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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - janvier 2022

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 janvier 2022
dernière modification le 11 février 2022

par Raymond SCHOLER

Coup d’œil sur les films présentés à la 20e édition du LUFF, ainsi que sur la programmation de la Cinémathèque suisse en janvier.

20e LUFF. Compétition
Dans le film canadien Violation (Dusty Mancinelli & Madeleine Sims-Fewer, 2020), une femme passe avec son mari, dont elle s’est un peu distancée, des vacances chez sa sœur : elle renoue ainsi avec son beau-frère qu’elle n’a pas vu depuis des années. C’est très sympa jusqu’à ce que ce dernier, après une soirée bien arrosée, se permette des privautés qui révulsent la dame. Le lendemain, elle l’attire dans ses bras, l’assomme, le suspend par les pieds, le saigne, le débite, le désosse et broie les os en poudre, sans la moindre répercussion ultérieure sur leurs deux partenaires. Un véritable rêve humide d’Alice Coffin.

« Violation »

Jamil Dehlavi
La rétrospective du LUFF ne concerne que les quatre premiers longs métrages de ce cinéaste britannique peu connu qui échappe depuis plus de quarante ans à toutes les tentatives de classification. Ses ascendants franco-pakistanais et la jeunesse itinérante dont il a profité en tant que fils de diplomate expliquent sans doute sa prédisposition transculturelle exceptionnelle. Son univers n’est pas seulement peuplé de Musulmans, mais aussi de Juifs, de Chrétiens et même de Zoroastriens, puisque ces derniers, mal vus par les mollahs, ont pu encore se maintenir comme communauté en Inde et au Pakistan. C’est dans ce dernier pays que Dehlavi tourne son premier film, le moyen métrage Towers of Silence (1975). Sans récit bien défini – il s’agit vaguement de la trajectoire d’un révolutionnaire, incarné par le cinéaste - la caméra se concentre sur ces structures circulaires surélevées utilisées pour les rites funéraires de purification. Les dépouilles ne se décomposent ainsi pas à même le sol, mais en hauteur, aidées par les vautours qui se repaissent. Le ballet en vol de ces derniers scande les images jusqu’à l’abstraction. Mystérieux et empreint de mysticisme.

« Towers of Silence »

Avec

The Blood of Hussain

(1980), Dehlavi dénonce la corruption étatique et l’oppression dans une version moderne du martyre du petit-fils de Mahomet à Kerbala, qui symbolise pour les Chiites la nécessité de se révolter contre l’injustice. Le scénario oppose deux frères : Salim, qui a été éduqué en Occident, travaille pour le régime et se comporte comme un patricien et Hussain, qui, tout en restant propriétaire terrien, se mêle aux paysans et épouse la fille de son métayer. Quand un général fomente un coup d’état, Salim se met tout de suite à sa disposition : seule l’intéresse sa promotion. Hussain, au contraire, mène la révolte jusqu’à sa mort annoncée. Tourné au Pakistan en 1977, le film devint prémonitoire lorsque, peu après le tournage, Zia-ul-Haq déposa le gouvernement élu. Il fut bien sûr promptement interdit et le reste encore aujourd’hui. Mais son lyrisme, comme l’image de cet étalon blanc qui émerge soudain des sables, n’a pas diminué.

« The Blood of Hussain »

Sur Born of Fire (1987), Dehlavi se repose pour la première fois sur des comédiens anglais. Une astronome (Suzan Crowley) observe, lors d’une éclipse, une activité inabituelle à la surface du soleil en même temps qu’elle entend une musique singulière. Elle visite un flûtiste du nom de Bergson (Peter Firth) qui entend la même musique et dont le père est mort sous des conditions mystérieuses pendant qu’il prenait des leçons chez un « maître musicien » en Cappadoce. Lorsqu’un volcan éteint devient soudain actif en Turquie, l’astronome est convaincue qu’il y a un lien entre l’activité solaire, la musique et l’éruption du volcan. Une excursion en Cappadoce s’impose. Bergson y apprendra maintes choses sur son père et sera contacté par le Diable qui veut se rendre maître du monde au moyen de la musique. Abandonnez donc le rationnel et la logique ! Des rêves et des visions où le feu, l’eau et les sons se superposent au réel des formations géologiques anatoliennes pour manipuler nos sens dans une quête proche des vertiges de derviches tourneurs.

