ont de très mauvaises idées, comme croire qu’on peut voler de l’héroïne à des trafiquants. Cela se termine inévitablement très mal. Les coupables subissent des sévices exécutés par de très jeunes drogués réduits à l’état de zombies abrutis, dans une séquence qui a valu au film la réprobation des critiques, mais qui devrait résumer assez bien la réalité sordide dans un pays où les Zetas peuvent exposer au bord d’une route 49 cadavres décapités, mains et pieds sectionnés, comme ce fut le cas le 13 mai 2012. Voilà un film « âpre et radical » !!

Takao Osawa et Tatsuya Fujiwara dans « Bouclier de paille » de Takashi Miike

Le dernier film de Takashi Miike, Wara no Tate / Bouclier de Paille s’insurge contre cet ensauvagement. On y voit un lieutenant de police intègre, joué très sobrement par Takao Osawa, ramener au péril de sa vie un tueur en série au palais de Justice à Tokyo. Le pitch fait penser à The Gauntlet (1977) de Clint Eastwood. Mais Miike rend le trajet à parcourir beaucoup plus ardu. Le tueur (chez qui on cherche jusqu’au bout une once d’humanité) s’en est pris à la petite-fille d’un magnat. Protégé par un mur de technologie informatique, ce dernier a offert un milliard de yens à qui assassinera le coupable. Crise ou pas, qui ne serait pas tenté par ce pactole ? Les premières tentatives viennent des rangs de la police et du service médical (censé maintenir l’accusé sous sédatifs) avant même que le convoi pénitentiaire, protégé par un détachement impressionnant de véhicules et de personnel, ne se mette en marche. A peine en route, il est attaqué par un camion chargé de nitroglycérine. On transborde sur le train shinkansen, mais le groupe n’en devient pas moins visible, d’autant plus que le milliardaire a ses taupes dans la police. Au final, c’est le dernier flic debout, Osawa, qui livre le tueur avant de se faire poignarder par lui. Quant aux morts occasionnés par le sinistre cortège, elles seront bien sûr à la charge du milliardaire.

Hors Compétition
Deux daubes : Blind Detective (Johnnie To), où le réalisateur se prend pour un maître de la comédie en riant mille fois plus fort et bien avant les spectateurs, stoïques. Max Rose (Daniel Noah), où Jerry Lewis, dans son premier rôle au cinéma depuis 18 ans, joue un veuf qui vient de perdre sa femme et découvre qu’elle a eu une aventure d’une nuit avec Dean Stockwell 45 ans plus tôt. Il en fait tout un plat et Lewis ne peut pas aborder le moindre plan sans grimace.

Robert Redford dans « All Is Lost » de J.C. Chandor

Heureusement, All is Lost (J.C.Chandor) s’avère un des joyaux du festival. Robert Redford y est seul sur son voilier qui coule irrémédiablement, loin des côtes, en plein Ocean Indien. Un container à la dérive est entré en collision avec le bateau et a ouvert une belle brèche par laquelle l’eau s’engouffre. Tout de suite le naufragé doit parer au plus pressé, colmater et écoper. Les mouvements lents et réfléchis sont bien ceux d’un homme de 75 ans et Chandor les suit avec sollicitude et précision. Pas d’ellipses hollywoodiennes. Au fil des tempêtes, l’embarcation souffre d’autres dégâts et le naufragé doit gonfler le canot pneumatique de sauvetage. L’eau potable vient à manquer et le dispositif que Redford invente pour distiller l’eau de mer est aussi simple qu’ingénieux. Le film montre aussi que héler un cargo de passage avec ses centaines de containers n’est pas une mince affaire : les navires de la mondialisation semblent aussi déserts qu’une ligne de montage robotisée.

Un Certain Regard
La Jaula de Oro de Diego Quemada-Diez est un remake mexicain de Sin Nombre (Cary Fukunaga, 2009) et bien sûr porté aux nues par la critique hexagonale sous prétexte qu’il s’agit d’un produit du terroir, donc forcément plus authentique. Wakolda de Lucia Puenzo évoque avec beaucoup de délicatesse les relations (pas si fortuites que ça), vers 1960, d’une petite fille argentine, frappée d’une déficience de croissance, et de Josef Mengele, toujours obnubilé par ses expériences génétiques. La description de la colonie allemande, toujours fidèle au Führer, vaut son pesant d’or.

Arbor (Conner Chapman, à d.) & Swifty (Shaun Thomas) dans « The Selfish Giant »

Quinzaine des réalisateurs
The Selfish Giant de Clio Barnard est une fable poético-réaliste centrée sur deux gamins de 13 ans, Arbor et Swifty, enfants des quartiers pauvres de Bradford, Yorkshire. Avec ses oreillles décollées et sa gueule de petite frappe, le petit Arbor est en rage contre le monde entier et l’école en particulier. Sa mère élève seule Arbor et son frère camé. Arbor aimerait aider sa mère et faire du fric tout de suite. La récupération des métaux, surtout du cuivre, est bien payée. Alors, avec son copain Swifty, doux rêveur passionné de chevaux, il parcourt les environs pour ramasser câbles et vieux frigos. Le ferrailleur auquel ils revendent leur butin, leur loue cheval et attelage pour le transport, mais permet aussi à Swifty de participer à des courses de sulkies. Arbor devient jaloux de Swifty qui gagne des courses pour ce patron. Inévitablement il y aura donc tôt ou tard un accident de haute tension. Les deux jeunes acteurs, sans expérience théâtrale préalable, sont tout simplement prodigieux. Barnard ne démérite pas de Loach.

« Blue Ruin » de Jeremy Saulnier © Scavenger LLC

Blue Ruin de Jeremy Saulnier est l’histoire d’un règlement de compte inter-familial dont le héros, Dwight, est un marginal qui vit dans une Pontiac bleue rouillée, se nourrit dans les poubelles et prend ses bains à l’insu des occupants dans les demeures privées. Un beau jour il apprend qu’un certain Cleland vient d’être libéré de prison. Il le croit responsable de la mort de ses parents et se met en route pour « assouvir sa vengeance ». Mal lui en prendra, car il n’est pas fait pour la violence. De saignée improvisée en kidnapping malencontreux, en passant par le charcutage d’une flèche plantée dans la cuisse, Dwight paie de sa personne avant de confronter le clan Cleland in corpore. La tension du film provient justement de la faillibilité du personnage ainsi que de sa propre conscience que tout ça ne saurait bien se terminer. Un nouveau sommet du film noir.

Bon été

Raymond Scholer