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le cinéma au jour le jour
Cine Die - février 2008

Suite de la chronique sur “Le Giornate del Cinema Mute“, 26e édition.

Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 27 février 2012

par Raymond SCHOLER

René Clair et Ladislas Starewitch
La rétrospective des films muets de René Clair montra que les titres les plus connus (Un Chapeau de Paille d’Italie (1927), Les Deux Timides (1928)) méritent pleinement leur réputation de comédies alertes et formellement parfaites. En revanche, Le Voyage Imaginaire (1925), où un commis de banque timide, en butte aux sarcasmes de ses collègues, s’endort à son pupitre et se retrouve transporté dans une grotte peuplée de fées vieillissantes dont il restaure la beauté par un baiser, s’avère très décevant. L’accumulation d’éléments oniriques arbitraires – le héros transformé en bouledogue sur les cimes de Notre-Dame, pourchassé jusqu’au Musée Grévin dont les personnages de cire se réveillent à une vie menaçante – donne l’impression d’un fourre-tout inspiré par les films alors à l’affiche (p.ex. Das Wachsfigurenkabinett de Paul Leni). Ce récit sans enjeu dramatique est condamné à s’effilocher. Sans atteindre au chef-d’œuvre, Le Fantôme du Moulin Rouge (1925) – où un disciple de Mesmer peut ordonner à une âme de quitter ou de réintégrer un corps à condition que l’enveloppe charnelle soit à proximité (bien sûr, un corps sans âme risque de se retrouver vite à la morgue ou au cimetière...) – et Paris qui dort (1923) – où un savant fou invente un rayon qui peut figer la vie, transformant Paris en une espèce de Pompéi où quelques héros indemnes évoluent parmi les habitants paralysés – sont bien plus intéressants.

« Le Fantôme du Moulin Rouge » de René Clair

Dans le cas de l’œuvre du grand marionnettiste d’origine polonaise, Ladislas Starewitch, dont les stars sont des animaux anthropomorphes (insectes, grenouilles, oiseaux, etc), sculptés en bois, on ne peut qu’admirer le savoir-faire prodigieux de l’animateur qui s’occupe dans un même plan de tout un orchestre de libellules, chacune avec un instrument différent, pendant que d’autres, portant des tabliers, servent le champagne aux convives d’un mariage (Scènes Amusantes de la Vie des Insectes, 1912). La Vengeance du Ciné-Opérateur (1911) est en fait celle du mari-coléoptère qui filme secrètement les ébats adultérins de sa femme-libellule avec son amant-sauterelle avant de les projeter devant un aréopage – le public d’une salle de cinéma - dont l’infidèle fait partie. Le cinéaste revendique ici clairement le rôle cathartique du cinéma alors que celui-ci n’en est qu’à ses débuts.

« La petite Chanteuse des Rues » de Ladislas Starewitch

Quand il mêle animation et acteurs vivants (p.ex. sa petite fille Nina avec un ouistiti fabrication maison, dans La petite Chanteuse des Rues, 1924), la gageure devient plus grande et notre attention s’aiguise. Pour les besoins de la cause, la petite Nina est transformée dans certains plans en poupée de taille idoine pour pouvoir interagir avec le bestiaire (La Reine des Papillons, 1927). Starewitch colle alors de minuscules photographies du visage de Nina sur la tête de la poupée pour profiter de l’expressivité de sa fille.

