Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - avril 2019

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 avril 2019
dernière modification le 30 mars 2019

par Raymond SCHOLER

69e Berlinale

Compétition
Avec cette édition, Dieter Kosslick, tire sa révérence après 18 ans de bons et loyaux services. Comme dans certaines des éditions précédentes, le meilleur film n’a pas eu de prix, car il a dû déranger pas mal de spectateurs.

Jonas Dassler dans « Der Goldene Handschuh »

Der Goldene Handschuh de l’Allemand Fatih Akin décrit en effet dans un style sec et factuel les agissements d’un tueur en série, Fritz Honka, qui, entre 1970 et 1974, à St.Pauli, avait sauvagement assassiné des prostituées décaties et alcooliques dont il gardait les cadavres en morceaux découpés dans la soupente de sa mansarde. Aux rares visiteurs qui lui demandaient d’où venaient les effluves nauséabonds, il expliquait que la famille grecque qui louait l’appartement du dessous cuisinait beaucoup de mouton rôti aux oignons. Membre d’une fratrie nombreuse, mais doté d’une certaine irrégularité de traits, il n’est pas devenu comme ses frères un Allemand normal, mais un déréglé aux maigres ressources qui fréquente assidûment le « Le Gant d’Or », bistrot qui est le Stamm d’un magma de défoncés nazis ou poètes, de péripatéticiennes au-delà de la date de péremption et d’épaves en quête de stimulants. La description des lieux est aussi minutieuse que celle des crimes, l’idiome local donnant lieu à de savoureux échanges philosophico-métaphysiques pétris de la sagesse millénaire des grands poivrots. C’est toute l’information psychologique que le film daigne nous donner : nous sommes donc face à une énigme humaine. C’est sans doute ce qui a fait écrire à certains critiques qu’ils ne voyaient pas à quoi pouvait servir un tel film, qui ne suinte que laideur, misère et cruauté. Toute sa valeur réside effectivement dans sa facture même, comme pour un tableau de maître, dans sa mise en scène d’une précision tirée au cordeau (les charcutages sont toujours hors cadre), dans sa direction d’acteurs qui rend les performances des actrices incarnant les victimes d’une justesse sidérante. Nous espérions que, compte tenu de la gêne qui incitait certains à rabaisser le travail de Fatih Akin au niveau d’un film de genre suspect, les jurés allaient au moins récompenser l’effort de ces dames par un Ours d’argent collectif de la meilleure interprétation. Que nenni !

Mei Jong et Jingchun Wang dans « So Long, My Son »

Ces prix-là furent remportés par les deux comédiens principaux (Mei Yong et Jingchun Wang), excellents certes, mais beaucoup moins méritants, de So Long, my Son du Chinois Xiaoshuai Wang. Ce film explore les souffrances occasionnées par la politique de l’enfant unique (instaurée en 1979 et abolie seulement début 2016), une mesure coercitive parfois appliquée au prix d’avortements forcés, d’amendes et de stérilisations. Nous suivons la destinée d’un couple très uni sur une quarantaine d’années, non pas dans l’ordre chronologique, mais avec force flash-back et ellipses, dans un désordre de temporalités qu’on dirait étudié pour égarer le spectateur non-sinophone qui doit à la fois se retrouver parmi une multitude de personnages annexes (dont l’aspect physique change en fonction de l’âge) et avoir une confiance absolue dans les sous-titres. Ce que j’ai compris, c’est que le couple alpha a déjà mis un deuxième enfant en route, lorsque la loi est promulguée, et se trouve contraint par la directrice de l’usine, pourtant une amie, à l’avortement : pour faire passer la pilule (!), ils seront fêtés comme ouvriers modèles. Un temps indéterminé plus tard, ils perdent leur premier enfant qui se noie dans l’eau d’un réservoir, en présence justement du fils de la directrice. Ils décident alors d’aller vivre dans une autre province, où le mari s’occupera d’un atelier de mécanique et où ils pourront élever, sous le nom du défunt, un enfant adopté. Qui les quittera dans une crise d’adolescence. Habitués à la longue à ne vivre qu’à deux, ils auront cependant l’occasion, à la retraite, de retrouver la famille de la directrice et leur ancien appartement (resté en l’état depuis leur départ, ce qui est quand même étonnant, vu la pression démographique ambiante !) dans des scènes de confession, de repentir et de pardon que le public de la Berlinale a gobées à pleins Kleenex.

Quentain Dolmaire et Tom Mercier dans « Synonymes »

