Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - janvier 2019

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 janvier 2019
dernière modification le 1er décembre 2018

par Raymond SCHOLER

Suite des commentaires à propos des 37èmes Giornate del Cinema Muto (Pordenone)

Honoré de Balzac
La Comédie humaine s’imposa très tôt comme une mine d’or pour les adaptations cinématographiques : événements dramatiques, émotions, observation aiguë de la société, tout s’y trouvait en abondance, et en plus, Balzac était encore très lu et son nom était une caution de qualité. En 1909, l’Italien Arrigo Frusta adapta La Grande Bretèche pour un court métrage de 12 minutes sous le titre de Spergiura  ! 3 adaptations de la même nouvelle (où un mari cocu emmure l’amant de sa femme) sortaient la même année, dont The Sealed Room de D. W. Griffith. Dans les années 1920, les adaptations de Balzac comptent plusieurs chefs-d’œuvre.

Charles Boyer et Jaque Catelain dans « L’Homme du large »

Charles Boyer fit ses débuts dans un rôle secondaire de L’Homme du Large (Marcel L’Herbier, 1920), basé sur la nouvelle Un drame au bord de la mer. Tournée en extérieurs sur la côte bretonne, l’histoire suit la destinée d’une famille de pêcheurs. Le père, Nolff, veut élever son fils dans une sorte de liberté du large, sans contraintes, et interdit à sa femme de s’immiscer. Résultat : l’ado devient une crapule violente qui ne pense qu’aux distractions et aux richesses et se désintéresse complètement de la mer. Filmé dans un style symbolique quoique réaliste, scandé par des textes qui couvrent l’écran, le film magnifie admirablement le sentiment d’échec du père qui se résout finalement à confier son fils aux vagues de l’océan et à vivre en reclus dans une caverne. L’Auberge rouge (1923) de Jean Epstein, où un meurtrier en fuite se sent envahi par le poids de la culpabilité lors d’une soirée où un convive fait le récit de ce crime tel qu’il lui a été raconté. Le visage de Jean-David Evremond qui incarne le vrai coupable est une leçon d’art dramatique en soi, la composition des plans et le jeu des clairs-obscurs une leçon de mise en scène.

Elisabeth Bergner et Hans Rehmann dans « Liebe »

Dans Liebe (Paul Czinner, 1927), Elisabeth Bergner incarne la duchesse de Langeais avec son intensité habituelle d’amante tragique. Contrairement à la version de Frank Lloyd ( The Eternal Flame , 1922), où la même duchesse était incarnée par Norma Talmadge, autre tragédienne d’exception, le film se termine comme dans le roman et non sur un happy end hollywoodien. La cousine Bette (Max de Rieux, 1928) nous fait non seulement découvrir l’atrocement laide Alice Tissot dans le rôle titre, mais aligne une galerie de personnages plus manipulateurs les uns que les autres, à commencer par le couple Marneffe, joué avec une science accomplie, respectivement par Charles Lamy et Germaine Rouer.

John M. Stahl
Jusqu’au début de ce siècle, Stahl était surtout connu pour son extraordinaire film noir Leave Her to Heaven / Péché mortel (1946), où la jeune femme enceinte jouée par Gene Tierney, craignant d’être délaissée par son mari au profit de l’enfant à venir, se jette du haut d’un escalier pour avorter. Ses mélodrames des années 30 ( Back Street, Imitation of Life, When Tomorrow Comes et Magnificent Obsession ) furent l’objet de remakes célèbres par Robert Stevenson (en 1941) et Douglas Sirk dans les années 1950 et devinrent très difficiles à voir. Quant aux muets, ils ont uniquement resurgi des archives ces 20 dernières années. 12 sur les 22 longs métrages muets connus ont été localisés dans les cinémathèques anglaises et américaines. 9 ont été montrés aux Giornate. Il est évident que le mélodrame est à Stahl ce que le western est à Ford. Il y a deux sortes de mélodrames, ceux qui se terminent sur des happy ends, fût-ce aux prix des plus improbables hasards, et ceux qui se terminent sur un happy end pour les uns, mais au prix du sacrifice d’autres personnages.

Barbara Castleton et l’enfant Richard Headric dans « The Child Thou Gavest Me »

The Child Thou Gavest Me (1921) commence le jour du mariage entre Norma et Edward. Elle veut révéler un secret à son mari, mais sa mère lui conseille de se taire. En plein milieu de la cérémonie, une femme apporte un enfant qui est celui de Norma, mais que celle-ci croyait décédé. Sa mère l’avait confié à une nourrice. Edward accepte d’adopter l’enfant, mais fait serment de rechercher le père et de le tuer. Il soupçonne un ami, Tom, qu’il invite à la maison. Lorsqu’il voit Tom en conversation très amicale avec Norma, il l’abat. Norma lui révèle alors qu’elle avait été violée par un soldat, lorsqu’elle servait comme infirmière en Belgique. Edward réalise que ce soldat, c’était lui. Il essaie de se suicider, mais Norma l’en empêche : elle a besoin de lui et leur enfant aussi. Tom survit à ses blessures et on peut enfin sabrer le champagne.

Lew Cody (au centre) dans « Husbands and Lovers »

Dans Suspicious Wives (1921), Molly soupçonne son mari James d’être infidèle, alors qu’il aide en secret financièrement sa belle-sœur. Molly quitte James sans explication et loue une maison en pleine campagne. James la cherche sans succès et se retrouve temporairement aveugle suite à un accident automobile. Les secouristes l’amènent dans la maison louée par sa femme. Elle le soigne avec amour sans révéler son identité. Quand il retrouve la vue, sa belle-sœur arrive en visite et tout est éclairci.

William Haines et Frankie Darro dans « Memory Lane »

Husbands and Lovers (1924) raconte ce qui peut arriver lorsque les conjoints se sont trop habitués l’un à l’autre. Un ami profite pour courtiser la femme, il brouille les cartes et un divorce s’ensuit. Mais au moment du nouveau mariage, l’ancien mari, toujours éperdument amoureux, convainc son ex de s’enfuir avec lui. Dans Memory Lane (1926), un ancien rival du mari se présente quelques années après le mariage dans la demeure d’un couple heureux et se comporte avec une grossièreté excessive. De sorte que l’épouse est heureuse de son choix de mari, mais le mari sait que l’autre ne s’est donné en spectacle que pour conforter la femme dans son bonheur.

Raymond Scholer