Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Le cinéma au jour le jour
Cine Die - août 2021

Compte-rendu

Article mis en ligne le 8 août 2021
dernière modification le 31 août 2021

par Raymond SCHOLER

Coup d’œil sur la sortie de DVD’s ainsi que sur quelques propositions offertes par la plateforme Netflix.

DVD
Depuis début juin, j’ai ajouté un nom de réalisatrice à la liste des cinéastes dont je compte suivre tout ce qu’ils ont fait. En l’occurrence, il s’agit de l’Australienne Jennifer Kent, actrice depuis 1992, qui a sorti son premier long métrage ( The Babadook ) en 2014 et le second ( The Nightingale ) au festival de Venise en 2018 (où il a remporté le Prix spécial du Jury). Ni l’un ni l’autre n’est sorti dans une salle romande. Le premier raconte la montée de la folie chez une mère qui élève seule son petit garçon, son mari étant décédé en amenant sa femme à l’hôpital pour l’accouchement. Comme tous les petits de son âge, le gamin peuple son environnement de monstres imaginaires contre lesquels il entend, tel un chevalier de légende, protéger sa maman chérie. Le plus terrible est une créature griffue expressionniste qui annonce sa venue dans un album de dessins et textes menaçants que la mère trouve soudain devant sa porte. Elle le déchire, il lui revient rafistolé. Elle essaie de l’incinérer, en vain. Le Babadook a pris possession de sa vie, métaphore de l’angoisse existentielle qui la tenaille depuis la naissance de son fils. Fils qui, à force de quête narcissique d’attention, impose à sa mère un stress qu’elle n’arrive plus à gérer, occasionnant de sa part des explosions de colère et des promesses de châtiment comme le cinéma n’a jamais osé les montrer. Comme il a rarement montré des mamans qui se masturbent pour se détendre.

Image du livre « The Babadook »

Pour The Nightingale , Kent s’est penchée sur un chapitre peu glorieux de sa patrie, lorsque l’Australie était une colonie pénitentiaire du Royaume Uni au début du XIXe siècle. Nous sommes en Tasmanie (ou, comme on disait à l’époque, en Terre de Van Diemen). Les gardiens de l’ordre impérial, c’est-à-dire les soldats de sa Majesté, ont droit de vie et de mort sur les repris de justice exilés, notamment les insurgés irlandais. Et les simples colons ont droit de vie et de mort sur les Aborigènes, ces sauvages à peine sortis de la glèbe primitive. Clare, le rossignol du titre, est une déportée irlandaise qui a purgé sa peine et épousé un paysan, dont elle a un enfant, mais elle attend toujours une lettre de décharge de l’autorité compétente. Celle-ci, en la personne du très cruel officier Hawkins, temporise, forçant Clare à se soumettre à ses velléités et l’utilisant comme esclave sexuelle. Quand le mari veut intervenir, l’officier trucide sa famille et seule Clare survit. Elle engage alors un Aborigène du nom de Billy comme guide et se lance à la poursuite de Hawkins et de sa clique, tel un ange de la vengeance, un peu comme Raquel Welch dans le western Hannie Caulder (Burt Kennedy, 1971). Le spectateur se surprend à s’attacher instinctivement bien plus à la quête de justice très circonscrite de Clare qu’au ressentiment de Billy contre les Blancs en général, ceux qui ont non seulement tué sa famille immédiate, mais sont en train d’éradiquer son peuple et sa culture. Alors que Clare approche Billy avec une méfiance empreinte de racisme, lui aussi met du temps à comprendre qu’il y a une différence morale entre Blanc et Blanc, l’oppresseur anglais et l’opprimé irlandais. Dans une Australie qui a encore le premier pas de contrition à faire concernant les crimes coloniaux, la relation entre ces deux personnages est éminemment instructive. Actuellement, un enfant indigène a plus de chance de finir en prison que de terminer le lycée. En 2017, l’appel des Peuples Premiers (« Déclaration d’Uluru ») à une reconnaissance constitutionnelle a été rejeté, signe des préjugés racistes qui sévissent encore, 251 ans après le débarquement de James Cook. The Nightingale est pleinement un film de notre temps.

Baykali Ganambarr et Aisling Franciosi dans « The Nightingale »

Dans Queen Christina (Rouben Mamoulian, 1933) avec Greta Garbo, la reine de 28 ans abdiquait par amour pour les beaux yeux d’un diplomate espagnol (John Gilbert). Dans The Abdication (Anthony Harvey, 1974) avec Liv Ullman, l’amant espagnol était remplacé par le cardinal Azzolino (Peter Finch), qui fut effectivement son dernier grand amour, mais bien après son abdication. La nouvelle biographie de la reine Christine de Suède (de 1632 à 1654), The Girl King (2015) de Mika Kaurismäki, se donne des airs modernes empreints de féminisme, dont la reine fut une pionnière au même titre que Madeleine de Scudéry ou Madame de Maintenon. Cette fois-ci, l’homosexualité de la souveraine (l’hommasse Suédoise Malin Buska) est pleinement assumée et sa passion pour la comtesse Ebba Sparre (la très envoûtante Canadienne Sarah Gadon) étalée à longueur de scénario. Et c’est parce qu’elle ne veut pas se laisser enfermer dans un mariage de raison étatique par son chancelier Oxenstierna qu’elle passe le pouvoir à son cousin Charles-Gustave après l’avoir adopté comme fils. Ce qui est particulièrement souligné dans le nouveau film, c’est que le protestantisme est synonyme d’intolérance réactionnaire, alors que l’Eglise catholique est libérale et ouverte et bien prête, après une Guerre de trente ans, à accepter une ex-souveraine parmi ses ouailles, fût-elle olé olé. Le film rappelle aussi que Christine n’avait que largesses pour la culture et adorait inviter les têtes pensantes de l’Europe à sa cour. René Descartes (incarné par un Patrick Bauchau habitué aux rôles de professeur et de mentor) a ainsi fini son existence à Stockholm, sans doute empoisonné par des courtisans envieux.