L’Autre Weimar
Le cinéma muet allemand, depuis Das Cabinet des Dr. Caligari (1919) jusqu’à l’arrivée du sonore, est probablement une des périodes les plus célébrées de l’histoire du cinéma. C’est aussi paradoxalement une des plus mal décrites. A l’origine de cette méconnaissance, deux livres très influents qui dictaient ce qu’il fallait retenir de cette époque : From Caligari to Hitler (1947) de Siegfried Kracauer et L’Ecran démoniaque (1952) de Lotte H. Eisner. Selon ces auteurs, une vingtaine de réalisateurs et un répertoire de quelque 50 films constitueraient le corpus de Weimar. Tout d’abord, le brouet expressionniste avec ses histoires de fantômes, d’ombres et d’horreurs, puis quelques récits nostalgiques autour du roi Frédéric II le Grand, quelques expériences d’avant-garde comme les jeux de silhouettes de Lotte Reiniger, puis Leni Riefenstahl et les films de montagne, et pour finir, un soupçon de Neue Sachlichkeit et de drames ouvriers. Voilà les films qui glanaient l’attention critique et qui s’exportaient. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, il était logique pour les lecteurs de Kracauer d’admettre que l’histoire du cinéma allemand avant les nazis fût celle d’un cinéma de peur et de folie, de prémonitions et de cauchemars. Cette vision myope était partagée par les archivistes : un historien comme Enno Patalas se concentre depuis des décennies sur les deux ou trois plans qui manqueraient encore à sa restauration de plus en plus définitive de Metropolis (Fritz Lang, 1927) plutôt que d’étendre son champ d’investigations hors du canon admis.

« Das Cabinet des Dr. Caligari » de Robert Wiene

Or, il se trouve qu’entre 1918 et 1929, plus de 3000 films allemands sortirent sur les écrans, oeuvres souvent de metteurs en scène de talent qu’il serait temps de redécouvrir et de réévaluer. C’est à cette tâche immense que s’attelle le programme de films présenté aux Giornate. Dans un premier temps, il s’agit de ratisser large : les 15 films sont de 15 réalisateurs différents , ce qui ne permet bien sûr pas d’émettre un jugement définitif sur chacun, mais autorise du moins une ébauche d’appréciation. La majorité des cinéastes et acteurs figurant dans le programme étaient juifs , donc forcés à l’exil à l’approche du nazisme. Dans bien des cas, ils étaient incapables de poursuivre une carrière à l’étranger : leurs noms et leurs films tombèrent simplement dans l’oubli. D’autres se compromirent par la suite dans des films de propagande hitlérienne, de sorte que toute leur carrière antérieure fut frappée du sceau de l’ignominie par les historiens. D’autres encore réalisaient sans complexe des films commerciaux à grand public et se mirent ainsi d’office hors du champ de la critique pressée ou prétentieuse. Le programme Weimar, malgré quelques films d’une médiocrité évidente, fut passionnant au plus haut point. Commençons par le bas de l’échelle.

Le “nudie” sportif
Même si Wege zu Kraft und Schönheit de Wilhelm Prager (1925) - documentaire (“Kulturfilm”) qui exalte les sports comme une “régénération de la race humaine”, par ailleurs produit sous les auspices financiers du gouvernement - est d’un ennui lancinant par l’accumulation non seulement de démonstrations des disciplines olympiques, mais aussi des diverses écoles de danse et de gymnastique rythmique ou hygiénique en vigueur, le film rapporta un joli magot à l’UFA, probalement grâce au parti pris “historisant” (thermes romains et gymnase grec de l’époque de Périclès recréés pour bien insister sur le “mens sana in corpore sano”) permettant l’étalage de nudités jeunes et musclées, toujours montrées en groupes assez vastes pour que la beauté offerte ne touche ni sensuellement ni esthétiquement.

« Wege zu Kraft und Schönheit » de Wilhelm Prager

Si on y regarde de près, on constate d’ailleurs que les éphèbes grecs sont affublés de caleçons bien modernes. Seuls des bébés jouant avec leurs poupées ont droit à la nudité intégrale (sans doute pour signifier “l’innocence fondamentale” du corps) ainsi qu’un groupe de toutes petites filles qui dansent en cercle. C’est bien sûr cette dernière séquence qui serait coupée de nos jours. Le film fut d’ailleurs “adapté” aux convenances locales dans les différents pays où il fut exploité. Prager fabriqua, de 1920 à 1945, quelque 150 films pour la UFA-Kulturabteilung : adaptations de contes de fées, descriptions de coutumes et de contrées, mais surtout films sur l’élevage de chevaux, son dada. En 1939, la Gestapo le déclara “demi-juif”, mais il put rester membre de la Reichsfilmkammer et continuer à faire des Kulturfilme comme Heuzug im Allgäu (1941).

Le cours continuera le mois prochain.

Raymond Scholer