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Cine Die - juillet 2012

Quelques commentaires sur le 65e Festival de Cannes.

Article mis en ligne le 1er juillet 2012
dernière modification le 5 août 2012

par Raymond SCHOLER

Compétition
Malgré la Palme d’Or remportée à juste titre par Amour (Michael Haneke), d’ores et déjà un classique du 7e Art, sur la déchéance physique et la sollicitude d’un couple en fin de vie, la critique parisienne est déçue : aucun prix pour Carax, Audiard ni Resnais. J’ai uniquement pu voir De Rouille et d’Os (Jacques Audiard) et j’avoue ne pas comprendre l’engouement de certains pour ce qui est au plus une histoire d’amour d’une linéarité exemplaire, maladroitement mise en scène (regardez donc la scène de l’accident à l’origine de l’invalidité de l’héroïne), mais profitant d’un regard neuf et rationnel sur les relations intimes entre hommes et femmes.v

« De rouille et d’os » de Jacques Audiard, avec Matthias Schoenaerts et et Marion Cotillard
© Roger Arpajou-Why / Not Productions

Si Cosmopolis de David Cronenberg (d’après Don DeLillo) m’a convaincu des talents d’acteur du vampire préféré des ados, le film lui-même, sur la ruine annoncée et la dépression déjà assumée d’un golden boy de la finance qui parcourt à vitesse d’escargot un New York bouché dans sa stretch limo en ratiocinant à perte de salive sur les enjeux du monde, m’a barbé au plus haut point. A mettre parmi les films les moins réussis de son auteur, où il tiendra compagnie à Naked Lunch (1991) et Spider (2002), eux aussi inspirés par des œuvres littéraires.

Robert Pattinson dans « Cosmopolis » de David Cronenberg

Les films qui m’ont le plus ému, tant dramatiquement qu’esthétiquement, furent The Paperboy de Lee Daniels et Mud de Jeff Nichols. Les deux se déroulent dans le Sud des États-Unis, les deux ont comme figure emblématique le comédien texan Matthew McConaughey. Perdu entre 2003 et 2009 dans une dizaine de comédies plus oubliables les unes que les autres, le beach boy a retrouvé avec la quarantaine une envie d’expérimenter qui fait plaisir à voir. Dans The Paperboy , il joue un reporter (secrètement homosexuel) du Miami Times, Ward Jansen, revenu en 1969 dans sa bourgade natale de Floride pour relancer sa carrière avec une enquête sur un chasseur d’alligators, Van Wetter, qui attend son exécution dans le couloir de la mort. Il aurait quelques années auparavant éventré le shérif du coin. Selon Charlotte/Nicole Kidman, une bimbo provocante qui envoie au meurtrier des lettres enflammées et le considère comme innocent, sa condamnation serait basée sur des preuves bien peu concluantes. Ward est accompagné d’un collègue noir dont l’accent britannique distingué intimide son petit frère Jack et ses parents. Alors que Jack tombe mortellement amoureux de la fascinante Charlotte (qui aura avec Van Wetter en prison un échange érotique qui fera oublier la célèbre séquence du décroisement de jambes de Basic Instinct) et que les deux enquêteurs s’enfoncent dans les marécages à la recherche de preuves, les révélations seront d’une autre nature que prévues. Dans son premier film depuis le décapant Precious (2009), Daniels augmente la pression en alignant des scènes chocs qui construisent un monde poisseux à souhait, où les pulsions règnent et où la mort guette à chaque coude de bayou. Adeptes du bon goût, s’abstenir !

« The Paperboy » de Lee Daniels, avec Matthew McConaughey et Zac Efron

A l’opposé, Mud montre sans doute les adolescents les plus sains qu’on ait vus depuis belle lurette. Dans une petite ville de l’Arkansas, le jeune Ellis, 14 ans, et son meilleur ami Neckbone savent qu’il ne faut pas humilier les filles (un garçon plus âgé l’apprendra d’Ellis à ses dépens) et que l’amour et la loyauté sont les choses les plus merveilleuses au monde. Quand ils apprennent qu’un bateau s’est échoué dans les branchages d’un arbre sur une île au milieu du Mississippi, ils partent en expédition.
Ils découvrent que le bateau est squatté par un mystérieux repris de justice du nom de Mud (McConaughey), recherché par la police et des chasseurs de primes. Il explique aux gamins que tout ce qu’il a fait, il l’a fait par amour pour Juniper, la fille qui lui avait sauvé la vie. Dès lors, les gamins sont acquis à sa vision des choses. Ils deviennent les complices de Mud et l’approvisionnent en vivres et outils pour remettre le bateau à flot. A mesure que les jours passent, ils vivent leur première désillusion : l’amour ne se laisse pas imposer, il exige un investissement des deux parties. A mi-chemin entre La Nuit du Chasseur et Huckleberry Finn, le film relève de la même sensibilité qu’on retrouve dans tout l’art rustique, de Andrew Wyeth à Terrence Malick. L’acteur qui incarne Ellis, Tye Sheridan, a d’ailleurs été directement prélevé sur The Tree of Life. Quant à McConaughey, il livre un savoureux portrait de southern gentleman chevaleresque et rusé qui traite les gosses en adultes (qu’ils deviendront sous peu). On l’attend cette année dans des films de Richard Linklater, William Friedkin et Steven Soderbergh : excusez du peu !

