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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - février 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 5 février 2016
dernière modification le 30 janvier 2016

Et voici la suite du compte-rendu relatif aux 34e Giornate del Cinema Muto (Pordenone).

Victor Fleming
Il a réalisé Gone With the Wind (1939) et The Wizard of Oz (1939), mais Victor Fleming reste l’un des moins connus des grands cinéastes de Hollywood. Pilote de voiture de courses, il fut présenté à Douglas Fairbanks par Allan Dwan et devint son pote et son cameraman. Il était très en vogue auprès des dames (Clara Bow et Jean Harlow comptent parmi ses maîtresses), qui ne tarissaient pas de louanges sur lui. Son premier film de metteur en scène, When the Clouds Roll By (1919), est un pur bijou. Les trucages savants qu’il y développe auraient pu laisser penser que Fleming allait devenir un magicien du 7e art. Mais même si ses meilleurs films (comme Mantrap (1926)) furent très divertissants, il n’en étaient pas moins très classiques dans leur facture. Ses moins bons films ressemblaient à des imitations de films d’autres réalisateurs. Si l’on en croit la critique de l’époque, cette carrière en dents de scie est visible dès la période muette.

D. Fairbanks dans « When the Clouds Roll By »

Malheureusement, même ses films muets réputés excellents sont perdus, comme The Way of All Flesh (1927) que d’aucuns comparaient à Der Letzte Mann (1924) de F.-W. Murnau. À Pordenone, nous pûmes voir tout ce qui reste, 5 (sur 25) films muets, plus quelques fragments épars. When the Clouds Roll By était la dernière comédie de Fairbanks avant ses films en costume. C’est le premier film américain à brocarder la psychiatrie, un terme flambant neuf en 1919. Fairbanks joue un homme maladivement superstitieux qui fond en larmes après avoir cassé un miroir, car il envisage avec horreur les sept ans à venir. En cours du film, il voit son emploi menacé, et sa fiancée courtisée par un vil suborneur. Il la récupère in extremis, lorsque le train dans lequel elle se trouve avec le fourbe est emporté par une rivière en crue à la suite d’une rupture de barrage. Lorsque les deux amants, à nouveau réunis, se sauvent sur le toit d’une maison, un clergyman passe comme par hasard sur une rafiot de fortune et les marie. Le film, farfelu au possible, se signale par une séquence de cauchemar hallucinante où tous les trucs avant-gardistes de l’époque – action accélérée, action inversée, ralentis, lentilles déformantes, pixilation – sont mis à contribution. On voit les légumes danser la java dans l’estomac de Fairbanks, les bras de Bull Montana s’allonger pour enlacer la chambre entière, Fairbanks traverser les murs pour se retrouver au milieu de dames de la haute, alors que son pyjama a tendance à glisser sur ses pieds : il se sauve en grimpant aux parois et marchant au plafond, comme Fred Astaire le fera 32 ans plus tard dans Royal Wedding de Stanley Donen. Dans To the Last Man (1923), Fleming adapte un roman de Zane Grey sur une des vendettas célèbres de l’Ouest, celle entre deux clans d’éleveurs de l’Arizona, les Graham et les Tewkesbury. La violence commença en 1886 et prit fin, 20 morts plus tard, avec celle du dernier Graham en 1892. Grey et Fleming ajoutent une fin romantique, un couple à la Roméo & Juliette, joués par Richard Dix et Lois Wilson, qui s’aiment, regardent, impuissants, les leurs s’entretuer et survivent aux tueries.

Gary Cooper et Lupe Velez dans « Wolf Song »

Le plus fort des films d’amour de Fleming est cependant Wolf Song (1929), où le trappeur Gary Cooper s’éprend de Lupe Velez, fille d’un hautain don californien, et gagne son cœur. L’attraction sexuelle qui existait entre Cooper et Velez (il restera l’amour de sa vie) pendant le tournage est palpable à l’écran, rendant les images incandescentes. La trame est réduite à sa plus simple expression : Lupe s’enfuit avec Gary, ils s’établissent dans un village de montagne jusqu’au jour où Gary en a assez de la « civilisation » et rejoint ses potes trappeurs ; elle retourne chez ses parents ; il se languit, trouve les nuits trop longues et solitaires ; il veut rentrer à la maison, mais se fait attaquer par deux Indiens qui lui volent son cheval ; il se traîne, sanguinolent, sur des centaines de kilomètres jusque dans les bras de Lupe et plus rien ne les séparera. Voilà tout et c’est d’une beauté sidérante.

