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Le cinéma au jour le jour
Cine die - avril 2013

Coup d’œil sur la compétition de la 63e Berlinale

Article mis en ligne le 5 avril 2013
dernière modification le 2 avril 2013

par Raymond SCHOLER

Le président du jury, Wong Kar-Wai, inaugura le festival avec son dernier wuxiapian, The Grandmaster, consacré à Ip Man, le grand maître du Wing Chun célèbre pour avoir été le mentor de Bruce Lee.

Wong fait évidemment fi des élémentaires conventions narratives, laissant des zones entières de la diégèse dans l’obscurité la plus complète (comment Ip perd-il sa famille sous l’occupation ?), faisant surgir des personnages apparemment promis à une importance capitale (p.ex. celui qu’on appelle le « Rasoir ») avant de les reléguer aux oubliettes sans qu’ils aient croisé en quoi que ce soit la trajectoire du héros. Le réel est morcelé en instants infinitésimaux, gravés sur pellicule grâce à une surenchère de ralentis (voir le tranchant de la main qui traverse un rideau de pluie dont les gouttelettes semblent en suspension). La continuité est sacrifiée à la primauté de l’esthétique : les combats chorégraphiés par Yuen Woo-Ping deviennent illisibles et se résument à un montage d’instantanés privilégiés. Quand Zhang Ziyi verse des larmes, la seconde coule exactement dans la trace laissée par la première : la beauté est dans les détails. Comme c’est aussi, à l’instar de tous les films de Wong, l’histoire d’un grand amour malheureux, la nostalgie couvre tout d’une mélancolie ineffable. Bref, pour une biographie plus limpide de Ip Man, je vous conseille plutôt les films de Wilson Yip avec Donnie Yen : Yip Man (2008) et Yip Man 2 (2010).

« The Grandmaster » de Wong Kar-Wai

Elles (2011) de Malgorzata Szumowska énervait par son attitude passéiste devant la prostitution et arrivait mal à cacher son catholicisme moralisateur malgré une très saine scène de masturbation de Juliette Binoche. Avec W Imie (Au Nom de), la cinéaste redore son blason en montrant qu’un prêtre peut parfaitement être pédéraste sans être pédophile. Le père Adam, qui officie comme moniteur dans un centre de redressement en Pologne, terre de catholicisme effréné, souffre évidemment beaucoup de son attirance pour les jeunes gens et essaie d’oublier sa détresse dans l’alcool (la scène où il danse avec le portrait de Benoît XVI vaut son pesant de rémissions) ou le jogging. Le chemin sera long et humiliant qui le mènera à l’acceptation de ses penchants naturels, brièvement annoncée dans une belle séquence où Adam et son jeune ami se relâchent en pleine nature en imitant à pleins poumons les cris des bêtes sauvages.

Juliette Binoche dans « Elles » de Malgorzata Szumowska

Promised Land de Gus van Sant rompt une lance contre l’exploitation du gaz naturel par fracturation hydraulique, créatrice de graves problèmes environnementaux (évoqués dans le documentaire Gasland (2010) de Josh Fox). Global, une multinationale gazière, envoie deux agents en Pennsylvanie avec mission de convaincre les fermiers appauvris de céder les droits sur leur sous-sol à la compagnie. Leurs efforts sont compromis par un environnementaliste qui amène des preuves photographiques accablantes (vaches mortes, nappes phréatiques empoisonnées), soi-disant de sa propre ferme d’élevage au Nebraska : après avoir cédé au chant des sirènes de Global, il est maintenant ruiné. Juste avant l’assemblée générale où les citoyens vont décider de leur avenir, Global démontre que les photos incriminantes sont des faux, jetant le discrédit sur « l’écologiste », qui n’est en fait qu’un autre agent de Global, envoyé à l’insu des deux premiers. Les capitalistes sont-ils tous pareillement machiavéliques ?

