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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juillet 2008

A propos du Udine Far East Film Festival (FEFF 2008)

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 23 mai 2012

par Raymond SCHOLER

La dixième édition du plus grand festival européen des cinémas d’Extrême-Orient vient d’ajouter l’Indonésie et le Vietnam aux pays représentés, qui se chiffrent maintenant à onze. Quand on sait que les industries réunies de la Corée du Sud, du Japon, de la Thaïlande, de la Chine et de Hong Kong ont produit plus de 1000 longs métrages en 2007, la soixantaine présentée à Udine sert moins de reflet exhaustif que de mise-en-bouche. J’imagine qu’on peut faire confiance au réseau des sélectionneurs chevronnés d’avoir choisi les exemples les plus significatifs de ce cinéma commercial, bien éloigné des préoccupations esthétiques d’un Kar Wai Wong, d’une Naomi Kawase ou d’un Apichatpong Weerasethakul.
Rappelons simplement qu’avant l’existence du festival frioulien, de tels films étaient invisibles en Occident. Le grand avantage du FEFF cette année fut la possibilité physique de voir tous les films, puisqu’ils se succédaient dans la même salle. Dans la pratique, on se rendit vite compte que l’organisme humain a des limites qui vont en s’accentuant avec l’âge. Seuls les plus jeunes et mordus ont pu aligner sept ou même huit films par jour. Cela d’autant plus que les cinémas orientaux souffrent du même virus que les nôtres : les films avoisinant les 90 minutes deviennent rares. Moins un cinéaste a à dire, plus il s’étale.

Le catcheur et la mémoire
Comme dans d’autres festivals, les films plébiscités par le public sont des comédies plaisantes, politiquement correctes et aux valeurs ô combien humaines. Exemple à l’appui : Gachi Boy du Japonais Norihiro Koizumi relate l’histoire d’un étudiant sorti « summa cum laude » de la faculté qui devient amnésique du jour au lendemain à la suite d’un accident de circulation. Il s’inscrit dans un club de lutte foraine sans signaler son handicap aux autres membres. Ceux-ci s’étonnent que leur nouvelle recrue si enthousiaste enregistre tout ce qu’il peut avec une caméra ou sur un bloc-notes. C’est qu’il oublie tous les événements de la journée pendant son sommeil et ne se souvient que du vécu d’avant l’accident. Quand la vérité éclate au grand jour, il explique que la seule façon pour lui d’accumuler de nouveaux souvenirs, c’est de les ancrer dans son corps même : les bleus, les entorses, les luxations et autres douleurs musculaires seront dorénavant ses éléments de mémoire. La disposition gaie et gentille du protagoniste conquiert évidemment toute opposition et ses spectacles cassent la baraque. Ovation largement suivie par les spectateurs italiens.

Police non-scientifique
Les cinéphiles plus avertis, qui avaient réservé leur siège pour la durée du festival, votaient de façon séparée : ils optèrent pour le film de Johnnie To et Ka Fai Wai, Mad Detective, dont le scénario et la facture étaient indéniablement plus originaux. A la suite de ses méthodes spéciales, un enquêteur de la police de Hong Kong, Bun, se voit mis à la retraite anticipée, mais relancé par un collègue à bout d’hypothèses. Pour élucider un crime de sang, Bun a en effet l’habitude de se mettre systématiquement dans les conditions dans lesquelles se trouvaient les victimes dans les instants précédant leur mort. Il se fait par exemple enfermer dans une valise qu’on laisse ensuite dégringoler d’étage en étage. Par les émotions ressenties, il est capable de « vivre » en quelque sorte le crime et d’identifier séance tenante le coupable. De plus, il « voit » les vraies personnalités des gens, notamment les 7 différences d’un seul et même criminel, joués par sept acteurs différents. Ce qui peut donner une idée de la complexité logistique du film. Remettant l’intuition à l’honneur dans un genre complètement vendu à la logique, To et Wai renouvellent le polar, même s’ils se fourvoient dans quelques redites inutiles qui auraient pu être évitées après une ou deux distillations supplémentaires du scénario.

« Crows –Episode 0/Kurôzu zero » de Takashi Miike

« Rumbling Nips »
Les films qui ont, à mon sens, dominé le festival, sont le fait de cinéastes au faîte de leur art, Takashi Miike et Hideo Nakata. Crows –Episode 0/Kurôzu zero de Miike va sûrement en déconcerter plus d’un, étant donné qu’il s’agit à première vue d’un simple festival de castagne entre les prétendants adolescents au pouvoir absolu sur un lycée. Avec cent fois plus de testostérone et d’énergie que celles dépensées entre les gangs de Rumble Fish de Coppola, et infiniment plus de know-how opérato-rythmique. Dans ce lycée, où il ne semble guère y avoir de cours, et dont les murs sont recouverts de plus de tags qu’on n’en voit dans toute l’île de Honshu, une lutte âpre se déroule entre le nouvel arrivé, Genji, fils de yakuza, et la coqueluche régnante, Tamao, qui ressemble vaguement à Johnny Depp. Ce dernier a une armée de gros bras à sa botte, Genji doit encore créer la sienne. Mais comme il sait encaisser aussi souverainement que démolir, les rangs de ses fans croissent rapidement. Le film dure 120 minutes, mais passe comme un sorbet, léger et rafraîchissant. Contrairement au film de Coppola, la poésie ne naît pas d’un effet de distanciation amené par l’austérité du noir/blanc et l’étalage du spleen de « génération perdue », mais de l’ironie sous-jacente et de la caractérisation ludique des adversaires, facilement identifiables grâce à leurs particularités capillaires et vestimentaires. Dès lors, le film se vit comme une suite de houles de plus en plus consistantes à mesure que Genji se bat vers son but. Une symphonie singulière de la bagarre qui rebutera plus le public féminin qu’une visite chez le dentiste, mais qui dévoile aussi que ces mâles alpha, au-delà de leurs poses guerrières et masochistes, sont des doux à la base, comme le montre leur comportement envers les femmes et leur copain qui se fait opérer. D’ailleurs, certains ne feraient guère le poids chez nous : c’est la bande sonore qui magnifie leurs coups. Ce « Dit de Genji » n’est finalement pas plus répétitif que l’Iliade, mais éminemment plus amusant.

