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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - avril 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 8 avril 2016
dernière modification le 17 mars 2016

par Raymond SCHOLER

66e Berlinale

Ouverture
Le festival s’ouvre avec la déclaration d’amour des frères Coen au cinéma hollywoodien d’antan. Hail, Caesar ! est un bain de nostalgie pur jus pour les cinéphiles qui n’ont pas oublié qu’il fut un temps (l’action du film se situe en 1951) où, malgré les « révélations » graveleuses et souvent erronées d’un Kenneth Anger (Hollywood Babylone, 1959) sur le stupre, la fornication et les affaires scandaleuses d’une frange négligeable des stars, la fabrique des rêves était synonyme de droiture et de travail. Les vrais producteurs n’avaient pas encore laissé l’industrie dans les mains de financiers cupides. Les studios avaient une conception peut-être étriquée de ce que devait être un bon film, mais ils sortaient régulièrement des produits professionnels et solides, à l’instar de ceux (un péplum, deux comédies musicales, une comédie romantique) dont nous voyons l’élaboration chez les Coen. La réception tiède du film auprès d’une certaine critique s’explique dans doute par leur absence de références ou celle de gags déjantés que la réputation des frères Coen a pu faire miroiter. En lieu et place de benstilleries de potaches, nous avons des allusions subtiles à de vrais personnages, d’événements certifiés, de situations authentiques, qui ne se distinguent de ce que nous voyons que par un léger décalage. En fin de compte, seuls les noms inventés sont délirants, pas ce qui est montré. Encore que le héros du film, un administrateur de Capitol Pictures (lire : MGM) du nom d’Eddie Mannix (joué par Josh Brolin), a vraiment existé : c’était le fixer, autrement dit l’homme qui protégeait la réputation des stars en déguisant les indélicatesses qui transparaissaient de leur vie privée.

Channing Tatum dans « Hail, Caesar ! »

On voit ainsi Mannix jouer l’une contre l’autre deux sœurs chroniqueuses rivales (allusion aux échotières Hedda Hopper et Louella Parsons), incarnées par Tilda Swinton, ou encore interrompre une session de photos érotiques et payer la police pour que la starlette impliquée ne se retrouve pas à la une de la presse à scandale. Quand la sirène (cf. Esther Williams) incarnée par Scarlett Johansson tombe enceinte, Mannix lui propose de confier le bébé à un homme de confiance et de l’adopter plus tard, tout comme Loretta Young le fit 14 ans plus tôt. La chasse aux sorcières mccarthyste battant toujours son plein en 1951, il n’est pas étonnant de voir un groupe de scénaristes communistes (les Hollywood Ten ?), en collusion avec le professeur Herbert Marcuse (sic !), kidnapper en plein tournage Baird Whitlock (alias George Clooney), qui campe un officier romain, à l’instar du Robert Taylor de Quo Vadis (Mervyn LeRoy, 1951), dont l’esthétique est d’ailleurs pastichée à la perfection. Ils l’emmènent drogué dans la superbe villa côtière de Burt Gurney (Channing Tatum), qui est en train de tourner une comédie musicale avec des marins en goguette, au relent de Village People. Le jour même, Mannix reçoit une demande de rançon. L’argent est destiné à Moscou, où il sera convoyé par Gurney. Car l’idole dansante a décidé de devenir un héros stalinien et les Coen le filment avec des teintes sovcolor, lorsqu’il monte nuitamment à bord d’un sous-marin qui émerge au large de sa villa, alors que résonnent les chœurs de l’Armée Rouge ! Cette séquence-là est sans doute ce que les frères ont inventé de plus fou. Hollywood perd donc une star, mais à la fin de la journée, Mannix est maître de la situation et Whitlock est de retour au bercail. Si je me suis étendu tellement sur ce film, c’est qu’il était tout simplement le plus jouissif de la Berlinale.

Compétition
Le jury présidé par Meryl Streep a donné l’ours d’or à Fuocoammare de Gianfranco Rosi, où l’auteur de Sacro GRA (2013) applique son style d’observation anthropologique calme et sereine, de documentaire mis en scène, à la réalité de Lampedusa, où s’échouent tant de vies miséreuses sur le chemin de l’espoir. Le seul habitant à réaliser pleinement ce qui se passe autour des côtes de l’île est le médecin qui est souvent appelé à soigner les migrants recueillis par la marine (car les pauvres hères doivent goger pendant des jours dans un mélange d’eau de mer et de combustible, ce qui crée d’horribles brûlures chimiques). Le praticien a emmagasiné des souvenirs qu’il ne souhaite à personne, notamment les souffrances des femmes enceintes. Un de ses patients est le petit Samuele, qui passe ses vacances scolaires à viser des oiseaux ou des cactées avec sa fronde fraîchement confectionnée ou à sortir pêcher avec son oncle. Le médecin lui diagnostique un œil paresseux et il l’oblige à porter une coque sur le bon œil pour faire travailler le défectueux. Métaphore ? Est-il vraiment ignorant des drames qui aboutissent dans son île ? Non, mais apparemment la population n’a jamais eu de problèmes avec les migrants qu’ils aident dans la mesure de leurs possibilités, ce que le médecin explique par le fait que l’île est peuplée de pêcheurs et pour un pêcheur, tout ce qui arrive de la mer est accepté. Rosi, en montrant que les habitants de l’île n’ont pas changé leur mode de vie (la radio locale continue de passer des chansons à la demande), montre au spectateur qu’il ne sert à rien d’avoir peur des migrants. Il a filmé lui-même les missions de sauvetage par beau temps, puis les survivants emmitouflés dans les couvertures chauffantes. On ne saurait imaginer l’enfer sur ces esquifs par mauvais temps. Le long plan sur une cale remplie de cadavres, aussi désolant qu’il soit (il y eut des critiques imbéciles hurlant à la pornographie pendant la projection), est quand même éminemment utile et éloquent.

