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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - décembre 2009

Compte-rendu du 5e Festival du Film Zurich, ainsi que de Lumière 2009, le Grand Lyon Film Festival.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 29 janvier 2012

par Raymond SCHOLER

L’« Affaire » Polanski
Voilà un festival de cinéma qui vise, depuis sa création en 2005, à s’offrir comme une alternative alléchante à Locarno en revendiquant une ouverture plus grande aux films populaires, mais il est fort à parier que peu d’échos en auraient atteint les rives du Léman cette année, si le troisième jour, l’invité le plus prestigieux ne s’était fait arrêter à son arrivée à Kloten. La justice californienne, sans doute piquée au vif par les tentatives des avocats de Polanski, à la suite de la sortie du documentaire de Marina Zenovich (Roman Polanski : Wanted and Desired, 2008), de faire clore la procédure à son encontre, a voulu montrer que c’est elle qui décide et qu’elle a le bras long à l’heure actuelle, avec notre système immunitaire politique atteint par le sida bancaire. Dans un premier temps, nous eûmes honte de notre gouvernement et vouâmes la ministre frisée aux gémonies. Mais le plus dur restait à avaler : dès le lendemain, arborant en bonne conscience notre badge FREE POLANSKI, nous nous fîmes houspiller par des passants et accuser de sympathie pour les pédophiles ! Les jours suivants, la blogosphère se répandit en invectives anti-Polanski d’une haine et d’une étendue telles qu’il faut bien parler d’hystérie collective. Dans le pays où fut exécutée, en 1782, la dernière sorcière d’Europe, ce n’est en fin de compte pas surprenant. Malgré la recommandation de Jacques Chessex de bien distinguer l’affaire et les faits, peu de citoyens en font l’effort. La seule explication de cette levée pathologique de boucliers moraux, trente-deux ans après un crime qui n’a pas laissé de dommages persistants chez la victime, est qu’on est dans le domaine des fantasmes sexuels. Les bien-pensants suisses se complaisent dans une ornière freudienne et finissent par résonner comme ces bassidjis dans le dernier documentaire de Mehran Tamadon, qui voient dans le voile islamique le seul rempart contre le rut universel.

Compétition Internationale
Avec cinq fois moins de longs métrages que Locarno, Zurich fait figure de festival light, de petite sœur. Qu’on ne se méprenne cependant pas sur la qualité de la compétition qui n’a rien à envier à celle de Locarno. Le comité de sélection privilégie d’ailleurs aussi les premiers films, montrant ainsi qu’il se pose en découvreur de talents. Mes préférés :

« Sin Nombre » de Cary Jôji Fukunaga

Sin Nombre (Cary Jôji Fukunaga, 2009) est une coproduction américano-mexicaine sur le mal qui décime la jeunesse mésoaméricaine, les maras. Ces bandes de criminels tatoués fournissent à leurs membres l’illusion d’une famille élargie, capable de les protéger en toutes circonstances. Revers de la médaille : obéissance aveugle au chef et réduction concomitante de l’espérance de vie. Nous suivons deux personnages, Casper, un marero romantique du Chiapas dont la petite amie vient d’être tuée par le chef de la bande et Sayra, une Hondurienne qui essaie de rejoindre les Etats-Unis, juchée comme des centaines d’autres sur les trains de marchandises qui remontent vers le Rio Grande. Lorsque la mara se met à rançonner et violer les migrants, Casper sauve Sayra en tuant son chef. Dès lors, il devient l’homme à abattre. Mais aussi le protecteur de la jeune fille. Cette chronique fataliste d’une mort annoncée et d’une vie rédimée constitue le premier long métrage d’un cinéaste métis (mère suédoise) qui sait manifestement de quoi il parle. Il serait profitable de pouvoir confronter cette œuvre de fiction au documentaire La Vida Loca (2008), tourné par Christian Poveda au Salvador au sein de la Mara « 18 » et qui a dû taper dans le mille, puisque Poveda fut assassiné par balles début septembre 2009. Avis aux distributeurs et exploitants helvétiques.
Dans Applaus (2009) du Danois Martin Zandvliet, la formidable Paprika Steen livre un portrait d’actrice alcoolique d’une épaisseur peu commune. Fraîchement sortie d’une cure de désintoxication, Thea est confrontée à la solitude et aux ressassements du passé, qu’accentuent encore les représentations quotidiennes de Qui a peur de Virginia Woolf ? où elle incarne Martha. Elle essaie de renouer les liens avec ses deux fils en âge scolaire, élevés par le père et sa nouvelle compagne. C’est ardu et, à maintes reprises, elle semble sur le point de replonger. De cette matière a priori ingrate, Zandlievt a fait son premier film et misé à fond sur le visage de sa star, cadré souvent en gros plan et capable de changer en une seconde d’une expression d’infinie douceur à un rictus d’extrême méchanceté. Gena Rowlands a enfin trouvé son égale.
Mississippi Damned (2009) de l’Américaine Tina Mabry est une étude sans fards des relations mouvementées dans une famille afro-américaine de Tupelo (trois sœurs, leurs partenaires et leurs enfants) au milieu des années nonante. Leur existence est minée par la violence, la drogue et l’inceste. Le dosage des horreurs parut excessif aux spectateurs zurichois : la réalisatrice de 31 ans, présente avec sa productrice, précisa qu’il s’agissait de sa famille et qu’elle avait quelque peu édulcoré les péripéties. Seules les femmes semblent capables de s’occuper des problèmes d’intendance et de la cohésion familiale, mais elles se laissent aussi manipuler par des voyous. Seule parmi sa fratrie et ses cousins, la petite lesbienne réussit – peut-être à cause de sa différence – à s’extirper du cercle vicieux de la malédiction et à s’inscrire à l’Université. Avec Lee Daniels, le réalisateur de l’étonnant Precious (2009, sur une adolescente obèse qui réussit à se défaire de l’emprise de sa mère dégénérée laquelle permet aux amants de passage de se défouler sur elle) présenté à Cannes, Mabry représente pour moi la digne relève de Spike Lee (dont on attend toujours Miracle at St.Anna dans nos salles).