L’Ours d’or fut attribué à Synonymes de l’Israélien Nadav Lipid. Lipid, connu pour Policeman (prix spécial du Jury du Festival de Locarno 2011), qui se moquait de façon corrosive des valeurs machistes du mâle israélien durant une prise d’otages terroriste, continue ici de s’en prendre au nationalisme israélien. Alors que la recrudescence des actes antisémites pousse de plus en plus les Juifs de France à émigrer vers Israël, le héros de Synonymes n’a qu’un désir, devenir Français. Les flashback semblent indiquer que Yoav a conçu pendant son service militaire une haine à l’encontre d’Israël, mais l’origine en reste nébuleuse. Toujours est-il qu’il refuse de parler hébreu avec les Israéliens qu’il rencontre pendant son séjour parisien. Le film se déroule en effet entièrement à Paris. Yoav y arrive en plein hiver et s’installe dans un appartement de luxe, vide et non chauffé. D’où tient-il la clef ? Mystère et boule de gomme. Pendant qu’il prend une douche, ses effets disparaissent mystérieusement. Nu comme un ver, il tambourine contre les portes des appartements voisins en appelant à l’aide. Heureusement qu’un couple de bobos a pitié de lui et lui offre gîte, nourriture, vêtements et argent. Emile, aspirant écrivain, s’intéresse beaucoup aux récits de Yoav concernant Tsahal et à ses curieuses tournures de phrases. L’intérêt de Catherine trouve ses raisons dans le fait qu’elle l’a vu nu, bien musclé et bien membré. Il se forme peu à peu un triangle amoureux façon Jules et Jim, mais avec l’accent sur la résonance homoérotique. Ne voulant pas trop vivre en parasite, Yoav se reloge dans un local miteux et réduit son régime alimentaire au minimum, subsistant quotidiennement avec un plat de pâtes aux tomates pour 1,28 euros. Pour gagner quelques sous, il se fait même engager par l’ambassade d’Israël comme vigile, mais, laissant entrer tout le monde, il est licencié sur-le-champ. Psalmodiant les synonymes de mots français à longueur de journée, il suit avec assiduité le cours d’assimilation et de civisme (donné par une Lea Drucker en forme), se lançant à l’occasion dans une tonitruante Marseillaise, sans doute le plus sanguinaire des hymnes nationaux. Quel chauvinisme est plus grand, celui des Français ou celui des Israéliens ?

Kacey Mottet Klein dans « L’Adieu à la nuit »

Un des deux films français de la compétition, Grâce à Dieu de François Ozon, a eu le Grand Prix du Jury et on aimerait bien que la justice française fût assez courageuse pour sanctionner l’hypocrisie du cardinal Barbarin. Quand vous lirez ces lignes, vous serez fixé. L’autre film, L’adieu à la nuit d’André Téchiné, décrit les affres d’une éleveuse de chevaux sexagénaire (Catherine Deneuve) qui apprend que son petit-fils est sur le point de partir faire le djihad avec sa copine d’enfance. Kacey Mottet Klein ajoute une autre interprétation de haut vol à son registre de réussites. Comme aucun argument ne peut faire changer le jeune homme d’avis, l’aïeule a recours à une mesure extrême qui risque fort de le lui aliéner pour le restant de ses jours. Le réalisateur se contente d’observer les jeunes obnubilés sans les juger. Leurs raisons profondes nous restent celées. La seule certitude est leur détermination. Un film lucide et simple, un grand Téchiné.

Clara Moeller et Jakob Lassalle dans « Ich war zu Hause, aber… »

Ich war zu Hause, aber… d’Angela Schanelec a eu l’Ours d’argent de la meilleure réalisation. Porté aux nues par la critique allemande, ce film a laissé mes confrères helvètes et français de marbre, sans doute un effet de lost in translation. Le film décrit quelques scènes de la vie d’une famille monoparentale au moment où le fils a des velléités d’indépendance et que la mère s’inquiète de ses absences et de sa propre perte de contrôle. Le moment où elle l’engueule, lui et sa petite sœur, a provoqué des murmures dans la salle. La mine toujours renfermée, Maren Eggert joue cette femme au bord de la crise de nerfs, qui s’emporte même contre un jeune metteur en scène qui veut confronter ses acteurs à des malades en fin de vie, soi-disant pour leur extraire plus de vérité existentielle. Cela ne fonctionnera pas, dit-elle, elle qui a vu son mari mourir après une longue maladie. Cela, c’est votre vérité, répond le metteur en scène. Le traumatisme de la perte d’un conjoint, Schanelec l’a vécu dans sa chair : son mari, le réalisateur Jürgen Gosch, est mort en 2009. Ils ont eu deux enfants et traduisaient Shakespeare en allemand pendant des années. Les élèves qu’on voit dans le film répètent Hamlet. D’une sécheresse bressonienne, le film est supportable, mais il n’est guère distrayant.

Francesco Di Napoli dans « La paranza dei bambini »

L‘Ours d’argent pour le meilleur scénario est allé à La Paranza dei Bambini de l’Italien Claudio Giovannesi, l’adaptation du livre de Roberto Saviano sur les gangs d’ados du quartier Sanità à Naples. Les jeunes acteurs, issus du même milieu, sont tous criants de justesse dans ce film qui rédige un état des lieux d’une jeunesse en guerre perpétuelle, des enfants qui dealent, volent et tuent dans un monde sans avenir où seuls comptent l’argent et la survie.

James Norton dans « Mr. Jones »
© Robert Palka / Film Produkcja

Mr. Jones de la Polonaise Agnieszka Holland raconte l’histoire du Gallois Gareth Jones qui fut le premier journaliste occidental à ramener un témoignage direct sur le Holodomor, cette famine qui a fait entre 3,5 et 14,5 millions de victimes dans les années 1932 et 1933 et que l’Ukraine essaie en vain de faire reconnaître comme génocide dû à la collectivisation forcée. Les intellectuels pro communistes, tant G.B. Shaw que G.Orwell, se sont moqués de ces nouvelles alarmistes, renforcés dans leur déni par les réactions lénifiantes du correspondant du New York Times, Walter Duranty, que le film présente comme un sybarite mollasson qui ne bouge pas de Moscou, mais y organise régulièrement des parties fines décadentes à l’usage des correspondants étrangers. Sans doute pour éviter qu’ils explorent la campagne. Il faudrait comparer ce film à Bitter Harvest du Canadien George Mendeluk, tourné en Ukraine en 2017 sur le même sujet.

Raymond Scholer