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Le cinéma au jour le jour
Cine Die : avril 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 31 mars 2017
dernière modification le 22 mars 2017

par Raymond SCHOLER

67e Berlinale

La Compétition
Commençons par les déceptions. En 2013, le Roumain Calin Peter Netzer remporta l’Ours d’Or avec Mère et Fils , où une mère de la haute bourgeoisie remue ciel, terre et relations pour que son fils, conducteur meurtrier en fuite, échappe à la justice promise au commun des mortels. Son nouveau film, Ana, mon amour , est derechef rempli de discussions interminables, mais cette fois, hélas, sans finalité investigatrice. Il s’agit de la liaison entre un jeune homme de bonne famille épris d’une jeune fille très dépressive, encline aux attaques de panique, dont on apprendra qu’elle partageait son lit avec son beau-père jusqu’à l’âge de 14 ans. Devant le jeune homme s’ouvrent des abîmes choquants qui le fascinent. Mais jusqu’à cette révélation, qui intervient après des discussions philosophiques mâtinées de doléances psychologiques, le cinéaste pratique une valse de panos sur des visages éructants qui lasse très vite. On se demande si le scope était vraiment nécessaire pour une telle pornographie de l’âme et on commence sérieusement à se ficher de ces personnages. Toujours est-il que l’instable tombe enceinte, ce qui la convainc de consulter un psychothérapeute qui réussit à en faire une femme adulte et sûre d’elle-même. Du coup, son sigisbée en perd son latin et se perd en remontrances et récriminations. Et la caméra poursuit sa trajectoire erratique autour des visages ronchons. Insupportable tant par sa longueur que par sa morosité.

Tristan Göbei et Georg Friedrich dans « Helle Nächte »

Dans Colo , la Portugaise Teresa Villaverde exemplifie la déliquescence de la société de son pays par la lente désagrégation d’une famille. Le père est au chômage, la mère est obligée de rallonger ses heures de travail, leur fille fait une fugue avec une copine. Chacun des trois personnages s’engage dans un nouveau chemin qui n’a plus rien à voir avec la famille initiale. Là aussi, presque deux heures et demie sont nécessaires pour relater ce simple processus. Mais on sait que la saudade se déguste dans la durée.
Helle Nächte de l’Allemand Thomas Arslan réunit un père et son adolescent de fils qui ne se sont plus vus depuis le divorce. L’enterrement du grand-père, qui s’était retiré dans un coin de la forêt norvégienne, donne aux deux l’occasion de profiter d’une randonnée de plusieurs jours dans la nature pour rafistoler d’éventuels reliquats de sentiments. Le scénario est minimal, mais l’atmosphère des paysages qui se dérobent dans la brume donne des frissons. Le grand avantage, c’est que le père autant que le fils sont des hommes de peu de mots.

Stellan Skarsgård et Nina Hoss dans « Return to Montauk »

Dans Return to Montauk , Volker Schlöndorff essaie de faire revivre Max Frisch en faisant passer un alter ego de l’écrivain (incarné par Stellan Skarsgard) à New York où il pense renouer avec une amante d’autrefois (Nina Hoss). Hélas, il n’y a plus la moindre étincelle entre les deux, quand bien même le scénario voudrait nous faire croire autre chose. Il n’y a que deux peaux, une nettement plus usée que l’autre, qui s’entrefrottent, comme pour montrer que le temps n’a pas de prise. Alors qu’il a gagné sur toute la ligne. Navrant aussi pour des dialogues d’une platitude inhabituelle chez Schlöndorff.

El Bar est une tentative de Alex de la Iglesia de mettre en scène un survival urbain dont la durée diégétique colle à 100% à la durée réelle. Lorsque les clients d’un bar se rendent compte que deux d’entre eux viennent de se faire abattre à la sortie de l’établissement et qu’un autre vient d’expirer aux toilettes à côté d’une mallette contenant des seringues, ils supputent que le 3e mort est porteur d’un virus que les autorités essaient de circonscrire en liquidant tous ceux, probablement infectés, qui se trouvent dans ce lieu. La rue est en effet - mauvaise augure ! -complètement vide. Il ne reste plus aux survivants que de se partager les seringues (un antidote, sans doute) et de passer par les égouts, dont une entrée se trouve dans la cave du bar. Ce passage étroit oblige tout le monde à se délester de ses vêtements superflus, car, exploitation oblige, quand on a la belle Blanca Suarez sous la main, en dessous affriolants, il faut l’exploiter.

Blanca Suarez dans « El Bar »

Django d’Etienne Comar éclaire quelques mois dans la vie de Django Reinhardt sous l’occupation en 1943. Pressé par le représentant de la propagande du Reich d’entamer une tournée en Allemagne pour contrecarrer l’insidieuse invasion de la musique nègre américaine, et conscient que les Manouches sont dans le même bateau que les Juifs, le musicien quitte clandestinement Paris et se cache du côté de Thonon-les-Bains en espérant un rapide passage en Suisse. Le flegme de Reda Kateb se communique un peu au film qui n’hésite pas à inventer un personnage de toutes pièces, une femme mécène qui fraie avec les Allemands, incarnée par Cécile de France, sans doute pour pimenter la sauce et donner du pep au personnage principal.