« Le Père de mes enfants » de Mia Hansen-Love

Le Père de mes Enfants (2009) est le deuxième long métrage d’une cinéaste de 28 ans, Mia Hansen-Love. C’est un bouleversant hommage au producteur Humbert Balsan, qui s’est suicidé en 2005, acculé à cet acte de désespoir par une inextricable situation financière. Le film analyse comment une telle situation peut naître, malgré une combativité de tous les instants de son protagoniste, un producteur s’impliquant dans les films d’auteur, un homme adoré par sa famille. Le scénario révèle une intime connaissance du métier et de ses aléas, depuis la constante recherche de fonds jusqu’à l’organisation des tournages en passant par la jonglerie avec les susceptibilités des uns et des autres. Le casting et la direction d’acteurs sont d’une justesse miraculeuse, aucun sentimentalisme déplacé ne vient gâcher les séquences suivant la mort du producteur, quand la famille doit se serrer les coudes. Un pur chant d’amour au cinéma.

Lumière 2009 (Grand Lyon Film Festival)
Pour la première fois, Lyon, ville natale du Cinématographe, lance un festival. Non pas de compétition, mais de répertoire. À l’instar de celui de Bologne. En effet, quel que soit le nombre d’années qu’on ait consacrées à la passion cinéphile, l’Histoire du Cinéma contiendra toujours plein de zones d’ombre à révéler et d’œuvres à réévaluer.
Pour ancrer le programme, un invité d’honneur : Clint Eastwood. L’occasion de revoir dix de ses réalisations (je craque sur Breezy, de 1973, mélancolique histoire d’amour entre l’agent immobilier William Holden et une lycéenne hippie, toute en finesse et empreinte d’une amère lucidité), mais aussi des hommages à ses mentors Don Siegel et Sergio Leone. L’œuvre de ce dernier comptant tout juste 7 films, ils étaient tous programmés en copies restaurées. L’œuvre maîtresse reste Once Upon a Time in America (1984), aboutissement de toute une vie passée à fantasmer l’Amérique : gangsters, politiciens, businessmen, tous échangeables selon Leone ! C’est sobre et voluptueux en même temps, malgré la longueur épique de 229 min. En comparaison, ses westerns semblent boursouflés, peut-être parce que les personnages eux-mêmes font toc : il ne suffit pas d’avoir les dents avariées, la binette avinée ou les habits sales pour faire hors-la-loi au Far West.

Tuesday Weld dans « Once Upon a Time in America » de Sergio Leone

Beaucoup de films sont présentés par des cinéastes, ce qui est la grande originalité du festival. Pour une copie mal restaurée (tant elle était hypercontrastée et charbonneuse) de Dirty Harry de Don Siegel (1971), deux parrains vinrent en chair et en os nous donner les raisons de leur admiration, Gaspar Noé et Alfonso Cuaron. Excusez du peu ! Quant à Siegel, il s’est confirmé qu’il est entré dans la mise en scène par la grande porte : The Verdict (1946), son premier long métrage, est probablement son chef-d’œuvre. Un inspecteur de police découvre après l’exécution d’un homme qu’il a contribué à faire condamner pour meurtre que celui-ci était innocent et que les preuves n’en attendaient que d’être réunies. Il en tire les conséquences et prend une retraite anticipée, touché au vif par la hautaine suffisance de son successeur qui se prévaut de ses dons supérieurs d’enquêteur. Pour que justice se fasse, l’inspecteur commet un crime parfait. Situé dans le Londres embrumé de 1890, se déroulant presqu’entièrement dans deux immeubles séparés par un square, le film est une éclatante leçon d’économie narrative : une intrigue retorse véhiculée par des dialogues intelligents et percutants prononcés par des comédiens hors pair (Greenstreet, Lorre) dans des décors victoriens filmés avec des clairs-obscurs symbolico-atmosphériques. Comme l’inspecteur doit payer in fine pour son crime, c’est aussi un film noir. En tout cas, un régal.
Une section annexe du festival, animée par le spécialiste américain Eddie Muller, s’intitulait justement The Art of Noir. Sept films y furent montrés, dont un seul est disponible en DVD. Pas étonnant donc que quatre de ces films me fussent complètement inconnus. The Threat (Felix Feist, 1949) et Fly-By-Night (Robert Siodmak, 1942) sont très bons, quoique classiques : le premier raconte en 66 minutes une haletante poursuite de gangsters qui ont kidnappé un procureur et un détective, le deuxième, sur le mode comico-rocambolesque, une fuite du héros devant la police et des espions nazis, dans le but d’amener la première à s’occuper des seconds. Je vous parlerai des autres films noirs et du reste l’année prochaine. En attendant, Bonnes Fêtes !

Raymond Scholer