Matt Damon dans « Promised Land » de Gus van Sant

Dans Paradies : Hoffnung , Ulrich Seidl braque sa caméra frontale et géométrique sur une colonie d’ados obèses en cure d’amaigrissement. Pendant que Melli est censée suivre un régime surveillé de nutrition et d’activités sportives, sa mère se paie des amants noirs tarifés au Kenya (voir Paradies : Liebe de 2010). Pour les deux femmes, la tentative d’ajuster le réel est illusoire : l’amant ne fera que semblant d’aimer, les kilos ne vont pas disparaître. Alors les moniteurs essaient d’insuffler un certain optimisme : les enfants chantent rythmiquement en se tapant sur la graisse « If you’re happy and you know it, slap your fat ». Melli veut croire qu’elle vaincra les obstacles : elle tombe amoureuse du médecin, de 40 ans son aîné. Elle aimerait enfin expérimenter le sexe. Chaque jour, elle va à la consultation et se fait ausculter. Le praticien est touché par son assiduité, mais sait aussi que cela doit rester un jeu. Quand il doit une fois ramener Melli inconsciente, qui cuve une cuite, il se laisse aller à humer ses odeurs corporelles. Rien de plus.

« Paradies Hoffnung » de Ulrich Seidl

Dolgaya Chastlivaya Jizn / Une Vie longue et heureuse de Boris Khlebnikov montre que la désunion russe a succédé à l’union soviétique. Sacha gère une ancienne ferme collective. Un promoteur veut transformer les lieux en villégiature de vacances, car les beautés naturelles de la presqu’île de Kola attirent du monde. Il a déjà mis l’administration locale dans sa poche et ceux-ci offrent à Sacha un beau parachute financier pour qu’il refasse sa vie en ville. Au kolkhoze, il est accueilli comme un traître par ses collaborateurs qui lui reprochent de les avoir vendus. Il renonce alors à l’argent offert et se lance dans une restructuration de la ferme. Mais comme le shérif dans High Noon , il sera progressivement abandonné par ceux qui l’avaient sollicité pour les guider. C’est seul et tragiquement qu’il affrontera les huissiers.

« Une Vie longue et heureuse » de Boris Khlebnikov

Nina Hoss, l’héroïne de Gold , western allemand deThomas Arslan, sera pareillement seule à persévérer dans la ruée vers l’or du Klondike en 1898, alors qu’ils étaient sept Allemands (dont deux femmes) au départ de Ashcroft, terminus du train en Colombie-Britannique. La cupidité et la traîtrise, les accidents et la folie déciment leurs rangs. Le côté légèrement emprunté du jeu des acteurs reflète bien l’amateurisme d’aventuriers peu expérimentés que furent sans doute la plupart des pauvres hères désespérés qui tentèrent leur chance.

« Gold » de Thomas Arslan

Dans Gloria du Chilien Sebastian Lelio, la pétulante divorcée d’âge mûr, éponyme du film, fréquente assidûment les thés dansants pour célibataires et séduit Rodolfo, propriétaire sexagénaire de parcs d’attraction, dont les yeux tristes et l’humeur résignée auraient dû lui mettre la puce à l’oreille. Derrière le grand tendre se cache un esclave, un père qui se laisse exploiter sans vergogne par ses filles adultes et son ex. Il louvoie et fait des promesses à Gloria, mais finit par baster devant ses femelles. Alors Gloria va le virer énergiquement comme le chat nu du voisin qui squatte périodiquement son appartement. Paulina Garcia s’est approprié le rôle avec maestria, n’a pas lésiné sur les moyens dans les scènes intimes et a été remerciée par l’Ours d’Argent de la meilleure actrice.