Muscles Italiens en Allemagne
Sous ce titre se cachent des films de genre faits par deux hommes forts italiens, Luciano Albertini et Carlo Aldini, sous la République de Weimar. Leur spécialité était le Sensationsfilm, un genre popularisé par Harry Piel, truffé de scènes d’action, de suspense et de cascades dans des endroits exotiques. Leurs meilleurs films offraient de l’aventure, de la romance, de la comédie et du drame dans exactement les bonnes proportions et trouvaient un écho très favorable auprès de la presse allemande. Dans Der Unüberwindliche (Max Obal, 1928), tourné dans un décor immense de cirque dans les studios Aafa, Albertini, qui était initialement lui-même acrobate et artiste de cirque, joue le virtuose de l’évasion Spaventa, qui s’écarte à temps d’un gigantesque globe suspendu qui va l’écraser. Contrairement à Houdini, il travaille toujours en compagnie d’une quinzaine de jeunes danseuses en jupette, sur lesquelles il peut compter en cas de coup dur. Ainsi, s’il veut vite atteindre le dernier étage d’une maison par l’extérieur, les demoiselles érigent en un rien de temps une sorte d’échelle faite de leurs corps que l’acrobate gravit à toute vitesse. Aidant la police à mettre la main sur un gang de voleurs de bijoux dirigé par l’Anglaise Vivian Gibson, Albertini passe allègrement et toujours au moment propice de pic rocheux en cime d’arbre, de mât en toit, de balcon sur un bus passant, de grue sur un bateau dans des séquences tournées aussi bien dans le Westhafen de Berlin que dans les « Alpes Saxonnes » (Sächsische Schweiz), souvent utilisées pour leurs précipices vertigineux. Mister Radio (Nunzio Malasomma, 1924) profite de l’engouement mondial pour la nouvelle invention qu’est la radiodiffusion. Albertini y campe un ingénieur qui arrive, par ondes radio, à faire s’arrêter net deux locomotives qui sont sur le point de se percuter, dispositif éminemment utile pour les compagnies ferroviaires. Cet inventeur vit reclus dans la montagne (encore la Sächsische Schweiz), car sa mère veut éviter qu’il apprenne la vérité sur la mort de son père. Nous savons donc qu’il l’apprendra, mais jusqu’à cet ultime moment, Albertini sautille de rocher en rocher, sauve sa dulcinée d’une mort certaine au bord du précipice, en se suspendant par les pieds, car il a les mains liées dans le dos. De même, ligoté à un arbre, il arrive à le déraciner et à l’utiliser comme outil, le portant sur son dos. Bref, les as de Fast and Furious peuvent aller se recoucher.

Rire Russe 2
Une comédie désopilante est à signaler dans ce programme, hélas composé avant tout de copies fragmentaires. Dva Druga, Model i Podruga / Deux amis, un modèle et une copine (Aleksei Popov, 1928) est une fable populaire sur deux ouvriers géniaux, un grand efflanqué et un petit trapu (combinaison rendue populaire par le duo comique danois Pat et Patachon) qui inventent une machine pour fabriquer des caisses à savon : on met les planches et les clous à l’entrée du dispositif, actionne une manivelle et une caisse complète sort à l’autre bout dans un temps record. Ils veulent en effet que leur usine ne dépende plus d’un fournisseur de caisses capitaliste qui ne livre qu’à son bon vouloir et trop cher. Ils convoient leur prototype à travers monts et vaux vers l’administration centrale qui est censée homologuer l’invention, poursuivis tout le temps par le fabricant jaloux qui engage des voyous pour détruire le précieux modèle.

Les deux inventeurs de « Dva Druga, Model i Podruga »

Une solide gaillarde, à laquelle l’échalas conte fleurette, les aide à déjouer les pièges de ces derniers. Un road movie à suspense donc, qui emprunte dans sa deuxième moitié une pérégrination fluviale qui a fait comparer le film à un précurseur de L’Atalante (Jean Vigo, 1934), tant le bucolique l’emporte alors sur le sérieux. Un vrai climat de vacances prévaut auprès des passagers qui ne rechignent pas à se jeter à l’eau pour faire avancer le bateau lorsqu’il se trouve bloqué par un banc de sable.

Redécouvertes
En 1913, le romancier Bernhard Kellermann publia Der Tunnel , où il décrit la construction, par un consortium privé sous la houlette d’un ingénieur visionnaire, d’un tunnel ferroviaire sous l’Atlantique reliant la France au New Jersey. L’auteur n’avait sans doute pas la moindre notion de réalisme, car son ouvrage pharaonique est réalisé en un temps record de 26 ans. Considérant que la distance parcourue est de quelque 5000 km et que le tunnel sous la Manche est cent fois plus court et que sa construction a duré 7 ans, il faudrait compter avec 7 siècles au minimum pour réaliser un tunnel transatlantique, surtout quand il n’est pas creusé par des tunneliers modernes, mais par des ouvriers avec pelles et pioches. Ni les lecteurs ni le public du film réalisé en 1915 par l’Allemand William Wauer, ne s’offusquaient de l’idiotie fondamentale du récit, obnubilés qu’ils étaient par des scènes d’explosions souterraines, de panique, de révolte ouvrière concomitante, d’actionnaires ruinés qui se muent en criminels tueurs (ils lapident la femme et l’enfant de l’ingénieur !). Cent ans plus tard, le film est toujours aussi stupide.

« Der Tunnel » de William Wauer

Ramona (1928) d’Edwin Carewe, cinéaste à moitié Chickasaw et découvreur de l’actrice mexicaine Dolores del Rio, est la deuxième adaptation et la moins fidèle du roman à succès de Helen Hunt Jackson (1884) sur les amours d’une orpheline métisse et d’un Indien dans les premières années de l’État de Californie. Les gros plans amoureux de Dolores del Rio et les pectoraux souvent dénudés de Warren Baxter se lovent dans une Californie plus belle que vraie, puisqu’elle a été filmée dans le parc national de Zion (Utah). La scène emblématique de tant de westerns a été retournée comme un gant : ce sont des Blancs qui attaquent un village d’Indiens chrétiens en le mettant à feu et à sang pour voler terre et bétail.

Dolores del Rio dans « Ramona »

Le point culminant du festival fut la projection des 397 minutes (il n’y en a pas une de trop) de Les Misérables (1926) d’Henri Fescourt, restauré dans les teintes de l’époque. Constamment au bord des larmes, je crois que je n’ai jamais vu adaptation plus parfaite de mon roman favori. Gabriel Gabrio est le plus sobre des Jean Valjean, la petite Andrée Rolane la plus délicieuse des Cosette et Nivette Saillard la plus déchirante de toutes les Eponine.

Bonne Année (et sus aux théofascistes !)

Raymond Scholer