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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - décembre 2007

Où il est question, entre autres, du 60e Festival de Locarno et de la 26e édition des “Giornate del Cinema Muto“.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 22 février 2012

par Raymond SCHOLER

60e festival de Locarno : Signore & Signore
Sous ce titre, Locarno honore les grandes actrices italiennes qui ont “contribué à l’élaboration de notre féminité publique et intime” (Piera Detassis, responsable), des stars dont les plus anciennes semblent déjà en voie de disparition de la mémoire, puisque le catalogue du festival confond sur photo Silvana Mangano avec Alida Valli. L’urgence de cette rétrospective n’est donc plus à démontrer. Il est vrai qu’Alida Valli ne suscite pas chez le spectateur une joie particulière à la retrouver de film en film, tant la seule émotion qu’elle arrive à exprimer semble être la souffrance, déjà spécialité des dive du muet. C’est dans les rôles où elle doit souffrir que la Valli excelle et dans l’excellent drame du Risorgimento, le trop rare Piccolo Mondo Antico (Mario Soldati, 1941), la coupe de la malheureuse est pleine : elle est persécutée par sa belle-tante (la formidable Ada Dondini en douairière volumineuse et moustachue, alliée de l’ordre et des Autrichiens, qui déshérite son neveu parce qu’il a choisi le camp des Piémontais), sa fillette se noie dans le Lago Maggiore et son mari part à la guerre.

« Piccolo Mondo Antico » de Mario Soldati

La comédie à l’italienne
Une comédienne qui passe avec brio de la comédie au drame est Gina Lollobrigida : Pane Amore e Fantasia (Luigi Comencini, 1953) est non seulement le point culminant de sa carrière, mais peut-être aussi celui de la comédie italienne. Rarement grâce, légèreté et loufoquerie firent aussi bon ménage, malgré le rappel constant et amer de la grande pauvreté dans laquelle doivent se débattre les personnages de ce quadrille amoureux où s’entrecroisent une paysanne cherchant à susciter l’amour d’un jeune carabinier et le capitaine d’icelui, un très élégant Vittorio De Sica, à l’aube de la cinquantaine, en quête de l’âme-sœur. En comparaison, les comédies de Dino Risi peuvent devenir lassantes à cause de leur méchanceté drue et tartinée : dans Il Vedovo (1959), Alberto Sordi s’acharne vainement à trucider son épouse, multimillionnaire et capitaine d’industrie. Alors que Sordi en fait des tonnes comme à l’accoutumée, Franca Valeri reste souverainement imperturbable devant son mari qu’elle n’hésite pas à traiter de cretino en public. Dans La Nonna Sabella (1957), Tina Pica incarne une vieille tante autoritaire qui empêche depuis des lustres le mariage de sa sœur cadette avec Peppino De Filippo, autre grand gesticulateur devant l’éternel. Leur neveu, de retour de la capitale, subira un chantage analogue quant à son propre mariage. Les deux amoureux transis se liguent pour mettre fin au régime de la terreur. Toute légèreté est remplacée chez Risi par une mise à nu implacable des mécanismes, qu’il s’agisse de chantage, de vengeance ou de séduction. C’est ce qui donne à ses personnages un côté pantin, mécanique et froid.

« La Nonna Sabella » de Dino Risi

Le cas Pietrangeli
Tel n’est pas le cas chez Antonio Pietrangeli à propos duquel on peut lire chez Tulard que ”ses comédies sont d’une consternante platitude”. Je demande à vérifier. Car à voir La Visita (1963) et Io la Conoscevo bene (1965), deux œuvres d’une exactitude immédiate dans la description des moeurs et d’une noirceur existentielle désespérée, je placerais Pietrangeli parmi les plus grands réalisateurs italiens de l’époque. Dans La Visita, Sandra Milo, vieille fille potelée et chaleureuse, cherche un partenaire par annonce et reçoit dans sa coquette maisonnette campagnarde François Périer, célibataire aux habitudes bien calcifiées. L’espace d’une journée, la patience de la pauvre dame sera mise à rude épreuve par les faux-fuyants, insultes et bêtises du goujat, qui aura quand même la décence de demander pardon au moment de repartir. Cette passade sans lendemain, où l’immaturité du mâle ne sait que faire de la générosité de la femme, laisse un arrière-goût amer de gâchis existentiel. Dans Io la Conoscevo Bene, nous suivons Stefania Sandrelli, jeune fille montée de son village à la capitale, qui utilise sa beauté pour accéder par les hommes à la vie mondaine. Glissant progressivement dans une existence se limitant exclusivement à une quête effrénée de plaisirs, elle ne réalise pas que le vide la guette, au propre comme au figuré. Un bel après-midi, sans raison particulière, elle s’y jette. Allégorie philosophique sur l’aliénation de la société de consommation, le film est aussi un portrait véridique d’un demi-monde où les friqués tirent les ficelles et les autres sont exploités à souhait. Il y a à ce propos une séquence extraordinaire où l’on humilie en société un acteur dont l’heure de gloire est passée en lui faisant imiter des animaux de basse-cour : Ugo Tognazzi n’a jamais été plus poignant.