« Kaidan » de Nataka

Fantôme acariâtre
Kaidan de Nakata est le remake d’une histoire souvent filmée (entre autres par Nobuo Nakagawa (1959) et Shiro Toyoda (1966)). Un jeune marchand de tabac de l’époque Edo, Shinkichi, s’éprend d’une femme plus âgée, Toyoshiga, directrice d’une école de chant, et devient son assistant. Comme les élèves sont jeunes et exclusivement de sexe féminin, la jalousie corrode vite l’harmonie du couple. Le jeune homme, las d’accusations injustifiées, décide de partir, ce qui déclenche une altercation violente, au cours de laquelle la femme est blessée légèrement. Mais la blessure s’infecte, la malédiction annoncée dans la séquence pré-générique se met en branle, Toyoshiga meurt. Dès lors, le pauvre Shinkichi est condamné. Car le fantôme de la morte ne cessera de le hanter, provoquant méprises et hallucinations, causant meurtres et misères, jusqu’au combat final où Shinkichi, acculé, défend chèrement sa vie contre tout un village tel un samouraï fou, avant d’être bercé, mort, par l’amante qu’il a rejointe. Les fantômes féminins vindicatifs ont une longue tradition au Japon. Nakata, après les avoir adaptés à la sauce moderne dans des films comme Ring (1998), Ring 2 (1999) et Dark Water (2002), revient en quelque sorte à la source. Son film est d’un grand classicisme formel (l’utilisation d’un acteur kabuki au visage lisse et rond et au port serein dans le rôle du héros en accentue encore l’aspect « années cinquante »), mais ne néglige pas pour autant l’avancée réalisée en matière d’effets spéciaux ni un sens moderne du rythme narratif.

« A Drift in Tokyo » de Satoshi Miki

Dignes d’intérêt
En vrac, voici encore cinq films qui me paraissent, pour des raisons diverses, dignes de retenir l’attention d’un distributeur :
Adrift in Tokyo de Satoshi Miki : deux inconnus passent quelques jours ensemble à arpenter les rues et surtout les ruelles de Tokyo, le plus âgé censé collecter une dette auprès du plus jeune, se muant au fil des rencontres saugrenues et des discussions en mentor. Une liberté de ton délicieuse et des acteurs qui sonnent juste à 100%.
Casket for Rent : le Philippin Neal Tan renoue avec l’héritage de Lino Brocka (Insiang, 1976). Sa caméra ne quitte pas la cinquantaine de mètres que mesure l’allée étroite autour de laquelle s’agglutinent les taudis de plusieurs familles (dont une de croque-morts, qui donne au film son titre) vivant d’expédients, de trafics, de prostitution et de vols, mais qui gardent tous une dignité intacte.
Happiness : le Coréen Jin-Ho Hur décrit avec une simplicité ozuesque les amours tragiques dans un sanatorium entre un citadin qui se remet de sa cirrhose du foie et une jeune phtisique promise à une mort précoce. Quand Richard Gere tomba amoureux de Winona Ryder malade dans Autumn in New York (Joan Chen, 2000), il resta à son chevet. Ce qui rend le film coréen si déchirant, c’est que le yuppie restauré languit après ses fréquentations antérieures et abandonne la seule femme qui l’a jamais aimé.

« The Assembly » de Xiaogang Feng

The Assembly du Chinois Xiaogang Feng est un film de guerre plein de bruit et de fureur qui relate les efforts d’un commandant des troupes communistes pour faire reconnaître par le gouvernement le sacrifice héroïque de sa compagnie face aux hordes du Kuomintang dans la campagne de 48/49. Le film se donne donc comme ouvertement non-propagandiste, mais réussit à singer les scènes de bataille de Saving Private Ryan de façon impressionnante, signifiant ainsi par la bande qu’on ne badine pas avec l’armée de la RPC. Avis aux Occidentaux !
Shadows in the Palace : le premier film de Mi-Jeong Kim, qui vient d’être élue meilleure nouvelle réalisatrice en Corée, plonge dans les intrigues complexes parmi les femmes à la cour de la dynastie Joseon. Les servantes sont théoriquement assujetties à l’omerta, à la soumission et au célibat. Pratiquement, les tentations et occasions de s’octroyer les faveurs d’un membre mâle de la maison royale ne manquent pas. D’où un entrelacs de suspicions, de trahisons, de complots, de surveillances mutuelles et de tortures que concubines et personnel s’infligent, sous prétexte de s’incliner devant une loi immuable. Un film cruel et impitoyable, une cinéaste à suivre.
Bon été et à bientôt

Raymond Scholer