Tye Sheridan, Jacob Lofland et Matthew McConaughey dans « Mud » de Jeff Nichols

Un Certain Regard
Le fond du tonneau est atteint par l’indigeste Confession of a Child of the Century (d’après Alfred de Musset), où Sylvie Verheyde montre qu’il ne sert à rien de changer de langue pour améliorer ce qui est dit. Alors que Stella (2008), son précédent film, agaçait par le langage borborygmatique des personnages, celui-ci agace par le débit et le port zombiesques de Peter Doherty, grand drogué devant l’éternel et a priori choix idéal pour un Octave désenchanté et terrassé par le spleen. Malheureusement, Doherty semble avoir infecté autant la réalisatrice que sa partenaire Charlotte Gainsbourg du virus du glandage intégral, ne laissant pour film qu’une coquille vide de sens et de vie.

« Confession of a Child of the Century » de Sylvie Verheyde, avec Peter Doherty et Charlotte Gainsbourg

Djeca de la Bosniaque Aida Begic est un cran au-dessus, mais peine à convaincre : une jeune femme (ancienne droguée et punk, mutée en musulmane voilée pour recouvrer un minimum de dignité) travaille comme plongeuse dans un restaurant de Sarajevo pour subvenir aux besoins de sa petite famille, constituée d’elle et de son frère cadet. L’ado a des problèmes à l’école et est impliqué dans des trafics louches. Mais au lieu de le chapitrer, elle insulte, comme une débile mentale, des gens puissants sans réfléchir aux conséquences. Comme il y a tout le temps de signifiants rappels d’actualités de la guerre de Bosnie, on peut donc déduire que la guerre rend con. Qu’elle crée le besoin de trafiquer et devenir loubard, c’est moins sûr : beaucoup de jeunes Suisses n’ont pas eu besoin d’une guerre pour le faire. 11/25 The Day Mishima Chose His Own Fate de Koji Wakamatsu passe 1h35 de son temps à montrer Mishima et les membres de son armée privée, les Tatenokai, ânonner à tour de rôle des paroles définitives sur les valeurs ancestrales que devrait retrouver l’homo japanicus et c’est aussi stérile que d’écouter les discours de l’extrême gauche, dont Wakamatsu fut jadis le héraut. Est-ce à dire qu’il met les deux extrêmes dans le même sac ? Les dernières 25 minutes du film sont occupées par l’action d’éclat du 25 novembre 1970 au ministère de la Défense où Mishima harangue en vain les soldats, les exhortant à rétablir les pouvoirs de l’empereur, avant de se faire hara-kiri. Rien sur son œuvre littéraire, rien sur son homosexualité, rien sur le reste de sa vie privée. A quoi sert ce film ?
Despues de Lucia (prix Un Certain Regard) du Mexicain Michel Franco donne à voir les singulières mœurs de la jeunesse dorée mexicaine qui semble être totalement déconnectée des choses graves qui se passent dans le pays. Le titre se réfère à la personne qui est morte avant le début du film et qui laisse un mari, cuisinier éminent, et leur fille, gymnasienne. Ne voulant pas ajouter à la peine de l’autre, les deux se murent dans une sorte de non-communication qui va entraîner des quiproquos avec séquelles tragiques. Dans sa nouvelle école, Alejandra devient très vite le souffre-douleur de ses camarades. Lors d’une excursion de classe, elle décide de les « punir » et « disparaît » en mer, sans rien dire à son père. Celui-ci découvre lors de l’enquête qu’une vidéo intime circule sur le net impliquant Alejandra et un copain. Fou de douleur, il va en tirer les pires conclusions.

« Despues de Lucia » de Michel Franco

Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin remporte la Caméra d’Or. Premier film d’un cinéaste de 29 ans, Beasts est une évocation poétique d’un mode de vie en voie de disparition et une ode à l’endurance d’un des segments les plus pauvres de la population américaine. Vivant précairement en marge de la terre ferme de Louisiane au milieu d’un entrelacs de bayous et de troncs émergés dans des abris de fortune, ce petit monde multiracial, qui vit de la pêche et ne semble pas touché par la moindre tentation consumériste, nous est présenté par une lumineuse petite fille, Hushpuppy, qui pense que c’est le plus bel endroit de la Terre. Elle y vit en parfaite harmonie avec la nature. Son papa, alcoolique comme presque tous ses voisins, prend bien soin de l’éduquer à la dure pour la préparer à l’avenir, car il se sent malade et depuis Katrina, leur monde s’est encore rétréci. Quand la civilisation menace d’empiéter sur leurs habitudes, leur cohésion magnifique sauve encore une fois la mise.

Quvenzhané Wallis dans « Beast of the Southern Wild » de Benh Zeitlin

Quinzaine des Réalisateurs
Dangerous Liaisons du Coréen Jin-Ho Hur est une intéressante transposition de Choderlos de Laclos dans le Shanghai des années trente (avec la délicate Ziyi Zhang dans le rôle d’une Madame de Tourvel chinoise), souffrant d’une mise en scène un peu sage ;

Ziyi Zhang et Dong-gun Jang dans « Dangerous Liaisons » de Jin-Ho Hur

Gangs of Wasseypur de l’Indien Anurag Kashyap, sur les luttes entre deux clans mafieux pendant les soixante ans depuis l’Indépendance, commence comme Le Parrain, continue comme Goodfellas et se termine au bout de 5h20 dans le style de l’apothéose de The Wild Bunch. On peut trouver des modèles moins inspirants.

« Gangs of Wasseypur » de Anurag Kashyap

Infancia Clandestina est une évocation autobiographique de l’Argentin Benjamin Avila sur le sort des enfants des Montoneros vivant en clandestinité en 1979, ballottés au gré des descentes de police. Cela nous amène à la même conclusion que Running on Empty (Sidney Lumet, 1988) : soit on fait des enfants, soit la Révolution.

Bon été !
Raymond Scholer