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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - janvier 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 6 janvier 2016
dernière modification le 5 décembre 2015

par Raymond SCHOLER

Coup d’œil sur la programmation des 34e Giornate del Cinema Muto (Pordenone) - 2ème partie.

Girls will be Boys
Entre 1908 et 1921, environ 20 films américains par an montraient des femmes travesties en hommes. C’est que le travestissement n’avait à cette époque-là rien de transgressif. Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que les vêtements masculins furent perçus par le grand public comme un code pour reconnaître les lesbiennes. The Darling of the C.S.A. (Kenean Buel, 1912) glorifie une espionne (jouée par Anna Q. Nilsson) qui travaille pour les Confédérés et se déguise en militaire nordiste pour s’extraire de situations périlleuses. L’actrice adorait tellement jouer les héroïnes athlétiques de films d’action qu’elle se trouvait souvent dans sa carrière travestie en mâle.

Anna Q. Nilsson dans « The Darling of the C.S.A. »

Dans Making a Man of Her (Al Christie, 1912), le patron du ranch en a assez de perdre ses cuisinières au piège matrimonial et cherche un cuisinier mâle. Emily se déguise illico et obtient le job. Mais se faire à tout bout de champ taper dans le dos et supporter les cigares malodorants à longueur de journée n’est pas une sinécure. Et puis la fille du patron et sa copine sont fascinées par ce doux garçon, provoquant la jalousie des cowboys. Provoquée en duel, Emily (Louise Glaum, qui allait devenir une des femmes fatales les plus célèbres de Hollywood) perd vite son chapeau et son secret. Et le patron engage une cuisinière qui ne risque pas de se faire épouser, une mammy noire, jouée par un Blanc grimé. Comme quoi il y a travestissement attrayant et travestissement grotesque. Dans The Baby and the Stork (D.W.Griffith, 1912), Edna Foster, une actrice de 11 ans, incarne pour la 8e fois un petit garçon. En l’occurrence celui-ci vole le bébé que ses parents viennent d’amener et le « rend » à la cigogne au zoo. Et la police d’arrêter toute la famille de l’artisan italien qui travaillait dans le jardin de la maison, car les étrangers sont d’office suspects ! Dans What’s the World coming to ? (Richard Wallace, 1926), ce n’est pas tant le déguisement qui est en cause, mais carrément les rôles des sexes qui sont inversés, annonçant l’emprise grandissante des femmes sur la marche du monde. En 2026, un fiancé rougissant en dentelles s’approche de l’autel où l’attend sa fiancée en costume cravate. Mais la vie d’homme marié est stressante : garder la maison en lisant The Husband’s Home Journal et ruminer ses aigreurs avec l’appui de papa, pendant que l’épouse passe les nuits dehors et que sa copine vous drague avec effronterie, n’est pas facile ! Heureusement que le mariage est sauvé par la cigogne qui apporte un bébé.

Bert Williams et compagnie
Au moment de sa mort en 1922, à l’âge de 47 ans, Bert Williams était la plus grande superstar de couleur de la scène américaine. Avec son partenaire de vaudeville, George Walker, il introduisit les comédies musicales entièrement jouées par des Noirs sur Broadway et en 1910, il brisa la barrière raciale en rejoignant la troupe entièrement blanche des Ziegfeld Follies. En 1913-14, il joua dans deux courts métrages, Fish et A Natural Born Gambler (Edwin Middleton, T. Hayes Hunter) que je ne trouvai pas spécialement drôles.

« A Fool and his Money »

Dans le même programme, il y avait aussi A Fool and his Money (1912) de la Française Alice Guy-Blaché avec un autre comique noir du vaudeville, James Russell, qui me semblait plus authentique. La saynète montre que l’argent est la seule clé du succès auprès des belles femmes, véritables girouettes affectives, mais le fait que tous les acteurs sont de couleur, à travers le spectre complet des classes sociales, nous rappelle qu’il s’agit d’un conte. Le long métrage Uncle Tom’s Cabin (William Robert Daly, 1914), 4e adaptation du célèbre roman abolitionniste, est le premier avec un comédien noir dans le rôle principal : Sam Lucas (1839 – 1916), fils d’esclave, vétéran de la Guerre de Sécession, est probablement l’acteur le plus reculé dans le temps que j’aie jamais vu à l’écran. Contrairement à 12 Years a Slave (Steve McQueen, 2014), le seul salut pour les esclaves doit venir de Dieu et non d’une révolte, mais pour le reste, les deux œuvres alignent les mêmes cas de figure.

La suite au prochain numéro

Raymond Scholer