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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - décembre 2013

32e Giornate del Cinema Muto (suite)

Article mis en ligne le 1er décembre 2013

par Raymond SCHOLER

Lèvres scellées : les années oubliées du cinéma suédois, 1925-1929
Les années 1917 à 1924 (grosso modo depuis Terje Vigen de Victor Sjöström à Gösta Berlings Saga de Mauritz Stiller) sont considérées comme l’âge d’or du cinéma suédois. Après ce dernier film, le départ des plus grands noms (Stiller, Sjöström, Greta Garbo, Lars Hanson) vers de nouveaux pâturages en Europe ou en Amérique fit accroire que les jours de gloire étaient terminés : du coup, le muet tardif suédois est quelque peu tombé dans l’oubli. Un oubli bien peu justifié. A commencer par les films de Gustaf Molander, scénariste de Stiller et Sjöström, dont la carrière de réalisateur recouvre toute l’histoire du cinéma suédois et dont Pordenone montre trois mélodrames et une comédie qui se caractérisent par une tendance vers l’internationalisme (coproductions, acteurs étrangers). Comme le terreau national s’était appauvri à la suite de l’émigration, autant utiliser de nouvelles ressources pour élargir les chances de succès.

« Polis Paulus’ påskasmäll »

Les comiques danois Carl Schenstrøm et Harald Madsen, plus célèbres sous leurs pseudos Pat et Patachon, s’intègrent ainsi sans problème à l’action romantico-criminelle de Polis Paulus’ Påskasmäll / La Farce Pascale du Policier Paulus (1925). Molander tire un excellent parti de leurs physiques respectifs : le grand échalas Schenstrøm (en filou) utilise à merveille sa flexibilité serpentine pour s’introduire par les fenêtres, pieds en avant, tandis que le trapu et callipyge Madsen (en chef de police), rigide comme la justice de Berne, exsude en permanence une autorité peinée. Le couple, assisté d’un chien policier plus intelligent que la moyenne, aidera le beau maître de ski à mettre fin aux agissements du vilain trafiquant qui courtise impudemment sa fiancée.

Lil Dagover sauvée dans « Hans Engelska Fru »

Hans Engelska Fru / Le plus Beau Mariage (1926) est coproduit avec l’Allemagne et se déroule en partie dans la jet-society londonienne. L’Allemande voluptueuse Lil Dagover y incarne une veuve anglaise dont le frère a dilapidé la fortune familiale. Un millionnaire à marier serait bienvenu. Ivor n’est pas mal du tout, riche, mais volage. En revanche, le créancier suédois, propriétaire terrien et commerçant de bois, vit à la campagne, donc loin de toute tentation. A harponner donc. La famille entreprend le voyage, maman, Lil, son frère et sa sœur. Lil est sauvée de la noyade dans un de ces turbulents fleuves nordiques par un beau mâle dont ces dames tombent illico amoureuses. Devinez qui c’est ! Et en plus, il est aussi tombé amoureux. Ils se marient donc vite fait, bien fait. Les mois passent : Lil s’ennuie dans les forêts suédoises. Le mari l’envoie en vacances à Londres où elle retombe vite dans les rets d’Ivor et se délecte d’une vie de fêtes et paillettes. La suite est un véritable hymne à la largeur d’esprit du mâle suédois.

Förseglade Läppar / Lèvres closes (1927) est une coproduction franco-germano-suédoise, dont l’action se situe sur le lac de Côme et en Grande-Bretagne avec, dans le rôle principal, l’Autrichien Louis Lerch. Lerch incarne un jeune peintre britannique qui fait, dans un train transalpin, la connaissance d’une orpheline qui vient de quitter le couvent où elle a été élevée. Elle va rejoindre sa tante. Mais celle-ci est mariée à un obsédé sexuel et la petite se réfugie à temps dans les bras de l’Anglais. Le peintre en fera son chaste modèle et lui jurera amour et fidélité, mais lorsque la pauvrette apprend qu’il a une femme (fût-elle hémiplégique) en Angleterre, elle retourne au couvent. Le temps passe. La femme se rend compte que son mari n’a qu’un seul motif de peinture, la jeune Italienne de son souvenir. Venant de lire La Première Neige de Maupassant dont l’héroïne meurt d’une vilaine pneumonie après avoir marché pieds nus dans la neige, l’épouse congédie sa soignante et s’expose au froid glacial d’une nuit d’hiver. Le peintre, enfin veuf, va-t-il arriver à temps pour empêcher sa belle de prendre le voile ?

Elissa Landi et Lars Hanson dans « Synd »

Synd / Le Péché (1928) adapte la pièce homonyme d’August Strindberg sur un adultère qui finit encore par un pardon. L’action se déroule à Paris : Lars Hanson (de retour de Hollywood) joue un auteur dramatique qui veut percer, l’Autrichienne Elissa Landi (selon certaines sources la petite-fille de l’impératrice Sissi) incarne sa jeune épouse, la Française Gina Manès, l’actrice et goulue croqueuse d’hommes. On retrouve l’incomparable Stina Berg (rombière amoureuse du maître de ski, gouvernante du millionnaire forestier, nonne émérite) ici comme tenancière de bistrot, consolatrice de l’affligée et voix de la conscience du mari.

