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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - février 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 4 février 2017
dernière modification le 21 janvier 2017

par Raymond SCHOLER

Suite du compte-rendu relatif aux 35èmes Giornate del Cinema Muto, Pordenone.

John Hancock Collins
Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de ce metteur en scène qui est mort, à l’âge de 28 ans, de la grippe pandémique de 1918. Engagé à la fin de sa scolarité par la compagnie Edison comme technicien d’effets spéciaux, décorateur et même directeur de casting, il se lança dans la réalisation en 1913. À sa mort, il avait 25 longs métrages (sortis entre 1915 et 1919) à son actif et était considéré par la revue Motion Picture World comme le benjamin des cinéastes de renom. N’était sa mort précoce, on peut parier qu’il aurait eu sa place au panthéon aux côtés de Walsh, Griffith et Ford, parmi ces pionniers qui ont porté l’art de la narration à un haut degré d’éloquence concise, typiquement américaine. Hélas, il fut vite oublié et ses films abandonnés à la poussière, à la détérioration et aux accidentels feux de nitrate. Dans son ouvrage American Silent Film (1978), William K. Everson louait certains de ces films avec enthousiasme, mais quarante ans plus tard, restaurations et études archivistiques se font toujours désirer. Pordenone aligna quatre longs métrages et quatre courts. Les courts montrent l’aptitude de Collins à comprimer un scénario complexe avec un faisceau étendu de personnages dans un film d’une seule bobine. Les longs ont tous comme actrice principale Viola Dana, sa muse ravissante aux grands yeux, qu’il épousa en 1915. Un mignon petit bout de femme qui s’avéra une des actrices les plus convaincantes de l’époque, avec un jeu non apprêté, vraiment moderne.

« The Cossack Whip »

Dans The Cossack Whip (1916), elle joue Darya, une jeune paysanne qui a vu sa sœur Katerina enlevée en pleine cérémonie de fiançailles par un détachement de cosaques à la recherche de révolutionnaires. Le fiancé est fait prisonnier et torturé. Katerina implore le chef de la police secrète Tourov de lui laisser la vie sauve. Elle se laissera violenter, battre et humilier par Tourov, mais le fiancé est quand même fouetté à mort. Katerina réussit à s’emparer du fouet avant de s’échapper et de rentrer au village pour y mourir. Ces actes gratuits de cruauté génèrent chez Darya la soif de vengeance, un plat qui se mange froid. Darya trouve refuge dans une troupe de ballet moscovite où elle fait la rencontre de Sergius, danseur et chorégraphe, qui devient son amant. Sous la protection d’une célèbre ballerine, elle deviendra l’étoile des Ballets Impériaux. Le lubrique Tourov l’invite alors dans les quartiers de la police. Elle le rend fou de désir et obtient de voir la cellule des prisonniers où elle parviendra à attacher Tourov aux menottes qui avaient immobilisé Katerina. Elle produit alors le célèbre fouet et frappe avec fureur jusqu’à ce qu’un gardien, révolutionnaire dans l’âme, achève un Tourov en lambeaux.

Viola Dana dans « The Girl Without A Soul »

The Girl without a Soul (1917) donne à Viola Dana l’occasion de montrer une autre facette de son talent, puisqu’elle y joue deux sœurs jumelles de caractères très différents, au moyen d’un changement de coiffure et d’un langage corporel subtilement altéré : Priscilla, une violoniste de talent qui n’a d’égards pour personne et n’aspire qu’à faire carrière, adorée par son père qui fabrique justement des violons, et Unity, aimante et effacée, qui n’est aimée que par le maréchal-ferrant du village. Lorsque Priscilla tombe dans les rets d’un musicien opportuniste (son nom, Ivor, est déjà tout un programme) qui l’incite à voler l’argent des paroissiens déposé auprès du maréchal-ferrant, Unity, se faisant passer pour sa sœur, tire les vers du nez d’Igor et révèle au grand jour que le filou est l’instigateur du vol : elle récolte enfin les éloges de son père.

Viola Dana et Robert Walker dans « Blue Jeans »

Blue Jeans (1917) est un drame âpre d’amour, d’ambition, de tragédie familiale et d’héroïsme féminin qui se joue dans l’Indiana. À son arrivée dans le hameau de Rising Sun, où il va reprendre la scierie locale, Perry rencontre June, une jeune SDF en butte aux assiduités lubriques de Ben Boone, une brute aux ambitions politiques. Perry protège June, et se fait un ennemi mortel ! June est recueillie par un vieux couple, "déshonoré" vingt ans plus tôt par leur fille, enlevée par son amant. La photo que June trouve de celle-ci lui rappelle étrangement sa propre mère. Perry et June se marient en secret, mais leur bonheur est gâché par l’aventurière Sue, une copine de Ben, qui prétend être la femme de Perry. Perry part à la recherche de preuves que son mariage avec June est légal. En son absence, June donne naissance à leur fils. Les vieux ont compris que June est leur petite-fille et réprimandent le pasteur qui refuse de baptiser leur arrière-petit-fils. Quand Perry revient avec les preuves de son innocence, Ben assomme Perry et le met sous une scie circulaire dont il est sauvé in extremis par une June débordant d’énergie vengeresse, dans une séquence haletante, digne de James Bond. Six autres films de Collins avec Dana existent dans des archives. On attend avec impatience un coffret !