Sarah Gadon et Malin Buska dans « The Girl King »

Gavin Rothery est un artiste conceptuel britannique, responsable du look de Moon (2009) de Duncan Jones, où un astronaute passait la fin de son mandat solitaire de 3 ans dans une station sur la face cachée de la lune avec comme seul compagnon un ordinateur nommé Gerty (comme le dinosaure de Winsor McCay) auquel Kevin Spacey prêtait sa voix. L’isolation prolongée finissait par provoquer des accès de folie. Dans Archive (2020), son premier long métrage, Rothery plonge à nouveau un scientifique dans un lieu isolé, une installation ultra protégée au bord d’un précipice dans une forêt nordique bien enneigée. Dans ce laboratoire, Almore (le nom est tout un programme) essaie de reconstruire, à l’aide de fichiers personnels archivés, la conscience de son épouse décédée pour la transférer dans le corps d’un robot. Travail de longue haleine, puisqu’il en est à la troisième version, qui ressemble plus à l’androïde de Ex Machina (Alex Garland, 2014) que les deux premières, purs assemblages de parallélépipèdes et tubes métalliques, que le chercheur utilise maintenant comme assistant(e)s. La nouvelle version a les traits délicats de Stacy Martin (qui jouait aussi l’épouse) et elle parle et marche comme vous et moi. Inévitablement, les deux pauvres boîtes de métal ambulantes sentent approcher leur obsolescence. La plus évoluée des deux, jalouse et désespérée, finit par s’immoler par immersion. Sur le tout plane un climat de suspicion, car ceux qui financent la recherche semblent ignorer l’agenda privé du savant. Ils ne s’intéressent qu’au prototype qui promet de recréer à la perfection l’être humain. Mais un coup de théâtre juste avant la fin vient complètement remettre en question tout ce qu’on vient de voir. De la science fiction bien charpentée !

Stacy Martin et Theo James dans « Archive »

Plateformes
Sur Netflix, on peut voir Hold the Dark (2018), le dernier film de l’Américain Jeremy Saulnier qui enchanta la Quinzaine des Réalisateurs en 2014 avec Blue Ruin, l’histoire d’une vengeance qui tournait mal. Ici, un éthologue spécialiste du loup est appelé à la rescousse pour rechercher des enfants enlevés par des canidés en Alaska. Ce qu’il découvre lui donne le vertige. Les Amérindiens du coin semblent pratiquer une lycanthropie fantasmée qui peut déborder. À l’instar des louveteaux qui sont parfois dévorés par des adultes chez canis lupus, des enfants peuvent devenir des enjeux de la meute entière. Ces croyances ont sans doute permis aux indigènes de « retenir l’obscurité » depuis la nuit des temps et de tenir bon face à l’incursion de l’homme blanc, mais le contentieux, notamment entre les fortes têtes indiennes et les forces de l’ordre, a pris de telles dimensions que seul un événement cathartique, en l’occurrence une bataille rangée suicidaire, peut y mettre fin. Un film crépusculaire dont la poésie sauvage subjugue.

Riley Keough et Jeffrey Wright dans « Hold The Dark »

Pour son premier long métrage, El Hoyo / La plateforme (2019), le Basque Galder Gaztelu-Urrutia a imaginé une prison particulière. Imaginez une cellule sans fenêtres de 6 sur 8 mètres qui se répète à la verticale sur plusieurs centaines d’étages, donc probablement enfouis dans le sol. Dans chaque cellule, 2 détenus. Le centre de la cellule est occupé par un trou rectangulaire laissant passer une plateforme chargée de nourriture une fois par jour, qui s’arrête trois minutes à chaque étage permettant aux prisonniers de se ravitailler. Il est interdit de se constituer des réserves. La plateforme commence son voyage en haut du dispositif, où elle est chargée de suffisamment de denrées pour nourrir théoriquement tous les prisonniers. Au bout d’un mois, les détenus changent d’étage attribué. Par exemple, après le niveau 28, un duo donné peut se retrouver au 241. Cette rotation permet d’exposer chacun aux mêmes vicissitudes. Car, sans moyen de communication autre que les cris à travers le trou central, la coordination entre détenus est illusoire, obligeant les niveaux inférieurs à avoir recours à l’anthropophagie et les niveaux intermédiaires à des restes peu ragoûtants. Les suicides par saut dans le vide sont fréquents.

Alexandra Masangkay dans « El Hoyo »

Sur ces prémisses de base, le cinéaste brode un petit canevas d’options de survie dont la richesse métaphorique devrait plaire à tous ceux qui regrettent que l’humanité ne soit pas à même de s’entendre pour que notre planète puisse suffire à tout le monde.

Raymond Scholer