Geoffrey Rush et Armie Hammer dans « Final Portrait »

Dans Final Portrait de l’Américain Stanley Tucci, l’Australien Geoffrey Rush prête ses traits avec un grand enthousiasme au Tessinois Alberto Giacometti. À Paris, en 1964, celui-ci fit le portrait du collectionneur et critique américain James Lord, incarné par le constamment élégant Armie Hammer, un soupçon de luxe dans cet atelier sale et chaotique. Une semaine de séances aurait dû suffire au maître pour achever le tableau. Mais un coup de pinceau mal placé peut l’irriter au point qu’il efface tout : la peinture est pour lui un éternel recommencement. De sorte que le pauvre modèle voit passer les semaines et diminuer ses fonds. Même si sa description de la vie d’artiste sent un peu le cliché (Giacometti flatte sa maîtresse sous les yeux de son épouse), Tucci a bien observé les affres de la création.

Georg Friedrich et Josef Hader dans « Wilde Maus »

Wilde Maus de l’Autrichien Josef Hader résonne d’actualité avec les licenciements dans la presse romande. L’interprète de Stefan Zweig (cf. Vor der Morgenröte, Maria Schrader) a non seulement réalisé cette comédie, il interprète aussi le critique musical (Georg) d’un prestigieux quotidien viennois qui découvre qu’il est redondant. Tandis que sa jeune femme ne pense qu’à sa prochaine ovulation, le pape de l’opéra ne lui touche mot de sa mise à pied et ne songe qu’à la vengeance, persécutant son ex-patron avec des actions de plus en plus cocasses et désespérées. Mais voilà que s’offre un nouvel engagement à l’horizon : remettre en état un Grand-Huit du Prater, connu sous le nom de Wilde Maus (souris furieuse). La crise n’est pas nécessairement une finalité.

La Polonaise Agnieszka Holland qualifie son Pokot/Traces de "comédie noire écologique, anarchiste et féministe". Dans le collimateur : la culture de la chasse, encore très en vogue en province, notamment dans les forêts de la frontière tchéco-polonaise. Depuis le maire au curé en passant par le chef de la police, tous les mâles alpha de Klodzko s’y adonnent en groupe toute l’année (le calendrier affiché nous montre qu’il n’y a pas de répit pour le gibier) avant de finir la journée au bordel. Duszejko, une ingénieure des ponts et chaussées à la retraite, vit dans une maison isolée en bordure de forêt et adore les bêtes. Lorsque ses deux chiennes disparaissent un beau matin, elle se lance dans une croisade contre les meurtres d’animaux sauvages. La pire rebuffade qu’elle doit encaisser vient de la part du curé qui lui rappelle que Dieu a mis les hommes sur Terre pour exploiter la nature à sa merci. Mais l’un après l’autre, des chasseurs sont retrouvés morts dans la neige, entourés de traces d’animaux. La nature est-elle en train de régler ses comptes ?

« Viceroy’s House (le dernier Vice-Roi des Indes) »
© TOBIS Film GmbH

Dans Viceroy’s House , l’Indienne Gurinder Chadha raconte les derniers mois de l’occupant britannique jusqu’à la calamiteuse scission de l’Inde en deux parties. Cette partition était exigée par le musulman Jinnah et plébiscitée déjà quelques années auparavant, du moins si l’on en croit le film, par une commission secrète du gouvernement Churchill pour entraver l’accès aux champs pétrolifères de la péninsule arabique à Staline. L’histoire débute en février 1947 par l’arrivée du dernier vice-roi, Lord Mountbatten of Burma, avec sa famille dans l’immense palais de Delhi, où les serviteurs appartiennent aux trois religions majeures du sous-continent. Parmi ces derniers, l’histoire d’amour contrariée, mais in fine heureuse, entre un Hindou et une Musulmane, se déroule parallèlement aux tractations politiques préparant l’indépendance et la partition. Même les objets et denrées du Palais sont attribués, 20% aux Musulmans, 80% aux Hindous, à l’instar des territoires. La partition engendrera 10 millions de réfugiés et presqu’un million de victimes. Gandhi avait raison en proposant de confier le gouvernement d’une Inde unie à la Ligue Musulmane : rien de tel pour amadouer quelqu’un que de lui confier des responsabilités.
Dans Una mujer fantástica du Chilien Sebastian Lelio, la jeune maîtresse transgenre d’un homme d’âge mûr, brusquement victime d’un AVC, doit lutter contre les préjugés et même les agressions pour avoir le droit à faire son deuil. Le rôle est magnifiquement tenu par Daniela Vega, également née dans un corps d’homme.

Timothy Spall, Cillian Murphy, Emily Mortimer et Patricia Clarkson dans « The Party »

The Party montre que la Britannique Sally Potter n’a pas encore pris sa retraite à 67 ans. Son nouveau film, qui se déroule comme El Bar (voir ci-dessus) en temps réel, réunit 2 couples hétéro, 1 couple de lesbiennes et un mari sans son épouse (qui s’avérera d’une importance capitale) qui fêtent la nomination de leur hôtesse comme ministre dans le gouvernement d’opposition de Sa Majesté. Lorsque le mari de la ministre sort de sa torpeur initiale pour donner deux informations cruciales, il déclenche un jeu de massacre verbal truffé de dialogues percutants, d’humour vache et de réflexions acides, qui fait voler en éclats les liens d’amitié et de confiance. Le scope et le somptueux noir blanc accentuent le décalage par rapport aux gentilles conventions sociales qui subissent ici un assaut de taille. À 71 minutes et avec sept acteurs fabuleux, parmi lesquels Bruno Ganz en aromathérapeute teuton, le film se déguste comme une friandise.

Au mois prochain

Raymond Scholer