Anny Ondra
La restauration des premiers films de Hitchcock a sans doute fait renaître l’intérêt pour cette actrice polyglotte (elle fut la star de The Manxman (1929) et de Blackmail (1929)) qui comptera dans sa carrière des films tchèques, allemands, autrichiens, anglais et français. Considérée comme la première des blondes au sex-appeal secret dont Hitch était friand, Ondra fut à ses débuts une ingénue poupine à la bouche en cœur, aux cils longs et à la longue chevelure frisée souvent en bataille. La cinémathèque de Prague présente 8 films avec celle qui s’appelait alors Ondrakova, dont 5 réalisés par celui qui allait devenir son premier mari, Karel Lamac. Les historiens tchèques estiment que l’espièglerie et le sens de l’humour d’Ondra en font l’égale d’Ossi Oswalda, l’égérie de Lubitsch. Voire !

Anny Ondra

Ondra commence sa carrière dans Dama s Malou Nozkou / La Dame au Petit Pied (Premysl Prazsky, Jan S. Kolar, 1920). Cette comédie surréaliste loufoque tourne autour d’un détective juvénile (le futur cinéaste Gustav Machaty) affublé d’un acolyte de petite taille. De l’argent est volé à ce dernier, alors qu’il admire une dame qui fait du lèche-vitrine. Dans la neige, devant la vitrine, les détectives relèvent l’empreinte de la chaussure de la dame. Illico, le duo se met à la recherche de celle-ci, le petit officiant comme cireur de chaussures, le grand donnant des leçons de patinage sur glace. Ondra ne fait qu’une apparition (pour se faire cirer les pompes). L’année suivante, dans Prichozi z Temnot / Celui qui vient des Ténèbres (Jan S. Kolar, 1921), elle est déjà courtisée par trois mâles : son châtelain de mari, un quidam mystérieux et menaçant qui affirme être l’ancien propriétaire des lieux et un homme momifié, ravivé grâce à un rite d’alchimiste. Ce dernier (Lamac) se révèle être l’ancêtre du mari et reconnaît chez Anny les traits de sa bien-aimée emportée par la peste au XVIe siècle. Otravene Svetlo / La lumière empoisonnée (Jan S. Kolar, Karel Lamac, 1921) est un récit policier qui utilise les mêmes ficelles narratives (assassinat par un gaz mortel caché dans des ampoules qui se cassent après un certain temps d’incandescence, séquestration, utilisation d’un double, etc) que Feuillade dix ans plus tôt : Ondra et Lamac sont sur la trace du criminel.

Anny Ondra dans « Chyt’te Ho ! »

Dans Drvostep / La Cure Miraculeuse du Dr.Jenkins (Karel Lamac, 1923), Anny devient presque une action star, puisqu’elle dénonce à la police les faux-monnayeurs qui ont enlevé son amoureux, Lamac, un riche banquier venu faire le bûcheron à la campagne pour déstresser. Chyt’te Ho ! / Attrapez-le ! (Karel Lamac, 1925) retrouve le ton et le rythme des comédies de Mack Sennett pour un récit endiablé où un Karel Lamac masqué (à cause d’un pari avec des copains) est pris par le chef d’un gang pour un des membres de celui-ci et doit exécuter des braquages à son corps défendant. Il est démasqué par la fille de sa première victime, Anny Ondra, qui révèle pour la première fois de réels talents d’actrice et une personnalité de petite diablesse. Lucerna / La Lanterne (Karel Lamac, 1925) est un conte magique se déroulant au XVIIIe siècle, où des divinités sylvestres et aquatiques aident un meunier et sa pupille (Ondra) à contrecarrer les vilains plans d’un aristocrate. La collaboration Lamac-Ondra allait durer, dans plusieurs pays, jusqu’à Polska Krev (1939), quand bien même Anny épousa en secondes noces le boxeur Max Schmeling en 1933. Lamac préféra continuer sa carrière en Angleterre au début du conflit mondial.

« Drvostep »

Ukraine
Deux chefs-d’œuvre du VUFKU ont été restaurés.
Dva Dni / Deux Jours (Heorhii Stabovyi, 1927) relate l’âpre vengeance de l’humble intendant d’une riche famille qui s’est sauvée in extremis à l’approche des Rouges en lui laissant les clefs du domaine. Dans la hâte, un petit chiot est écrasé par une malle : on sait que le film sera dur. Les Rouges s’installent, invités par le fils de l’intendant, commissaire politique. Ils ne se doutent pas que le jeune fils des riches se trouve toujours dans la maison, caché dans la chambre du vieux monsieur. Quand les Blancs reviennent s’installer dans la maison, cet ado ingrat dénonce le commissaire qui ne s’est pas sauvé à temps et est pendu sans procès. Dans la nuit, le vieil homme verrouille toutes les issues du palais et y met le feu. Au petit matin, on le trouve mort au bord d’un chemin, à coté d’un fusil. Exemplaire.

Dans Shkurnyk / L’opportuniste (Mykola Shpykovsky, 1929), un petit-bourgeois du joli nom d’Apollon essaie de survivre tant bien que mal dans le flux/reflux incessant entre Blancs et Bolcheviks. D’abord il se trouve accidentellement embrigadé chez les Rouges comme chamelier. Arrêté comme espion par les Blancs, il ne doit la vie sauve qu’à l’apparition d’un oncle gradé. Les Rouges reviennent, trouvent Apollon sur son chameau, caché derrière une ruine, et l’amènent devant le commissaire, une femme à poigne. L’armée est en train de confisquer les spiritueux faits maison. Apollon aide un fonctionnaire à tester en bouche la provenance biologique des divers alcools. Il se fait des amis dans chaque camp, s’adapte à chaque situation. Lorsque les Rouges consolident enfin leur maîtrise du terrain, Apollon finit chef de la section agit-prop. Caricature incontournable, bien sûr interdite séance tenante par le régime.

Joyeux Noël

Raymond Scholer