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Cine Die - avril 2012

A propos de 62e Berlinale...

Article mis en ligne le 1er avril 2012
dernière modification le 27 mars 2012

par Raymond SCHOLER

En compétition
Si aucun film de la trempe de True Grit (Coen) ou du Cheval de Turin (Tarr) - pour ne citer que les poids lourds de 2011 - n’ornait la compétition cette année, il serait néanmoins présomptueux de lui reprocher un manque d’éclat, voire de qualité, comme le font certains collègues, convaincus de la supériorité pérenne de Cannes (où même les daubes semblent s’auréoler de vertus). Il est vrai que nous avons vu deux films qui n’auraient jamais dû passer l’examen d’admission. Dictado de l’Espagnol Antonio Chavarrias nous égare pendant une heure dans les figures archi-convenues de la gosse maléfique avant de nous révéler que celle-ci fait, à son insu, partie d’une vengeance bien réelle ourdie par sa grand-mère. Le fantastique s’éclipse alors sur la pointe des pieds, ce qui est bien le seul intérêt du film.

De même avons-nous eu beaucoup de peine à nous intéresser au sort des protagonistes de Was bleibt de l’Allemand Hans-Christian Schmid, où les rejetons d’un couple de vieux intellectuels aisés découvrent l’infidélité de leur géniteur et doivent gérer la fugue concomitante de leur mère qui s’avérera sans fin : la unsteady-cam et le jeu emprunté des acteurs parviennent à nous rendre parfaitement opaque la dynamique intrafamiliale.
L’infidélité conjugale est un thème qui hante les cinéastes allemands, à tel point qu’ils délocalisent leurs personnages vers des climats extrêmes pour les calmer. Dans Gnade de Matthias Glasner, Niels et Maria ont ainsi décidé d’aller vivre à Hammerfest, lui comme ingénieur dans une usine de liquéfaction de gaz naturel, elle comme infirmière. La nuit polaire refroidira-t-elle les ardeurs adultérines ? Que nenni ! Niels trouvera sur son lieu de travail une célibataire très portée sur la bagatelle et l’obscurité ambiante est propice aux cachotteries. Jusqu’au jour où Maria, détournant son attention de la route pour admirer l’aurore boréale, heurte un obstacle : dans le rétroviseur, rien n’est visible et il fait trop froid pour sortir de la voiture. Le lendemain, les époux apprennent par le journal que Maria a renversé une adolescente alcoolisée et que celle-ci est décédée dans le fossé. Comme il n’y avait pas de témoins, ils décident de ne pas donner suite. Rongé par la culpabilité et sa libido au point mort, Niels finira par faire des aveux à sa maîtresse avant de lui annoncer la fin de leur liaison. Curieusement, l’amante préfère simplement aller refaire sa vie ailleurs, sans donner suite non plus. Les semaines passent. Un beau matin, Niels et Maria, ne voyant plus d’issue à leur souffrance, sonnent à la porte des parents de la victime. Qui eux non plus ne donnent suite. Au retour du soleil, tout le quartier se retrouve dans une fête champêtre. On se sourit sagement, les Allemands profitant de la grâce (voir le titre) accordée par les Norvégiens endeuillés. Le spectateur n’a pas la satisfaction d’une affaire bouclée, mais peut se ressourcer à la splendeur de la photo avec ses infinies variétés de gris bleuté et de bleu grisâtre.

Mads Mikkelsen et Alicia Vikander dans « En Kongelig Affaere » de Nikolaj Arcel

En kongelig Affaere du Danois Nikolaj Arcel raconte de façon extrêmement linéaire et didactique (Ours d’Argent du meilleur scénario) la courte carrière politique de l’Allemand Johann Friedrich Struensee (médecin personnel dès 1768, puis conseiller du jeune roi fantasque et lunatique, Christian VII) qui imposa au Danemark, 18 ans avant la Révolution française, une législation conforme aux idées des Lumières. Audace qu’il paya de sa vie en 1772, lorsque les nobles et le clergé profitèrent de sa liaison amoureuse avec la reine pour le dénoncer auprès du roi qui signa son arrêt de mort. Ses lois seront vite abrogées. Mikkel Boe Folsgaard, exceptionnel d’inventivité dans le rôle du roi fou, remportera l’Ours d’Argent du meilleur acteur.

Xavier Beauvois, Diane Kruger et Gregory Gadebois dans « Les Adieux à la Reine » de Benoît Jacquot

Les Adieux à la reine du Français Benoît Jacquot se promène dans les appartements privés, salons, couloirs, cuisines et dépendances de Versailles les jours suivant la prise de la Bastille. La crasse et la pourriture sont omniprésentes. La trame s’articule autour de trois personnages principaux : Marie-Antoinette, son amie intime Gabrielle de Polignac, et sa lectrice Sidonie Laborde. À mesure que la panique s’installe, lorsque la cour découvre la liste de têtes à couper qui circule dans Paris, les velléités de se mettre en sécurité à l’étranger se font de plus en plus pressantes. Lorsque Gabrielle se voit offrir par la reine une berline avec sauf-conduit vers la frontière suisse, elle accepte tout de suite, alors qu’elle sait que Marie-Antoinette ne peut pas partir, Louis XVI ayant décidé de rester en France. Pour comble, la reine demande à Sidonie de partir avec Gabrielle et d’augmenter ses chances de succès en endossant les habits de la duchesse. Passée la frontière, la petite lectrice, qui était fière de sa position, se rend compte qu’elle ne sera plus qu’une anonyme. Un des sommets du
festival.

