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Cine Die - été 2009

11e Far East Film Festival, Udine : Compte-rendu.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

Chine
Depuis les JO de l’année passée, la Chine s’est fabriqué une aura de luxe et de perfection technique (cf. la mise en scène fastueuse de l’Ouverture des Jeux par Yimou Zhang) qui se retrouvent maintenant dans ses grandes productions cinématographiques. All About Women de Hark Tsui (2008) se déroule dans un Pékin méconnaissable de gratte-ciel rutilants, remplis d’ordinateurs, du dernier cri en matière de meubles design et d’équipements sanitaires, et peuplés de yuppies bien fringués qui font verdir de jalousie les habitués de Wall Street et de la 5e Avenue. Pas le moindre signe de pauvreté ou de négligence à l’horizon. On est dans une comédie qui se veut « screwball » ou déjantée. Trois femmes d’horizons divers, mais ultraprofessionnelles, cherchent leur homme idéal. La rockeuse Lunmei Kwai se croit tout le temps en compagnie d’un homme incroyablement beau : hélas, il n’est qu’imaginaire. Frustrée, elle compense en pratiquant la boxe. La sublime Kitty Zhang incarne une directrice d’un fonds d’investissement qui fait se pâmer les mâles où qu’elle passe, et un mec pâmé n’est pas très utile. La biologiste Xun Zhou souffre de « sclérose sélective » : quand elle est touchée par un homme, elle devient rigide comme une planche. Elle met alors au point un patch qui diffuse des phéromones indispensables pour attirer la gent masculine et le met en circulation de façon assez désordonnée, ce qui crée l’essentiel des situations comiques du film. Mais comme Tsui ne peut renoncer à sa prédilection pour les trucages, faisant même interagir ses protagonistes avec des éléments purement graphiques, le scénario, inconsistant, se perd vite dans une espèce d’hystérie vide où seules surnagent la beauté des actrices et la palette des couleurs.

Xun Zhou et Kitty Zhang dans « All About Women » de Hark Tsui

En revanche, If You Are the One (2008) de Xiaogang Feng est une réussite exemplaire, passant de la satire sociale à la comédie romantique, pour terminer sur une histoire d’amour belle et tragique. Le public chinois ne s’y est pas trompé, qui a fait un véritable triomphe au film. Encore une fois, on y voit une Chine proprette avec des restaurants de luxe dans des lieux touristiques aisément reconnaissables où se rencontrent le plus grand acteur du pays, You Ge, et la plus envoûtante des divas de Hong Kong, Qi Shu. Le quadragénaire était en train de passer en revue les candidates proposées par une agence matrimoniale quand cette exquise jeune femme s’est présentée à lui. Estimant ses chances de succès inexistantes, il s’ouvre à elle avec une si grande sincérité qu’elle en fait de même. Elle a une affaire tortueuse avec un homme marié et a besoin de se confier. Ils se revoient. Leurs joutes d’esprit les amènent de fil en aiguille en Hokkaido (le Chinois moderne et aisé voyage !) où la beauté sereine du paysage contribue à transformer leurs relations en quelque chose de plus sérieux et de plus désespéré. Que la fin ressemble à celle du sketch Le Modèle dans Le Plaisir (1951) de Max Ophüls n’est pas le moindre des attraits du film. Son universalité rend même scandaleuse l’absence totale de Feng dans la distribution européenne.
Alors que Kaige Chen semble s’enfoncer dans un académisme grandissant (à en juger d’après Forever Enthralled, vu à la dernière Berlinale) et que Zhangke Jia se complaît dans l’ornière du réalisme anti-dramatique, il serait judicieux de révéler les talents de Feng à nos cinéphiles.
La Chine crasseuse et surpeuplée n’a cependant pas disparu des écrans : les tragicomédies de Baoping Cao sont là pour en témoigner. Trouble Makers (2006) décrit la révolte de tout un village du Yunnan sous l’instigation du secrétaire local du Parti contre une fratrie de quatre qui dirige toutes les affaires de la commune, tant politiques que commerciales, avec un maximum de corruption, de trafics et d’impunité. Dans The Equation of Love and Death (2008), on retrouve Xun Zhou (voir ci-dessus) en chauffeur de taxi à Kunming qui se fait kidnapper par deux pauvres hères qui convoient de la drogue dans leurs boyaux, ont loupé leur contact et ont urgement besoin d’être acheminés à leur destination. Ce n’est toutefois qu’une des péripéties de ce film qui, tout en s’attachant aux laissés-pour-compte de la modernisation, montre que la Chine est devenue un pays industriel comme les autres.

Hong Kong
Grande pourvoyeuse de polars nerveux et originaux depuis quatre lustres, Hong Kong n’a pas perdu la main. Connected (2008) de Benny Chan est un remake de Cellular (2004) de David R. Ellis, où Kim Basinger kidnappée réussissait à entrer en contact avec un jeune homme à l’aide des fils d’un téléphone fracassé, le nœud du problème étant que le contact fortuit ainsi établi ne devait jamais s’interrompre tant que le jeune homme n’avait pas localisé la prisonnière. Pour commencer, Chan introduit une saine dose d’humour, entièrement absente de l’original, puis il profite de la congestion proverbiale du trafic de l’île pour augmenter les dangers que doit affronter le jeune homme qui, au moment de l’appel, est en train de se rendre en voiture à l’aéroport pour y accueillir son fils. Et pour finir, il l’oblige encore à jongler avec la police de Hong Kong, notoirement truffée de ripoux. Bref, les deux heures du film passèrent comme vingt minutes. D’ores et déjà, l’action thriller de l’année !