Snezana Markovic dans « Mort à Sarajevo »

Je n’ai pas vu l’ours d’argent glané par le spécialiste des films ultralongs, Lav Diaz, avec son A Lullaby to the Sorrowful Mystery , car à mon âge, réserver plus de huit heures à un film diminue sérieusement l’espérance de vie. En revanche, j’ai vu avec grand plaisir l’ours d’argent de Danis Tanovic, Mort à Sarajevo , qui se base sur la pièce de Bernard-Henri Lévy, Hotel Europe, dont la première eut lieu à Sarajevo le jour même du centenaire de l’attentat qui déclencha la Première Guerre mondiale, le 28 juin 2014. C’est justement ce jour-là que se déroulent aussi les événements du film. L’hôtel en question, d’un standing certain, résume tout ce qui irrite les Européens dans les problèmes de l’ex-Yougoslavie. À l’occasion d’une réunion commémorative de l’UE, l’acteur Jacques Weber, accueilli par le directeur de l’hôtel en personne, répète le texte de son discours dans la suite présidentielle, sans se douter qu’il est observé en permanence par les caméras de surveillance d’un service de sécurité qui n’a sans doute pas compris les tenants et aboutissants de ce congrès. Le policier qui se perd en conjectures devant ce zigoto pérorant a d’ailleurs d’autres soucis : sa femme veut un nouveau canapé et il ne sait pas où prendre l’argent. L’hôtel aussi est à sec et n’a plus payé ses employés depuis deux mois. C’est la raison pour laquelle ceux-ci veulent commencer une grève le jour même, puisque les caméras de télévision sont là pour la commémoration. Sur le toit de l’hôtel, elles enregistrent déjà des interviews d’historiens pour savoir si Gavrilo Princip était un héros de la libération ou un terroriste. Dans le cabaret, au sous-sol, le chef local de la pègre vient de neutraliser l’organisateur de la grève. Le personnel élit un remplaçant, la responsable de la blanchisserie. Qui se trouve être la mère de l’assistante de direction qui, tout au long du film, a veillé à ce que la journée s’organise comme il faut, arpentant sans fatigue les couloirs, escaliers et salles de l’établissement. Résultat : elle se fera humilier sexuellement et licencier par son patron frustré. L’austérité, la crise bancaire, les faillites en cascade, la renaissance fulgurante des nationalismes, tout est là.
Je n’ai pas vu L’avenir de Mia Hansen-Løve, qui a gagné le prix de la mise en scène. Espérons qu’un distributeur suisse s’y intéressera.

« United States of Love » deTomasz Wasilewski

Le prix du meilleur scénario est allé à United States of Love du Polonais Tomasz Wasilewski, un portrait acerbe de la vie amoureuse de quatre femmes un an après la chute du Mur. Agata est amoureuse d’un beau curé et sublime cette passion en violant son mari qu’elle trouve moite et presque repoussant la plupart du temps. Sa sœur aînée, une blonde follement élégante, est la directrice de l’école et la maîtresse d’un médecin. Celui-ci, qui vient de perdre son épouse, est tenaillé de remords et ne veut plus la voir. La sœur cadette, dont le mari gagne déjà sa vie à l’Ouest, est maîtresse d’aérobic et rêve d’une carrière de modèle . La maîtresse de russe, nettement plus âgée et replète, lui voue une adoration platonique. Le désir refoulé relie toutes ces femmes qui sont prêtes à s’humilier pour l’assouvir. Les images aux couleurs délavées, à la limite du noir/blanc, sont exemptes de chaleur. Les femmes sont seules, même au milieu de leurs familles. Wasilewski est presque plus impitoyable qu’Antonioni et il ne fait que commencer.

« Kollektivet » de Thomas Vinterberg

Le prix de l’interprétation féminine est allé à la Danoise Trine Dyrholm, héroïne de Kollektivet de Thomas Vinterberg. Ayant lui-même grandi dans une communauté, le réalisateur de Festen (1998) jette un regard aussi sympathique que possible pour ce mode de vie collectif qui avait atteint son apogée à l’époque des flower children. Lorsque le prof d’architecture Erik hérite de la maison paternelle, sa femme Anna et sa fille lui suggèrent l’idée de la communauté et, de fil en aiguille, celle-ci s’enrichit de membres choisis par vote démocratique. La bonne humeur et la tolérance fonctionnent raisonnablement bien. Jusqu’au jour où Erik leur présente sa maîtresse, une de ses étudiantes. De peur de perdre son mari, Anna propose de l’inclure dans la communauté. Comme les membres sont dubitatifs, Erik menace de chasser tout le monde. Et la maîtresse est acceptée, avec des conséquences presque inévitables.

« Zero Days » de Alex Gibney

Le documentaire d’Alex Gibney, Zero Days , n’a pas eu de récompense. Pourtant, il est indispensable. Il reconstitue le puzzle de Stuxnet, un fichier informatique malveillant développé par les États-Unis et Israël pour saborder les centrifugeuses iraniennes destinées à enrichir l’uranium. Il exemplifie avec force les dangers qui nous guettent sans traité international semblable à celui qui régit l’arme nucléaire.

Au mois prochain

Raymond Scholer