« Postcards from the Zoo » de Edwin

Postcards from the Zoo de l’Indonésien Edwin est un de ces films onirico-poétiques pour lesquels il eût fallu lire le mode d’emploi. Une petite fille erre dans le zoo de Djakarta en appelant son papa. La nuit venue, elle s’endort parmi les animaux. Aucun texte, aucune transition ne nous avertit à la séquence suivante que la petite fille est devenue Lana, une jeune femme qui guide les visiteurs, nourrit les bêtes et vit manifestement dans le zoo, lequel n’a pas changé d’aspect en dix ans. Un jour, Lana décide de suivre un magicien déguisé en cowboy. Il lui fait découvrir le monde interlope des bars, où des prostituées se font violenter et exploiter. Le magicien y fait ses tours, elle l’assiste. Un jour, il disparaît par un enchantement de son cru et elle se retrouve seule. Elle se fait engager comme masseuse dans un spa olé olé. A la fin, elle réalise son rêve le plus cher : caresser le ventre de la girafe du zoo. Au cas où on se poserait des questions sur le pourquoi du comment, le livre de presse nous met au parfum : le désir primordial de Lana, c’est le besoin d’être touchée, puisque son papa l’a abandonnée, pardi ! Mais au zoo, les grillages lui signifient qu’il ne faut pas toucher les animaux. Elle tombe amoureuse, lorsque le magicien la touche. Lorsqu’il n’est plus là, elle va là où les hommes désirent être touchés. Bon sang, mais bien sûr !

« Just the Wind » de Benedek Fliegauf

Csak a szel/Just the Wind du Hongrois Benedek Fliegauf évoque l’atmosphère de pogrome qui règne sur la vie quotidienne des tziganes dans son pays. Il suit durant une journée les membres d’une famille sédentaire qui viennent d’apprendre qu’une famille voisine s’est fait massacrer corps et âmes. La mère travaille, les enfants sont scolarisés, mais cela ne suffit pas à les protéger des expéditions racistes des ultras. Le fils s’est créé une cache munie de provisions en pleine forêt en prévision d’une possible agression. Mais quand l’inéluctable catastrophe arrive, en fin de film, on ne sait pas s’il y survivra. Contrairement à ses films précédents, esthétiquement magnifiques, Fliegauf sacrifie ici hélas au dardennisme galopant (caméra à l’épaule, éclairage insuffisant) qui rend les détails regrettablement flous. Le jury lui a donné son Grand Prix, en guise de manifeste politique sans doute.

Le poignant L’enfant d’en haut de la Franco-Suisse Ursula Meier (sur un gosse de 12 ans qui subvient aux besoins de sa famille en volant des équipements de ski dans une station de haute montagne) méritait mieux ce prix que le film hongrois : il n’eut qu’une simple mention honorable.

« A moi seule » de Frédéric Videau

A moi seule du Français Frédéric Videau imagine un cas Kampusch en France : comme Priklopil, le geôlier de Natascha, Vincent Maillard, le ravisseur de Gaëlle, veut uniquement la compagnie exclusive. Loin de lui toute idée d’exploitation sexuelle. Il ne veut que s’occuper de la formation d’un être humain : il sera exigeant sur l’excellence scolaire, il sait donner les récompenses au bon moment. Peu à peu, la petite fille prend de l’assurance et teste les limites de sa condition. Elle s’arroge le droit d’avoir des moments d’humeur, notamment lorsque Vincent la laisse trop longtemps seule. Pour l’égayer, il l’emmène dans des promenades en forêt. Le spectateur ne saura pas si, adolescente, elle utilise le sexe comme arme. Ils en arrivent à une sorte de vie en commun. Vincent commence à croire qu’elle ne pourra plus se passer de lui et lui permet un beau jour de sortir (au bout de huit ans) : elle ne reviendra plus. Le chemin de la reconstruction commence pour elle, loin de tout son passé. La finesse psychologique du jeu d’Agathe Bonitzer, qui regarde en fait toute sa captivité en flash-back, la prédestinait pour un prix d’interprétation.

Hélas, celui-ci est allé à Rachel Mwanza, qui incarne sur un mode bien monotone la guerrière ado dans Rebelle du Canadien Kim Nguyen. Ce film parle de manière quasi-documentaire des enfants soldats des conflits africains, les mines de coltan dont il est question situant le récit d’évidence en Rép. Démocratique du Congo. Komona, 12 ans à peine, est obligée par les rebelles de fusiller ses propres parents, puis elle est éduquée dans l’usage des armes, tue son lot d’opposants, devient la maîtresse de son commandant et la petite amie d’un garçon albinos, enrôlé comme elle. Elle tombe enceinte, mais veut, avant la naissance du bébé, procurer une sépulture à ses parents, condamnés autrement à hanter comme fantômes les parages dévastés.

Isabelle Huppert dans « Captive »

Avec Captive , le Philippin Brillante Mendoza élargit son registre, reconstituant avec son habituel souci d’authenticité le calvaire d’un groupe d’otages, touristes et autochtones, enlevés en mai 2001 sur l’île de Palawan par des terroristes musulmans et libérés une année plus tard sur Mindanao par les commandos de l’armée. En passant, ils ont dû subir une autre intervention militaire à Basilan faisant peu de distinction entre ravisseurs et victimes et certaines femmes célibataires étaient bien sûr violées après avoir été mariées de force, une spécialité de l’hypocrisie islamique. Contrairement aux films précédents du cinéaste, caractérisés par une lenteur souvent exaspérante, l’action est presque ininterrompue, la nature et les tensions humaines fournissant sans relâche de la matière. Le problème des prises d’otages n’a jamais été résolu par le gouvernement : une semaine avant la Berlinale, deux touristes étaient encore kidnappés.

La suite au mois prochain

Raymond Scholer