Maggie Siu et Simon Yam dans « Tactical Unit Comrades in Arms »

Dans un registre plus traditionnel, mais non moins intéressant, Tactical Unit : Comrades in Arms (2009) de Wingcheong Law reprend le thème de l’unité de police dysfonctionnelle qui se soude au moment crucial d’affrontement avec les criminels. Contrairement à la matrice originelle de la série des Tactical Unit (PTU (2003) de Johnnie To), l’action se déroule non pas en milieu urbain, mais dans les collines boisées du hinterland bordant la frontière chinoise, où il n’y a pas de réseau pour les portables et où on se perd rapidement sans compas. Les hésitations et fourvoiements constituent donc le menu même de ce polar pas comme les autres.
Les comédies érotiques dans le genre Sex and Zen semblent vivre un timide come-back : The Forbidden Legend : Sex and Chopsticks (2008) prétend être une adaptation du classique Jin Ping Mei, mais les moyens sont un peu rudimentaires et l’inventivité dans la gaudriole inexistante, même si les pompes, les mains dans le dos, par la seule force du membre viril, font brièvement illusion. La raideur des protagonistes mâles s’applique aussi et surtout à leur jeu et les petites Japonaises doivent toujours tenir lieu de Chinoises, ces dernières étant trop réticentes à se dévêtir. Après les déboires professionnels subis par l’actrice Wei Tang de Lust, Caution (Ang Lee, 2007), on peut les comprendre, car Hong Kong fait bel et bien partie de la Chine maintenant. Le film est, soyons charitable, un coup de bite dans l’eau.
Ip Man (2008) de Wilson Yip se modèle sur Fearless (2006, Ronny Yu) pour raconter la carrière d’un autre grand maître d’arts martiaux, Man Yip, qui, après avoir survécu tant bien que mal à l’occupation nippone, devait plus tard enseigner sa science à Bruce Lee. Quoiqu’ultraclassique dans son concept, un tel film peut prétendre au même respect qu’une comédie musicale, la perfection de Donnie Yen en wing chun ne cédant en rien à la virtuosité d’Astaire en claquettes. C’est l’humilité de Wilson Yip qu’il faut louer, qui s’est mis entièrement au service des scènes de combat réglées comme du papier à musique par le vétéran Sammo Hung. Une bouffée d’air frais.

Kang-Ho Song dans « The Good, The Bad, The Weird »

Corée du Sud
On attendait avec impatience The Good, the Bad, the Weird (2008) de Jee-Woon Kim, exercice de surenchère d’action comme de finances (c’est le film coréen le plus cher jamais réalisé), vanté comme la réponse asiatique aux westerns de Sergio Leone. Le scénario tient sur un timbre-poste : trois aventuriers courent séparément après un trésor enfoui quelque part dans la Mandchourie des années 30 sous occupation japonaise. A part les personnalités très différentes des trois protagonistes principaux, le reste des personnages n’a de présence que schématique et les batailles rangées se suivent dans un relatif désordre dramatique jusqu’à la chevauchée finale (une moto poursuivie par une myriade de cavaliers et de voitures) d’une quinzaine de minutes sur une plaine désertique que l’histoire du cinéma retiendra sans doute comme un morceau d’anthologie. Eminement coréen dans son recours viscéral et sans répit à l’action physique, le film aurait probablement gagné à être dilué par quelques scènes de bavardage tarantinien, rien que pour aménager des petites pauses au spectateur.
My Dear Enemy (2008) de Yoon-Ki Lee est un road movie intra-urbain échafaudé sur des prémisses confondantes de simplicité : une jeune femme, sans doute acculée financièrement, essaie de récupérer l’argent que lui doit un de ses ex, joueur invétéré et sans profession. Promettant de la rembourser d’ici la fin de la journée, le débiteur insolvable, mais dégourdi, entraîne sa créancière dans un tour de ville, où il finit par glaner auprès d’un nombre impressionnant de connaissances la somme qu’il doit. Au fil des visites effectuées, cet artiste de la vie se révèle un être particulièrement attentif aux autres et très apprécié, de sorte que les intentions de la jeune femme à son égard semblent avoir évolué à la fin du film, à en juger par son regard. C’est le fort de Lee justement que de laisser les visages des acteurs faire la moitié du travail, les non-dits résultant de l’agacement de l’une et de la culpabilité de l’autre créant une tension suffisamment forte pour faire de cette journée une excursion fascinante pour le spectateur.

Le roi, la reine, l’amant dans « A Frozen Flower » de Ha Yu

Le plus beau (car le plus sensuel) film coréen (et peut-être du festival) fut cependant A Frozen Flower (2008) de Ha Yu, déjà remarqué à Udine pour son film précédent, A Dirty Carnival (2006). Vers la fin de l’ère Koryo (935-1392), un roi file le parfait amour grec avec le chef de sa garde personnelle. Comme il a le corps féminin en horreur, la reine se morfond et le pays s’impatiente, car l’héritier du trône se fait attendre. Le roi propose alors à la reine de laisser le chef de la garde la féconder. Le jeune homme non seulement y réussit, mais y prend goût. De jalousie compulsive en trahison, de sexe torride en castration, de duels furieux en massacres, Yu sert un menu de haute gastronomie cinématographique où passe toute la gamme des émotions et sensations fortes dans une liberté stylistique à l’opposé des belles manières.

Bon été

Raymond Scholer