« Gloria » de Sebastian Lelio

L’Ours d’Or échut à Pozitia Copilului / Child’s Pose du Roumain Calin Peter Netzer. Un fils de bonne famille écrase un gamin en voiture. Sa mère, qui se plaint d’être délaissée par lui, saute sur l’occasion pour le faire revenir dans le giron. Comme une furie, elle déboule chez les flics, fait jouer ses relations et sa fortune, exige des modifications dans les dépositions de police et essaie de suborner les témoins pour que son cher petit échappe à un procès. L’intention du réalisateur était bien sûr de fournir une mise à nu de la corruption qui gangrène la société à tous les échelons, mais la façon de filmer (incessants va-et-vient d’une caméra scope) et de raconter (les séquences sont étalées dans le temps réel de leur déroulement) finissent par provoquer une certaine lassitude. Les films roumains se ressemblent par des tics reconnaissables et si le jury s’est laissé convaincre, c’est qu’ils n’ont sans doute pas vu tous les Mungiu, Porumboiu et autre Puiu.

Luminita Gheorghiu dans « Child’s Pose » de Calin Peter Netzer

Before Midnight de Richard Linklater retrouve le couple Ethan Hawke/Julie Delpy, 9 ans après Before Sunset (2004), 18 ans après Before Sunrise (1995). On découvre que le couple qui s’était rencontré pour la première fois dans le train vers Vienne, était resté ensemble après s’être revu en 2004 à Paris. Ils passent maintenant leurs vacances sur une île grecque avec leurs deux petites filles. Le monde des sentiments est toujours leur sujet de discussion de prédilection. Cela démarre par un plan fixe frontal des deux dans la voiture qui n’arrêtent pas de disserter et qui dure nettement plus que les huit minutes qui représentaient le maximum d’une bobine de pellicule, preuve que le film a été tourné en numérique. Et c’est toujours aussi passionnant. On sent qu’il y a de l’eau dans le gaz, on sait aussi que les deux ne peuvent pas se passer l’un de l’autre.

Julie Delpy et Ethan Hawke dans « Before Midnight » de Richard Linklater

Epizoda U Zivotu Beraca Zeljeca / Un épisode dans la Vie d’un Ramasseur de Ferraille de Danis Tanovic montre un fait divers survenu dans une famille roma de Bosnie-Herzégovine, qui joue ici son propre rôle. La famille vit du démantèlement de vieilles voitures, dont les morceaux sont vendus à un ferrailleur. Lorsqu’on découvre à l’hôpital que la femme porte un embryon mort, qui risque de provoquer une septicémie, le médecin refuse d’intervenir, parce que la famille n’a pas d’assurance médicale. Ou alors il faudra allonger neuf cents euros, une somme impossible à réunir pour ces pauvres d’entre les pauvres. Seule une escroquerie à la carte d’assurance permet in extremis à la famille de voir le bout du tunnel.

« Un épisode dans la Vie d’un Ramasseur de Ferraille » de Danis Tanovic

Uroki Garmonii / Harmony Lessons , le premier film du Kazakh Emir Baigazin suit la trajectoire d’Aslan, un Törless de campagne qui est ostracisé dans son école et soumis à des humiliations en série. Les racketteurs tiennent le haut du pavé et se livrent à de pervers jeux de pouvoir sur les plus faibles. Les enseignants ânonnent leurs cours sans se préoccuper des élèves et la police est partie intégrante du cycle de violence. Aslan se rebiffe contre cet ordre des choses, même s’il en fait partie, puisqu’il n’hésite pas à torturer des insectes ou des lézards. Le calme qui règne sur toutes ces brutalités fait froid dans le dos.

Le seul film de la compétition qui n’aurait jamais dû y être admis est Nobody’s Daughter Haewon du Coréen Hong Sangsoo, un tâcheron qui s’est taillé, pour des raisons obscures, qui tiennent sans doute à un intellectualisme décalé chez une certaine critique, une réputation d’auteur culte. Des échanges indigents, des revirements incompréhensibles, la façon de résoudre des problèmes apparemment existentiels par des cuites carabinées, tout concourt à provoquer chez moi un profond ennui. Mais pourquoi ma voisine a-t-elle trouvé ça drôle ?

Au mois prochain

Raymond Scholer