Les derviches tourneurs de « Born of Fire »

Immaculate Conception (1992) est le premier chef-d’œuvre absolu de Dehlavi. Cette fois-ci, le mysticisme reste à la porte. Il n’existe en fait que dans la tête de quelques Occidentaux. Une Juive américaine (Melissa Leo à ses débuts, sublime), désespérée de n’avoir pas encore enfanté, espère concevoir surnaturellement dans un temple de Karachi géré par une communauté d’eunuques. Lorsqu’elle s’y rend avec son mari, leurs hôtes leur font boire un élixir pour susciter la sainte extase, mais il s’agit simplement d’un somnifère puissant. Et pendant leur sommeil, un jeune serviteur polyglotte engrossera tranquillement l’épouse. Condition du chef des eunuques : si conception il y a, il faudra confier la circoncision du rejeton mâle au temple. Autour de cette situation de base s’articuleront d’autres fourberies annexes, comme le fait que le mari est l’amant d’une riche héritière indienne qui est aussi l’« amie » qui a recommandé les eunuques comme dernier recours de fertilité. Pis encore : un collectionneur anglais expat volera un précieux et rare Coran et le paiera de sa vie et de l’incendie de sa bibliothèque où se consumeront deux exemplaires des Versets sataniques de Salman Rushdie, fraîchement arrivés de Londres. Comme Channel 4 a les droits de tous les films de Dehlavi, il convient de s’adresser à amazon.co.uk. pour les acquérir.

« Immaculate Conception »

Janvier à la Cinémathèque suisse
Pour le début de l’année, le grand cadeau pour les cinéphiles est sans aucun doute l’intégrale du plus secret et du plus indépendant des réalisateurs de la Nouvelle Vague, le nonagénaire Jacques Rozier. Dernier survivant (avec Godard) de cette école artistique (1958-1962) du cinéma français, Rozier n’a réalisé depuis ses débuts en 1956 (en faisant abstraction de ses travaux pour la télévision) que 8 courts et … 5 longs-métrages. Kubrick peut donc aller se coucher. Adieu Philippine (1961) fut considéré par les Cahiers du cinéma comme « le film le plus nouvelle vague de la Nouvelle Vague » et en devint l’emblème même, comme l’atteste la couverture de La Nouvelle Vague (1997) de Michel Marie. L’intrigue : Un stagiaire à la télévision, sur le point de partir faire son service en Algérie, profite de ses derniers jours de liberté en Corse en compagnie de deux jeunes femmes inséparables entre lesquelles il est incapable de choisir. Beaucoup de fraîcheur, de spontanéité, de lucidité et de charme, qui font dire à Eric Rohmer que « l’on conçoit mal que la recherche du naturel puisse être poussée plus loin. » Dans Du côté d’Orouët  (1971), Joëlle, Karine et Caroline passent les vacances sur la côte vendéenne et tombent sur le chef de bureau de Joëlle qui va vite devenir le souffre-douleur des trois filles. On ressent pleinement ce temps béni des vacances qui s’écoule au rythme des baignades, du farniente, des rencontres sans lendemain et des émois du cœur. Dans Les Naufragés de l’île de la Tortue (1976), des touristes sont censés se retrouver dans la situation de Robinson Crusoé et s’organiser eux-mêmes pour subsister. Du Koh-Lanta avant l’heure.

Luis Rego, Rosa-Maria Gomes et Bernard Menez dans « Maine Océan »

Maine Océan (1986) raconte les démêlés d’une Brésilienne avec deux contrôleurs de la SNCF (Bernard Menez et Luis Rego, à hurler de rire), démêlés qui l’amènent de fil en aiguille sur l’île d’Yeu, où une fête s’improvise. Fifi Martingale (2001) n’a guère été vu en dehors de la Mostra et porte la réputation d’une œuvre inclassable : un metteur en scène d’une pièce de boulevard se voit remettre un Molière, croit qu’il s’agit d’un canular et qu’une cabale se monte contre lui.

À part Rozier, signalons une substantielle rétrospective (36 titres) du cinéma scandinave du XXIe siècle, dont la majeure partie est bien connue des spectateurs réguliers de cette niche.

Raymond Scholer