« Io la Conoscevo Bene » de Antonio Pietrangeli, avec Stefania Sandrelli

Le Giornate del Cinema Muto, 26e édition
Cette fois-ci, c’est LE retour : après huit ans d’exil dans la petite ville exquise de Sacile, le seul festival mondial exclusivement consacré au cinéma muet retourne dans son lieu d’origine, Pordenone, pour entamer, le 6 octobre, son deuxième quart de siècle. Le nouveau théâtre Verdi, malgré les réticences des premiers jours, occasionnées à la fois par l’aspect extérieur “coquille de meringue” et les parquets de bois clairs, s’est vite imposé comme le nouveau “lieu” de nos bacchanales, chacun y ayant d’ores et déjà son siège favori. Acclimatation d’autant plus réussie que les faux-pas musicaux des années précédentes (où des musiciens expérimentateurs dégorgeaient à l’envi des compositions dissonantes, sans doute pour nous punir d’aimer des films élégants et fluides) ont été soigneusement évités par les organisateurs : ce ne furent qu’envolées mélodieuses, orchestrations voluptueuses et extases symphoniques. Notamment pour les événements d’ouverture (Orphans of the Storm/Les Deux Orphelines de D.W.Griffith, 1921) et de clôture (Die Büchse der Pandora/Loulou de G.W. Pabst, 1929). Pour le Griffith, qui dure deux heures et demie, John Lanchbery composa, alors qu’il était déjà rongé par un cancer terminal, une partition de 850 pages (pour la sortie du film en DVD) que nous pûmes entendre live par l’Orchestra Sinfonica del Friuli Venezia Giulia, qui trouvait aisément sa place dans la fosse du théâtre agrandie grâce à l’astuce mécanique d’un plancher rétractile. Qu’importent les trouvailles saugrenues de Griffith scénariste, comparant dans les intertitres Danton à Abraham Lincoln et les partisans de Robespierre aux bolcheviks, qu’importent les libertés prises avec l’Histoire (la contraction temporelle, p.ex., ou la prise de la Bastille, dix fois plus épique et monumentale que dans les chroniques), le film professe des valeurs universelles d’équité et d’amour du prochain qui, servies par les incomparables sœurs Gish (Dorothy, normalement en retrait, est ici époustouflante en aveugle, par exemple quand elle s’accroche désespérément, en les caressant, aux bras de sa soeur Lillian emmenée vers la guillotine) et une savante construction tout en suspense balaient toutes les hésitations. Chef-d’œuvre ? Absolument !

« Die Büchse der Pandora / Loulou » de G.W. Pabst, avec Louise Brooks
© Tamasa Distribution

Quant à Loulou, nous le redécouvrons à chaque vision : les non-dits même du film, les “trous” dans l’histoire (notamment lors de la traversée de la Manche), le visage parfaitement beau et innocent de Louise Brooks, le personnage énigmatique de Schigolch, l’absence de toute explication de Jack L’Eventreur, pour ne citer que ceux-là, voilà autant de champs vides que nous pouvons investir selon notre humeur du moment, produisant à chaque fois une résonance différente. Voilà pourquoi on ne se lassera jamais de revoir ce film, polymorphe par excellence. Le troisième grand moment musical de la semaine fut la projection de la version originelle de Chicago (Frank Urson et Cecil B. DeMille, 1928), dont l’avatar récent avec Catherine Zeta-Jones (2002) est encore dans toutes les mémoires : la vision féroce de la société américaine et de la presse transformant des meurtrières en héroïnes était évidemment plus pertinente il y a 80 ans que maintenant, d’autant plus que le cas de Roxie Hart était basé sur deux vraies affaires de femmes homicides acquittées en 1924. Rien de tel qu’un fait divers pour divertir. Based on a true story, répète Hollywood depuis ses débuts : la réalité nourrit l’usine des rêves. Passez un bon Noël.

Raymond Scholer