Al Christie
Pendant 30 ans, le producteur Al Christie aligna quelque 700 comédies. Aujourd’hui, son nom n’est connu que des spécialistes, car Chaplin, Keaton, Sennett et Roach lui ont volé la vedette. Comme pour celles de ses concurrents Henry Lehrman et Jack White, ses contributions aux films de comédie devraient être réexaminées d’urgence. Christie démarra dans la réalisation chez Nestor Films en 1910, alternant westerns et comédies d’une bobine. En 1911, ses adaptations live de la bande dessinée Mutt & Jeff de Bud Fisher eurent un succès retentissant. En 1915, Universal absorba Nestor Films et Christie, tout en continuant de réaliser des comédies, se mit aussi à en produire avec d’autres réalisateurs.

« Father’s close Shave » (Reggie Morris, 1920)

Dans Operating on Cupid (Horace Davey, 1915), une équipe médicale démente scie rageusement les organes des patients et le médecin chef n’arrête pas de piquer des crises de fureur. Le rythme et le jeu des acteurs sont d’essence cartoonesque. Dans A Pair of Sexes (Frederic Sullivan, 1920), un homme revient à la maison après un long voyage d’affaires, sans savoir que sa femme a déménagé dans l’appartement d’en face. Dans son ancien appartement, il tombe sur deux bébés qu’il prend pour les siens et ameute la terre entière. Dans Father’s Close Shave (Reggie Morris, 1920), Johnny Ray incarne de façon parfaitement mimétique l’immigrant irlandais Jiggs, dont les aventures étaient narrées depuis 7 années dans la bande dessinée Bringing Up Father/La famille Illico de George McManus. Jusqu’aux décors et costumes, la stylisation s’efforçait de copier le comic strip à la perfection. Des acteurs d’une souplesse extraordinaire étaient requis pour tomber sans se faire mal, sauter en l’air comme propulsés par un ressort et encaisser des coups à répétition. Jack Duffy, grande tige maigre, était normalement affublé d’une barbe blanche et se spécialisait dans les rôles de vieillards en cure de jouvence ou en tout cas hyperactifs. Dans Long Hose (William Watson, 1928), il incarne un chef de pompiers sautillant, toujours sur le qui-vive, dont la fille fréquente le fils d’une épicière veuve. L’incendie de l’épicerie sera donc propice à la proclamation d’un double mariage. Le contraire physique de Duffy s’appelait Bobby Vernon. Il mesurait 1m58. Dans Second Childhood (Harold Beaudine, 1923), il prétend être un petit garçon pour tromper l’oncle à héritage, sans se douter que celui-ci a une fille obèse (Babe London, 115 kg) qui cherche désespérément un camarade de jeu.

Origines du western 2
L’année passée, Pordenone s’intéressait aux débuts du western dans les années 1908-1911, à l’époque où la revue Moving Picture World croyait que ce genre pouvait poser les fondements d’une école américaine de drame cinématographique. Le programme de cette année se concentra sur les années 1912-1913. Dans The Escape of Jim Dolan (William Duncan, 1913), le prospecteur incarné par Tom Mix est injustement accusé de vol de bétail par des jaloux qui convoitent à la fois sa concession et sa fiancée. Condamné à dix ans de prison, il s’enfuit avec l’aide de cette dernière, et trompe les poursuivants en s’immergeant dans une rivière et en respirant à travers le canon démonté de son arme. Les chevauchées de Mix, qui arrivait à mettre pied à terre et remonter en l’espace d’une seconde lors de sa fuite, grâce à une ribambelle de chevaux en relais mis à disposition par ses amis, ont enthousiasmé le public de l’époque.

Romaine Fielding est Tony dans « The Rattlesnake – A Psychical Species »
© BFI National Archive, London.

Dans The Rattlesnake - A Psychical Species (1913) de Romaine Fielding, acteur principal et réalisateur, un serpent à sonnettes devient le compagnon du héros, parce qu’il lui a sauvé la vie en mordant son rival. Jamais metteur en scène ne vécut plus dangereusement ! Dans The Craven (Rollin S. Sturgeon, 1912), la femme d’un pleutre élu sheriff règle leur compte aux malfrats, à la place de son mari, mais lui en laisse les lauriers. Dans Sallie’s Sure Shot (1913), l’héroïne tire au fusil sur une mèche pour l’éteindre. Les femmes du Far West étaient vraiment d’un autre calibre. Et les Amérindiens pouvaient rivaliser de noblesse en dépassant les frontières ethniques, comme le montre The Lieutenant’s last Fight (Francis Ford, 1912). Un chef sioux envoie son fils, Great Bear, dans une école militaire. Dix ans plus tard, Great Bear prend son service à Fort Reno avec le grade de lieutenant. Les officiers blancs et leurs épouses le snobent, seule Ethel, la fille du commandant Garvin, lui témoigne de la sympathie. Une rixe avec un capitaine conduit Great Bear devant une cour martiale qui le condamne à la destitution. Chassé de l’armée, l’ex-lieutenant rentre dans sa tribu. Son père est outragé et menace de faire la guerre aux visages pâles. Garvin envoie les jeunes femmes de la garnison par diligence dans un autre fort pour assurer leur protection. La diligence tombe dans une embuscade. Pour sauver la femme blanche qui lui a fait confiance, Great Bear n’hésite pas à revêtir l’uniforme et à tirer sur les membres de sa tribu qui encerclent la diligence. Juste assez longtemps pour laisser arriver la cavalerie. Acte qu’il paiera, bien sûr, de sa vie.

Au mois prochain

Raymond Scholer